C’est désormais établi, le 7 mars 1994, lorsque les hommes placés sous le commandement du capitaine Gamet prennent position dans l’enceinte portuaire pour une mission de maintien de l’ordre, ni les cartouches Gomm’Cogne, ni les ALSETEX ALCA 12, ne font partie de la dotation officielle des forces de gendarmerie en poste à La Réunion et n’auraient jamais dû se trouver là, car :
1- leur utilisation était interdite dans le cadre d’une mission de maintien de l’ordre,
2 - ces munitions ne figuraient pas dans la dotation officielle des forces de gendarmerie.
M. Michelot a déclaré avoir pensé charger son fusil à pompe (interdit pour la réalisation de sa mission) avec une cartouche Gomm’Cogne (alors interdite à La Réunion et dont le culot mesure 7 mm) pour envoyer l’équivalent d’un très puissant coup de poing sur Théo Hilarion.
Or, M. Michelot a pris dans sa cartouchière, « à la palpation » dit-il, une cartouche ALSETEX ALCA 12 dont le culot mesure près de 2,5 cm. Cette munition n’est destinée qu’à des opérations de police judiciaire. Elle a des effets redoutables. Elle permet de perforer des portes, de faire exploser des fenêtres ou encore le pare-brise d’une voiture, puis de répandre un puissant gaz incapacitant.
M. Michelot a déclaré avoir été surpris du résultat obtenu par une ALSETEX ALCA 12 à la suite de son tir contre Théo Hilarion.
Il affirme ne pas savoir ce qu’était une cartouche ALSETEX-ALCA 12 et quels pouvaient en être les effets : « Je ne pouvais pas me douter de ce qui allait arriver, car je n’avais jamais vu ce type de cartouches avant ce jour-là ».
« Mais, rétorque le président un brin interloqué, c’est vous personnellement qui avez garni votre cartouchière ». « Oui, c’est moi, répond M. Michelot, mais comment voulez-vous que je puisse me douter de quoi que ce soit puisque, lorsque je charge ma cartouchière, je n’avais encore jamais vu ce type de cartouche ? »
Pour accepter l’argument de M. Michelot, nous devrions admettre que, lorsqu’un gendarme découvre dans les munitions qui lui sont attribuées -par l’armurier de sa caserne ?- une munition dont il dit tout ignorer, il ne s’en inquiète pas et du moment qu’elle correspond au calibre de son arme (interdite) il en garnit sa cartouchière. Qui peut y croire ?
Heureusement pour la gendarmerie la vérité est ailleurs. Nous la devons à des gendarmes et notamment au gendarme Houillon qui, le 12 octobre 1997 a déclaré aux enquêteurs : « J’ai vu au sein du peloton des cartouches ALSETEX ALCA 12 [...]. Je sais parfaitement que cette munition n’est pas dans le commerce ».
Voilà donc un gendarme qui sait ce que sont des cartouches ALSETEX ALCA 12 alors que son adjudant-chef déclare n’avoir jamais vu ce type de munition... dont il a pourtant lui-même garni sa propre cartouchière. Comment expliquer une telle attitude aux si funestes conséquences ?
Le gendarme Houillon nous fournit la solution -évidente- : « C’est l’adjudant-chef Michelot qui les a amenées [les ALSETEX ALCA 12] au peloton à son arrivée de l’EPIGN. Il était en possession d’une boîte et nous a expliqué avoir pris ces munitions à l’EPIGN ».
Enfin, M. Michelot nous a dit que, dans l’affaire du “forcené au cutter”, le forcené avait été neutralisé par un tir de Gomm’Cogne à une distance de 6 m. L’épaule avait été visée et le forcené avait été touché à la joue car, dit M. Michelot la Gomm’Cogne est une munition lourde, imprécise et qui a une trajectoire s’incurvant très rapidement.
Or Théo Hilarion se trouvait à une distance de 20 à 25 m, soit 4 fois plus éloigné du tireur que ne l’était le forcené au cutter, donc il était encore plus difficile à atteindre et M. Michelot ne pouvait l’ignorer. Alors pourquoi, « dans un climat insurrectionnel » et alors qu’on craignait, nous dit-on, « d’être débordés et pris à revers », pourquoi un gendarme expérimenté aurait-il choisi de prendre une cartouche Gomm’Cogne dont il nous dit qu’elle est extrêmement imprécise ? Il nous a dit avoir ressenti l’urgence d’obtenir un effet efficace et pourtant il use d’une munition dont il sait qu’à cette distance de 20 à 25 m, il existe peu de probabilités de toucher sa cible ? Et nous sommes priés d’y croire ? Comme on nous prie de croire qu’à « la palpation », on ne peut distinguer un culot métallique à peine supérieur au demi-centimètre avec un culot de 2,5 cm ?
Est-ce ainsi qu’on agit en honnête homme ? Est-ce de cette façon que MM. Michelot et Gamet entendent respecter Théo Hilarion, leur victime ?

 Jean Saint-Marc