L’avocat Jacques Vergès empêché de plaider en Irak

« Tarek Aziz connaît trop de secrets compromettants »

26 août 2008

Washington et Bagdad ont orchestré le procès de Tarek Aziz, vice-Premier ministre de Saddam Hussein, pour réduire au silence un homme “qui en sait trop” sur la complicité des puissances occidentales avec les crimes du dictateur déchu et condamné à mort.

L’avocat Jacques Vergès, à qui le vice-Premier ministre avait demandé d’assurer sa défense il y a deux ans, n’a pas obtenu de réponse de l’ambassade d’Irak à sa demande de visa, pas plus que l’autorisation de voir son client, attendue de l’ambassade américaine. « C’est un huis clos complet » a-t-il expliqué à Témoignages.
Initié fin avril, après une courte audience au cours de laquelle l’ancien ministre des Affaires étrangères du régime baasiste a nié toute implication dans les charges retenues contre lui, le procès a été renvoyé au 20 mai et l’AFP annonçait, peu avant, que le procès reprendrait « sans les avocats de la défense ». Le collectif de six avocats étrangers - les deux Français Jacques Vergès et André Chamié et quatre confrères italiens - n’ont pas obtenu de visa des autorités irakiennes. L’avocat irakien de Tarek Aziz, Me Badie Aref, réfugié en Jordanie, a reçu des menaces de mort.
Tarek Aziz est sans défense. « Depuis le 29 avril, il est censé être jugé. Personne n’a eu de nouvelles de lui. Il est sans avocat. Son avocat irakien, Me Badie a été expulsé de son propre pays » résume Me Jacques Vergès.

Le motif d’inculpation est à peine croyable pour un ancien chef de la diplomatie irakienne. Il est accusé dans une affaire de droit commun irako-irakienne, avec sept autres dignitaires de l’ancien régime, pour une supposée participation, en 1992, dans la décision d’exécuter 42 commerçants qui spéculaient sur le prix des denrées alimentaires. Faut-il qu’il fasse peur ?!...
- Il ne faut pas que la voix de Tarek Aziz en effet soit entendue. Ministre des Affaires étrangères du Président Saddam Hussein, il a rencontré tous les chefs d’Etat d’Occident qui ont armé l’Irak au temps où ils pensaient trouver en lui un allié docile.
Tarek Aziz connaît trop de secrets compromettants. Il faut le faire taire définitivement mais, avant de le pendre et le faire taire à jamais, le Tribunal est là pour le condamner déjà au silence. Il faut que sa voix, tant qu’il est encore vivant, soit étouffée.
Pour le pendre, les occupants et leurs valets ne peuvent invoquer son activité de ministre qui les met en cause. Alors ils le rendent, lui ministre des affaires étrangères, responsable de la condamnation à mort de trafiquants de marché noir par des tribunaux dont il ne faisait pas partie.

Protégé par le Pacte des Nations Unies de 1966, mais...

Un “Comité pour la défense de Tarek Aziz et des prisonniers politiques irakiens” s’est constitué le 30 avril dernier, et depuis son incarcération au camp Cropper, près de Bagdad, il y a cinq ans, des appels sont lancés pour sa libération. Mais ces protestations, peu relayées par les médias, peinent à arrêter les violations du droit. Et quel silence, chez les politiques - Français, pour ne citer qu’eux - qui se pressaient auprès de lui autrefois !
- Tout cela se fait dans la plus grande illégalité. Nos défenseurs brevetés des droits de l’Homme se taisent et pourtant, comme me l’écrivait M. Maurice Gourdault-Montagne au nom de M. Chirac (dont il a été le conseiller diplomatique de 2002 à 2007 - Ndlr) que j’avais saisi en son temps des conditions de détention de M. Tarek Aziz :
« S’agissant des garanties judiciaires auxquelles peut prétendre M. Tarek Aziz, je relève que l’Irak est partie au Pacte des Nations Unies de 1966 sur les droits civils et politiques qui reconnaît à toute personne le bénéfice de garanties judiciaires procédurales.
Les autorités irakiennes ont, certes, le droit d’adopter des mesures qui dérogeraient aux obligations qu’impose cet instrument mais seulement en cas de danger public exceptionnel menaçant l’existence de la Nation et sous réserve de l’accomplissement de certaines formalités d’information des autres parties au Pacte, par l’intermédiaire du Secrétaire Général des Nations Unies. Or, à ce jour, les autorités irakiennes n’ont pas signalé aux autres Etats parties l’adoption de mesures dérogatoires. M. Tarek Aziz bénéficie donc, dans ses relations avec les autorités iraquiennes, de la protection que lui offre le Pacte des Nations Unies de 1966 précité »
.
Ce procès sans avocat se déroule donc en violation du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques.

Vous avez dit qu’Américains et Irakiens voulaient le faire pendre comme ils ont pendu Saddam Hussein. N’est-ce pas une décision à double tranchant, susceptible de se retourner contre ses auteurs ?
Le tribunal qui "juge" Tarek Aziz (présidé par le juge kurde Raouf Abdel Rahmane - Ndlr) est le même qui a condamné à mort Saddam Hussein, sans qu’aucune voix ne s’élève contre l’illégalité de cette décision.
En effet, si la peine de mort existait dans le code irakien au moment de la commission des faits reprochés à Saddam Hussein comme à Tarek Aziz, elle a été suspendue par le décret n°1 du 9 juin 2003 par l’Autorité provisoire de la Coalition. « La peine de mort est suspendue. Chaque fois que la peine de mort est la seule peine applicable à l’infraction, le tribunal peut y substituer la peine plus douce de la prison à vie, ou toute autre peine plus douce prévue par le Code Pénal ».
Le gouvernement irakien a rétabli la peine de mort le 8 août 2004. Or l’article 2 du Code Pénal irakien pose le principe - commun à tous les Etats de droit - de l’application de la loi pénale plus douce (lex mitior), ce qui signifie que si la loi a changé plusieurs fois depuis la commission d’une infraction, on doit appliquer la loi la plus favorable et pas seulement la dernière en date.
La loi intermédiaire interdisait au tribunal de condamner Saddam Hussein à la peine de mort.
Ils peuvent invoquer, pour excuser leur ignorance du droit, que l’argument n’a pas été soulevé par les avocats irakiens, français et américains de Saddam Hussein.
Ils ne pourront invoquer ces circonstances atténuantes en ce qui concerne Tarek Aziz car ils savent désormais que si nonobstant cette mise en garde, ils le condamnaient à mort, ils auraient à en répondre un jour ou l’autre, et là, en l’absence de loi intermédiaire, ils encourront la peine de mort.

Témoignages


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