Regard sur les élections... Avec Eric Magamootoo

A quand les vrais débats ?

28 février 2008, par Edith Poulbassia

A deux semaines des élections municipales et cantonales, le Président de la Chambre de Commerce et de l’industrie de La Réunion estime que les candidats n’abordent pas les vrais enjeux. Il parle de débats stériles, de catalogue de projets et attend un sursaut de la part des candidats avant que la population ne glisse les bulletins dans les urnes.

Quelle est votre vision globale des campagnes électorales actuelles ?

- Je voudrais d’abord situer ces élections dans le contexte. Les élections municipales comme les cantonales sont un moment important de débat où la population citoyenne est appelée dans une démocratie moderne à exprimer des choix sur des projets de développement culturel, économique et social.
Ces choix ont vraiment une importance car avec les lois de décentralisation, les maires, les conseillers municipaux et les conseillers généraux ont un vrai pouvoir pour influencer l’avenir de notre pays. Ce n’est plus Paris, la Métropole qui décide.
Or, je constate qu’on assiste plus à une bataille de personnes et à un débat qui n’élève pas le niveau, nous restons dans un débat de proximité. Et du coup, j’ai le sentiment d’un désintérêt qui s’illustre par l’absence d’une implication dans un projet collectif. J’ai le sentiment aussi que les gens n’y croient plus et qu’au final, nous sommes dans le dévoiement. Chacun cherche ce qu’il y a à gagner pour soi, du genre « mi veu inn ti travay, un permi construire pou mon kaz, etc... ». On se demande « kosa mi gingn » dans l’immédiat.
Je constate que les candidats abordent de façon trop communale ces élections, comme si le maire avait la solution à lui seul. Les candidats aux Municipales pourraient parler beaucoup plus par exemple d’intercommunalité, proposer une vision beaucoup plus large.
Pour moi, les élections municipales et cantonales ne peuvent se résumer à un catalogue de projets. C’est pourtant ce qui se passe en ce moment et ce qui se traduit par l’émergence de nombreux candidats. Les partis politiques sont pourtant des lieux prépondérants pour définir des propositions et choisir les candidats. Je crois que la multiplicité des candidats en dehors des partis ne relève que de l’égo. Il n’est pas dans mes intentions d’être moralisateur, je porte simplement un regard observateur.

Vous parlez de « débat de proximité ». En quoi est-ce négatif ? La proximité n’est-ce pas le propre de ce genre d’élections ?

- La proximité ne peut avoir de sens ou de cohérence que si elle s’inscrit dans une vision à long terme, une perspective globale des territoires. Nous ne sommes plus à l’époque où une commune peut ignorer par exemple les bassins d’emplois, ignorer la cohérence du territoire.
Et nous avons aussi cette vérité : les collectivités manquent de moyens financiers pour mener les projets avec efficacité. Comment résoudre l’endiguement, l’adduction en eau potable, répondre au chômage, à l’éducation ? Un maire seul ne peut pas résoudre tous ces problèmes, alors qu’il en a la compétence et la responsabilité. Il faut sortir des débats stériles en dépassant la proximité.
Cependant, la proximité en tant que lieu politique est très importante. Par proximité, j’entends la centralité urbaine, la structuration de la ruralité, en finir avec le temps de l’émiettement du territoire. Nous avons ainsi besoin d’optimiser les réseaux pour limiter les déplacements car ils coûtent cher. En ce sens, la proximité est une urgence à condition de réussir la globalité, essence du développement durable.

Quels sont les sujets qui mériteraient d’être abordés par les candidats et qui, selon vous, ne le sont pas ?

- La CCIR s’implique pour le développement des petits commerces. La nouvelle loi-programme accorde une place à ces petits commerces. Mais je n’ai vu aucun candidat prendre position sur ce projet, sur la zone franche globale d’activités, alors qu’ils ont été interpellés. Pourtant, la proximité, c’est aussi la redynamisation des centres-villes. Je n’ai pas entendu de projet de restructuration urbaine et rurale. Les petits commerces contribuent au lien social. On sait bien qu’un bourg sans commerces ne vit pas, mais on ne met toujours pas en place les conditions pour que les commerçants et les artisans puissent s’installer. Je pense ainsi aux prix exorbitants des loyers, alors que les communes devraient favoriser la mise à disposition de locaux, et aménager des parkings. On continue à construire en périphérie.
Nous parlons des petits commerces, nous pouvons aussi évoquer la place de l’agriculture. A chaque fois que nous allons construire une route, une école, avons-nous la garantie de reconquérir des terres agricoles ailleurs ?

Autre sujet : le problème de la culture dans la cité. Il en va de l’attractivité même d’un territoire. Les communes doivent intégrer le fait qu’un maire doit tout faire pour attirer les entreprises, industries, commerces, services. Ce n’est pas seulement un problème de taxe professionnelle, mais une question d’environnement. Il faut que la ville soit belle, attractive. Ce qui passe par des choix architecturaux, les couleurs, la structuration urbaine et rurale, et la place de la culture. Les bibliothèques, médiathèques, les aménagements pour le sport sont des clés d’attractivité. A cela, il faut ajouter des réserves foncières pour que les entreprises s’installent et apportent de la plus-value à la commune.
C’est un peu étonnant et dommage. Je trouve que le débat présidentiel a au moins eu le mérite de conscientiser la population sur de vrais débats, comme l’aménagement, l’emploi. Les Cantonales et Municipales auraient pu continuer ces débats, proposer les choix possibles et les hiérarchiser, car il est vrai qu’on ne peut pas tout faire. Mais rien de cela.

Je peux citer un dernier exemple de sujets importants absents des débats : la mobilité. Les candidats peuvent aussi réagir et donner leurs points de vue. Que ce soit La Possession ou la Plaine des Palmistes, toutes les communes sont concernées par la continuité territoriale.
J’espère que dans les jours qui viennent, nous assisterons à de vrais débats. Les médias peuvent d’ailleurs y contribuer. Avec le transfert des compétences (PLU, SCOT), les maires ont leur rôle à jouer pour le développement du territoire. On peut citer les deux lieux stratégiques que sont Pierrefonds et Cambaie. Pour le secteur touristique, c’est au maire de libérer le foncier afin de construire des hôtels. Nous n’avons rien entendu non plus pour l’instant en ce qui concerne l’aménagement le long de la route des Tamarins. Il y a pourtant là des enjeux stratégiques majeurs. Au niveau du Département, il existe aussi des choix urgents et importants à faire. Je pense à la structuration du transport collectif à l’intérieur des villes en prévision du tram-train ou encore à l’élimination et à la collecte des déchets. Tous ces sujets n’ont pas été évoqués.

Quels sont pour vous les grands enjeux de ces élections ?

- Il y en a trois. D’abord, l’aménagement du territoire, ensuite la problématique de l’environnement, c’est-à-dire la collecte et l’élimination des déchets, la collecte et le traitement des eaux usées. Enfin, je citerai l’éducation. Je ne parle pas de formation, mais de sens civique. A mon avis, il y a un délitement de la citoyenneté. Les champs municipaux et cantonaux me paraissent propices pour redonner le sens de la responsabilité aux citoyens.

Vous avez évoqué l’absence, dans les programmes, des moyens de financement des projets. Pas un mot sur l’Octroi de mer, principale ressource des communes, menacée de disparition en 2013. Soit le temps du prochain mandat municipal. Qu’en pensez-vous ?

- Les communes vont en effet être confrontées à une vraie réalité. La question des ressources fiscales va se poser d’autant plus que les dépenses vont se multiplier. Comment va-t-on faire avec moins de recettes, et une population qui dispose d’un potentiel fiscal faible ? Avec la menace qui pèse sur l’Octroi de mer, il faut se poser la question d’une réforme de la fiscalité locale. D’autant plus que depuis 20 ans, sur le plan économique, on est passé de la pêche, à l’industrie et enfin aux services, premier secteur économique. Or, la fiscalité est restée sur les deux secteurs que sont la pêche et l’industrie.
Cependant, l’Octroi de mer tel qu’il est attribué actuellement n’est pas équitable. Le système de dotation globale en fonction de la répartition de la population favorise les communes les plus peuplées. Les critères de répartition devraient mieux prendre en compte les petites communes.
Nous ne pouvons donc ignorer une réforme de la fiscalité. Nous ne pouvons pas penser que les Communautés d’agglomérations vont être la seule solution. Là encore, on n’entend pas les candidats.
Pourtant, les communes ne pourront pas laisser sur leur territoire une fonction publique à plusieurs vitesses, fonction publique d’Etat, fonction publique territoriale. Il faudra financer la titularisation des employés communaux.
Les mairies vont devoir investir pour la rénovation des écoles, l’amélioration de la restauration collective. On peut citer également les besoins d’adduction en eau potable, le foncier à viabiliser pour le logement social. 50% de nos communes ne sont pas aux normes pour l’assainissement.

Avec quel argent va-t-on faire tout ça ?

- Les candidats oublient aussi de préciser que la Région et le Département ont déjà fixé les priorités. Peu de candidats ont ainsi fait référence à ce cadre que constitue le contrat de projet 2007-2013, un véritable plan de financement qui engage les deux collectivités.
Au-delà d’une réforme de la fiscalité, les citoyens devront apprendre à devenir des usagers et se rendre compte que tout à un coût.

Entretien : Edith Poulbassia


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