Regard sur les élections

Campagne 2008 sous le signe de la « crise politique et budgétaire »

4 mars 2008

Élu de la société civile, il revendique et tient à conserver cette appartenance. Regard du citoyen sur la vie politique de la cité, Emmanuel Lemagnen nous livre ses impressions sur la campagne. Sans entrer dans l’analyse des grands enjeux de ces scrutins, l’absence de débat ou encore d’affichage des partis augurent, selon lui, un tournant dans la pratique politique. La société civile a une place à prendre pour « rabibocher le citoyen avec la politique ». Éclairages.

Dernière ligne droite avant le premier rendez-vous des urnes. Comment appréhendez-vous cette campagne électorale 2008 ?

- Je suis très dubitatif sur tout ce qui se passe. Mais au-delà de ce qui se passe, je constate un grand changement d’ambiance au niveau des Municipales d’abord, les élections les plus importantes à La Réunion. J’en ai vécu plusieurs, et c’est la première fois qu’elles sont aussi calmes : un calme spectaculaire. Finis les meetings des casseroles, les défilés de bus : c’est un changement dans le bon sens. Un changement d’ambiance qui est révélateur d’une réflexion des Réunionnais, car les élus se calquent sur les envies de la population.

« On ne peut pas faire gagner son pays » avec des promesses

Par contre, je suis frappé de voir que la campagne des Cantonales est, elle, marquée par un départ autonome des candidats sur le terrain. Chaque conseiller départemental a son programme individuel, alors qu’il s’agit de travailler sur les grands dossiers de la collectivité territoriale. Il n’y a pas de débat d’idées, de partage de programmes, de candidat, membre de tel ou tel parti, qui dirait “si nous sommes élus, nous ferons”... Par contre, on entend formuler des propositions qui ne sont même pas du ressort du Département, mais bien souvent de celui de la Région, qui sont liées au retrait de l’État, voire qui sont interdites par la loi. Il y a là une vraie irresponsabilité, un gros problème de défaut de gérance.

« Le calme spectaculaire » qui marque les élections municipales conduit surtout à l’absence de débat. Absence d’idées ? De propositions concrètes ?

- Il n’y a pas de débat car les candidats se fondent sur des programmes qui sont en gros les mêmes, marqués par les possibilités ou impossibilités de chacun et de tout le monde. On ne va pas se battre sur des thèmes comme le logement, l’éducation, l’emploi. Par contre, certains candidats font ici de la surenchère électorale, des promesses impossibles à réaliser, comme de supprimer la taxe sur l’eau. De cette façon, on peut certes gagner les élections, mais on ne peut pas faire gagner son pays. C’est très différent comme stratégie : il y a ceux qui font de la pure démagogie à des fins personnelles et ceux qui sont prêts à être impopulaires, mais savent ce dont on a besoin. C’est une question de courage politique.

« Aujourd’hui, l’ouverture, c’est aller piquer le candidat de l’autre »

Le courage politique, c’est donc ce qu’il manque à cette campagne ?

- Il suffit de se pencher sur la composition des listes pour constater que tout le monde a honte de son parti : pas de logo, d’affichage. Les candidats sont subitement en congés de leur parti ; il y a une espèce de rétention d’appartenance. On personnifie les élections, mais au niveau des partis, il y a un problème : a-t-on honte de lui ? Est-ce parce qu’il est impopulaire ?
J’en profite pour faire une parenthèse déontologique sur les listes d’ouvertures. J’ai vécu en 1989 à Sainte-Marie une liste de consensus, basée sur un contrat municipal. C’était peut-être un peu avant-coureur. La Région, avec le travail de Paul Vergès, a œuvré pour le rassemblement, puis l’Alliance, avec des personnes qui partageaient la même philosophie, le même esprit politique. Aujourd’hui, l’ouverture, c’est aller piquer le candidat de l’autre. C’est peut-être porteur à court terme et indique encore que le parti n’a plus rien à dire.

C’est la crise des partis alors ? La crise de l’idéologie politique ? Quelle alternative à cette déliquescence ?

- Il y a pas mal d’années que je pressens effectivement une crise des partis : premièrement, parce qu’on a tout essayé, et deuxièmement, parce qu’il n’y a plus d’argent. L’Europe a des pays bien plus pauvres que nous à s’occuper, quant à la France, on le sait, elle n’a plus d’argent ; les collectivités non plus, et que feront les communes si on enlève l’Octroi de mer ? C’est donc une crise politique et budgétaire. C’est dans ce contexte qu’un espace paisible de réflexion peut-être occupé par la société civile. On peut voir dans cette approche un mouvement de bon sens, neutre, qui n’est pas confronté aux enjeux électoralistes, qui est propre à exprimer les problèmes sans contrainte, à s’agréger d’autres membres et qui peut être à même de rabibocher les citoyens avec la politique. Si je prends mon cas, je ne suis pas candidat, et ce n’est pas faute d’avoir été sollicité, mais il y a tellement à faire déjà. En 2004, Paul Vergès m’a demandé de n’intégrer aucun mouvement pour justement conserver cette neutralité d’analyse, une certaine compréhension des choses. C’est une très bonne chose, car c’est ainsi que la société civile peut rester libre de ses opinions, qu’elle n’a pas à faire de concession avec la politique politicienne.

« La société civile a un rôle à jouer de trait d’union »

Cette crise politique et budgétaire que vous dépeigniez est préjudiciable à la défense de l’intérêt général. Quand on prend le dossier des emplois précaires de l’Éducation nationale par exemple, ces derniers se sont vu refuser l’ouverture d’un débat, alors que c’est le système éducatif qui est en jeu. Où cette fuite des responsabilités, cet individualisme vont-ils nous conduire ?

- Il est des problèmes qui n’ont pas à être politisés. On exacerbe le problème parce qu’on le politise. C’est là qu’il faut imaginer un espace de rencontres composé par la société civile ; un espace qui ne soit pas politisé pour aborder ces problèmes graves. C’est une façon différente de participer à la vie de la cité. Les TOS, que l’on soit de droite ou de gauche, on en a évidemment besoin. Les vrais combats réunionnais ne sont pas politiques, ce sont des problèmes partagés par tout le monde : c’est du bon sens. La société civile a un rôle à jouer de trait d’union. Pour l’instant, elle sert d’alibi, à remplir des cases. Demain, elle aura un rôle de catalyseur, de modérateur. Attendons de voir, d’ici quelques semaines, tous ces programmes qui se butent à la réalité budgétaire et réglementaire. Les électeurs vont rapidement comprendre que la solution n’est pas là.

Comprendre, mais trop tard. Le réveil risque d’être douloureux pour La Réunion.

- Malheureusement, il faut bien souvent s’attendre à ce que la situation s’aggrave pour que tout le monde comprenne. Prenons l’exemple du tram-train : plus il y a d’embouteillages, plus les citoyens y sont favorables. Il y a 10 ans, le projet aurait suscité 95% d’opposition. Aujourd’hui, on entend dire : “les embouteillages, on en à marre, vivement le tram-train” ! C’est la confrontation à un problème qui en génère une meilleure compréhension. Il aura fallu l’intensification des cyclones pour admettre le réchauffement climatique. Il faudra certainement encore celui électoral de 2008 pour permettre un nouveau réveil. Il faut faire confiance à cette jeunesse qui veut acquérir des capacités d’analyse, qui, sans être affairiste, aspire au changement, à la prise de responsabilité, car elle voit bien que le renouvellement de certains candidats présents depuis plusieurs années ne changera rien à la situation. Elle est davantage préoccupée de faire ce qu’il y a de meilleur. En continuant à faire entrer de bonnes volontés, de la moralité, le mouvement de la société civile va continuer.

Entretien réalisé par Stéphanie Longeras


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus