Regards sur les élections

Philippe Jean-Pierre, Directeur de l’Agorah

29 février 2008

Quel regard portez-vous sur cette campagne électorale ?

- Les municipalités et le Conseil général n’ont pas les mêmes compétences et c’est l’occasion pour la société de se projeter dans le futur : quel type de territoire on veut, quelle gestion, quel contrat sociétal... ?
On dit souvent, en forme de reproche, « on a les élus qu’on mérite ». Avec les années, sur plusieurs décennies, il y a un progrès de ce côté-ci, un effort pour structurer l’île. Le décideur politique s’inscrit, davantage aujourd’hui que par le passé, dans le projet et pas simplement dans la relation clientéliste.
L’aménagement de l’île d’une manière générale n’est jamais l’affaire d’une seule collectivité. L’aménagement étant l’affaire de tous, on souhaiterait pour les prochaines mandatures qu’il y ait une vision plus transversale. Il y a sans doute un effort de cohérence à faire, d’abord pour que les calendriers s’ajustent. On peut dire que l’aménagement est cette chance, pour le décideur, d’utiliser des outils, soit pour corriger des “forces de marché” qui iraient dans tous les sens, ou alors des inégalités ou des déséquilibres du territoire trop flagrants. Toutes les communes n’ont pas vocation à avoir forcément “la plus belle Zone économique”. La cohérence ne passe pas forcément par une concurrence frontale entre les différentes collectivités.

Est-ce que vous êtes entendu lorsque vous tenez ce discours aux élus ?

- Il y a un énorme hiatus, parfois, entre la vision que les élus se font de leur programme et, d’une part, la réalité, mais aussi, d’autre part, les “inconvénients” de leurs projets. Regardez les nombreux projets de port qui existent dans l’île. Bien sûr, chaque maire aimerait avoir dans sa commune un port, ou une Université, ou un aéroport... Il est nécessaire, dans un jeu pédagogique mais aussi d’éclairage, de leur dire : “Attendez, ce n’est peut-être pas la priorité ; allez plutôt vers la coopération intercommunale ; ayez une vision plus globalisante, plutôt que de voir les choses commune par commune”. Dans les projets qui sont apparus ces 18 ou 24 derniers mois, on voit un repli sur le projet communal.
Prenons les infrastructures portuaires. Quand on voit qu’aujourd’hui, chaque ville d’une communauté comme la CINOR (3 communes, 176.283 habitants, environ 20 kilomètres de côte- Ndlr) a son propre projet de port, peut-être qu’on pourrait se dire que ce pourrait ne pas être le même type de port ! Il pourrait aussi y avoir le port de la CINOR, divisé en trois types de structures, pensés comme outils complémentaires, plutôt que concurrentiels. Et après, il faut se demander “au service de quoi ferait-on cet outil ?” L’aménagement n’est pas une fin en soi.
Ailleurs, la “concurrence” se fait autour des Universités, des établissements d’enseignement supérieur : là aussi, chacun aimerait les avoir. On sait que l’enseignement supérieur et la recherche obéissent à une logique de coûts fixes et qu’il vaut mieux faire des économies d’échelle : quand vous rassemblez tout le monde, la recherche est plus efficace.

Une autre question ayant une incidente foncière forte est celle du logement social. Avez-vous vu les maires - en particulier ceux qui vont devoir se mettre à jour de la loi Dalo - faire des réserves foncières ?

- Je n’ai pas la possibilité d’apporter une réponse très fondée à cette question.
Nous avons une approche des réserves foncières au niveau global, mais pas un détail communal permettant de dire, par exemple, il y a eu tel bon élève. C’est un travail qui sera en cours, ici à l’Agorah, pour savoir ce qui peut être fait dans telle ou telle commune. On sait seulement que les réserves foncières actuellement disponibles dans l’île sont d’un peu plus de 1.000 ha. Elles sont relativement insuffisantes par rapport aux enjeux posés, par le logement notamment. Les bailleurs ont de moins en moins de foncier disponible. Ce n’est plus comme dans les années 70 ou 80, où il y avait encore de nombreuses zones à conquérir.

Quels sont les grands enjeux qui, selon vous, devraient animer cette campagne électorale.

- Quelqu’un qui travaille dans la politique d’aménagement s’attend à un effort de volontarisme des acteurs municipaux. En particulier, des maires. On a péché par manque d’anticipation. Laisser se faire n’importe quoi, c’est peut-être acheter une tranquillité immédiate, mais qu’on paie tôt ou tard. C’est vrai que certaines communes qui, durant les décennies précédentes, ont laissé s’éparpiller les populations, commencent à payer cher la facture parce qu’il faut du réseau, il faut faire circuler les bus pour aller chercher les petits, il faut équiper en école, et caetera. Bref, il y a d’énormes coûts ; le revers de la médaille est parfois onéreux. C’est un enjeu lié à l’aménagement de demain à La Réunion. A partir d’un certain moment, tout le monde paiera : en matière de déplacement, de transport, d’assainissement - ce sont des infrastructures lourdes.
La problématique du Sud est d’arriver à une gouvernance commune. Il y a deux Communautés de communes et les municipalités n’ont pas toutes une vision très claire, ni très homogène des projets. Mon ambition, au niveau des élus du Sud, est d’aboutir à cette plus grande cohérence. Il y a là aussi un défi à relever pour que cette gouvernance communale du Sud joue plus le jeu coopératif que le contraire.
La problématique de l’Est est de bien réfléchir à ce qui pourrait le rendre plus dynamique sur le plan économique. Dans nos travaux de prospective, il reste encore le parent pauvre ! On remarque que l’accès simplifié à l’Est n’amène pas les entreprises à s’y installer. Elles préfèrent rester dans le quart Nord-Ouest, l’Est restant la banlieue dortoir. Que faire ? Peut-être un foncier plus disponible, pour permettre à des entreprises de s’installer... On sait qu’il y a quelques projets.

Dans la somme des dossiers urgents que vous avez à traiter, quels sont ceux qui vous paraissent prioritaires ?

- L’important, pour notre agence d’urbanisme, est d’apporter des éclairages, des solutions ou des propositions d’action dans deux grands domaines : celui du transport/déplacement/énergie - parce qu’on voit bien que l’île souffre de congestion - et celui de la Ville de demain. Il faut bien voir que 60% à 70% des constructions existant à La Réunion ont été construites après la défiscalisation de 1986. Quand on voit ce que ça donne... En clair, en 20 ans, on peut faire beaucoup de bien, mais aussi beaucoup de dégâts. Il est important que les 20 prochaines années soient construites avec une plus grande vision. La ville de demain doit être compatible avec les préconisations de l’Agenda 21, et aussi avec une logique de déplacement humain, avec la localisation de l’emploi, sans déséquilibrer le territoire. Elle doit aussi anticiper certains phénomènes, comme le vieillissement de la population. 25% à 30% de notre génération atteindra 100 ans, 50% de la génération de nos enfants atteindra 100 ans : cela signifie qu’il faudra bien localiser les services médicalisés, bien penser la mobilité et faire en sorte que tout cela soit adapté. Cela aussi, c’est un défi.
L’aménagement doit participer à la réponse aux défis de l’avenir : accueillir quantitativement 200.000 à 250.000 personnes (infrastructures, logements, institutions, services...), en maintenant la qualité de vie.

Pascale David


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