Science et éthique

À qui sont les restes humains dans les musées ?

13 mars 2008

La notion de la légitimité scientifique est donc enfin posée. Au nom de quels principes les scientifiques peuvent conserver des restes et des squelettes humains ? Sont-ils au moins en accord avec l’éthique, et les droits humains ? Toujours est-il que la science rencontre des problèmes éthiques inédits, qui posent en surenchère la question du contenu des musées français. Ils risquent de se vider de leur collection ... « humaine ».

Cette affaire est passionnante, tellement l’on entendra des peuples exiger la restitution d’un des leurs. Tenez, puisqu’on en parle, rendez aux Réunionnais les ossements du marron retrouvé à Tapcal. Et puis, comme nous revenons tout juste des terres de Saartjie Baartman, la vénus hottentote, pour un pèlerinage vers une femme désavouée par la science, il est de bon ton de dire qu’il faudrait que La France se penche sur la question. Doit-elle rendre ses pièces de musée aux peuples spoliés de leurs pairs ? On répondrait facilement oui, de surcroît fermement. L’AFP qui accordait un article à cette affaire, révèle que « conservés dans les musées depuis des siècles, les squelettes, corps momifiés ou restes humains en bocal soulèvent ces dernières années des problèmes d’ordre éthique autrefois inconnus car la notion de la légitimité scientifique prédominait ». Où en sommes-nous avec la légitimité scientifique ? Prévaut-elle sur les rites d’une tribu et sa notion du sacré, quand bien même elle serait la plus petite du monde ? Depuis la fin des années 1990, la question se pose, lorsque des descendants d’hottentotes, appuyé dans leurs démarches par Nelson Mandela, ont exigé le retour sur ses terres de Saartjie Baartman. Elle fut conservée au Musée de l’homme jusqu’en 2002, et aujourd’hui elle repose « sans repos évident » sur une terre, qui ne l’a peut-être jamais vu. Là n’est pas la question, mais ce fait-divers international a sérieusement remis en question les motivations scientifiques.

Qu’adviennent-ils après leur étude ?

Plus récemment, l’affaire de la tête du guerrier Maori avait défrayé la chronique, et les Français ont été émus par cette histoire. Les visiteurs parisiens ont pu le voir une dernière fois au Musée Branly, après avoir été longtemps exposé au Muséum de Rouen. Les scientifiques s’inquiètent. Bientôt, les musées d’ethnologie seront-ils vidés de leurs objets, de leurs spécimens humains ? Alain Froment, du Musée de l’Homme, insiste sur le fait que l’on demande d’abord les restes et squelettes, et puis ce sont finalement « les poteries, les objets de culte, les plumes, qualifiés d’objets sacrés » qui disparaissent des musées. Et alors ? A qui appartiennent ces pièces ? Pour le scientifique, c’est un bien commun. Il déclarait au journaliste de l’AFP qu’il s’agit « toujours de mettre à l’étude la diversité humaine dans son ensemble, toutes les populations du monde sans en exclure aucune ». D’autant que ces pièces peuvent révéler leur secret bien après leur collecte. « Par exemple, la souche du virus à l’origine de la grande épidémie de grippe "espagnole", en 1918, a pu été trouvée dans des lames histologiques aux Etats-Unis. Ce genre d’"archives" a révélé aussi que le sida existait dans l’actuelle République démocratique du Congo dès les années 1950. Le fameux homme nain préhistorique de Florès, découvert en 2003 en Indonésie, a été identifié grâce à l’étude comparative de son crâne avec la série de crânes microcéphales du Musée de l’Homme (dépendant du Muséum national d’histoire naturelle) », explique Alain Froment. Certes ! Mais qu’adviennent-ils après leur étude ?

Utile à la société après sa mort !

« Notre base, conclut-il, c’est la science avec un grand S, apolitique et areligieuse mais non pas antireligieuse. Nous estimons que quelqu’un peut être utile à la société même après sa mort », déclare encore Alain Froment. C’est un fait. Mais il reste quelques questions. En quoi notre marron, disparu entre les archives du conseil Général et celles de la DRAC, pourrait-il servir à la société, si justement il est impossible de voir, de l’étudier ? En quoi est-ce si nécessaire de détenir les parties génitales d’une femme africaine, ou la tête d’un guerrier maori ? Il y a des pièces de musées qui témoignent de la barbarie française d’antan, de l’esclavage, de l’exploitation sexuelle, de l’exploitation tout court. Il est vrai que notre société a besoin de savoir, peut-être qu’il faut le voir pour le croire. Mais, a-t-on idée d’étudier anatomiquement un ancien président français, pour enfin l’exposer aux yeux de tous, sous le seul prétexte qu’il était un grand homme ? Non, la science a ses limites. Et il est de bon droit pour chaque homme qui habite cette terre de revendiquer les restes mortuaires d’un des leurs. Alors, que la Science française se dépêche de retrouver notre marron inconnu. Ce sera déjà un pas... pour que nous comprenions une part cachée de notre histoire.

Bbj


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