Les obsèques d’une figure emblématique réunionnaise

Adam Issop Ravate n’est plus

2 juin 2004

Une foule très nombreuse, inhabituelle et très recueillie s’est rassemblée dans la grande mosquée de Saint-Denis hier, à l’heure de la Namaz Djanaza (prière mortuaire) dite après la prière de l’après-midi (namaz zohar, vers 13 heures) pour l’enterrement d’Adam Issop Ravate, décédé la veille au soir, à l’âge de 82 ans. À la forte présence de la communauté musulmane s’est ajoutée la foule des nombreux amis, musulmans ou non, du disparu. Avant le transfert du corps à la mosquée, beaucoup s’étaient rendus au domicile de la famille, rue Félix-Guyon. Des personnalités du monde économique, politique et culturel, le député-maire de Saint-Denis, le sénateur-maire de Saint-André, le président de la Région, le préfet, l’Évêque, le président du groupe de dialogue interreligieux... ont tenu à s’incliner devant la dépouille de cette grande figure de l’île.
L’enterrement d’Adam Issop Ravate a eu lieu au cimetière musulman de Saint-Denis, trop petit pour la foule très nombreuse et diversifiée qui a accompagné le cercueil jusqu’au boulevard Lancastel.
Adam Issop Ravate est né à Saint-Denis en 1922 dans une famille originaire de Surate, près de Bombay (Gujarat). Son grand-père y possédait à Padgesvar une propriété de 300 hectares et aurait émigré à La Réunion vers 1890 pour fuir l’oppression coloniale britannique. Le père d’Issop Ravate a émigré à son tour en 1903, à l’âge de 13 ans, s’intégrant à la vie de l’île à travers le commerce d’un oncle, à Salazie, puis fondant le sien en 1908 à Saint-André, avant d’ouvrir la première boutique Ravate à Saint-Denis en 1922. À l’époque, les commerçants étaient payés en bons de sucre.
Adam Issop Ravate a vécu à Saint-Denis les six premières années de sa vie, jusqu’à ce que son père décide de retourner en Inde, où Adam va vivre jusqu’en 1936, apprenant l’anglais, l’urdu et l’hindi et fréquentant l’école coranique du village familial. Il revient à La Réunion à l’âge de 14 ans et fonde trois ans plus tard, en 1939, une petite entreprise de commerce du bois qui sera le tremplin vers la fortune, jusqu’à donner naissance à ce qui est aujourd’hui le 4ème plus grand groupe économique de l’île. Un groupe exclusivement familial, aux activités diversifiées, que dirigent aujourd’hui les huit fils et quatre filles d’Adam Ravate, tous actionnaires à part égale dans la holding (SA Ravate). Avec les filiales, le groupe emploie 750 salariés et a réalisé en 2003 un chiffre d’affaire de 220 millions d’euros.
Adam Issop Ravate avait gardé des liens étroits avec le Gujarat, où il s’est rendu l’année dernière encore, en dépit de sa maladie, avec un de ses fils, pour superviser les réalisations de la mission humanitaire - un hôpital, une école et des routes - qu’il a financées à Padgesvar. Réputé généreux et très cordial, Adam Issop Ravate a laissé dans le souvenir de ceux qui l’ont connu l’empreinte d’un homme modeste et très affable (voir encadré) .

P. David


Idriss Issop Banian : "Un homme ouvert à tous"
Le président du groupe de dialogue interreligieux, Idriss Issop Banian, a rencontré Adam Issop Ravate dans son “village” du Gujarat (20.000 à 30.000 habitants). C’était l’année dernière, à l’occasion d’une cérémonie organisée par l’université théologique du lieu. "Il avait beaucoup de sagesse et j’ai beaucoup appris avec lui sur ses origines indiennes. C’est avec beaucoup d’amabilité qu’il m’a confié des souvenirs d’enfance et de jeunesse. Bien que né à La Réunion, il avait reçu une formation religieuse dans son village indien avant de fréquenter l’école publique à La Rivière Saint-Louis", se souvient Idriss Issop Banian, qui a entrepris depuis vingt ans de collecter la mémoire de la communauté indo-musulmane de La Réunion. Il garde d’Adam Issop Ravate l’image d’un homme ouvert à tous et généreux. "En janvier 2001, après le tremblement de terre qui a fait des dizaines de milliers de victimes dans le Gujarat, j’ai été invité par le curé de Saint-Gilles les Bains, le père Gervais, à recueillir le fruit d’une collecte faite au profit des sinistrés. À cette occasion, le père Gervais m’a rappelé que dans les années 50, Adam Issop Banian avait financé la restauration d’une église de Saint-Denis, où il officiait alors".

Paul Vergès, président de la Région :
"Issop Ravate aura marqué l’Histoire de La Réunion"
"C’est avec émotion que je viens d’apprendre le décès d’Issop Adam Ravate. Acteur économique de premier plan, Issop Ravate aura marqué l’Histoire de La Réunion. Il restera, en particulier pour les Réunionnais d’origine indo-musulmane, un exemple d’intégration pleinement réussie.
Père d’une famille nombreuse, homme de foi, Issop Ravate s’est parfaitement intégré dans la société réunionnaise sans jamais perdre son identité culturelle, ni renoncer à ses convictions religieuses. Ouvert aux autres tout en restant toujours soi-même, Issop Ravate a été pleinement réunionnais. Il restera aussi, pour tous ses compatriotes, le symbole d’une réussite exceptionnelle. Cette réussite, qui a inscrit les établissements Ravate dans le paysage de la vie économique et commerciale de La Réunion, est le fruit de toute une vie de travail et d’efforts constants, et d’un sens de l’initiative et des affaires lui permettant de sentir et d’anticiper l’évolution de la société réunionnaise.
Ainsi Issop Ravate, né à La Réunion et dont le père était arrivé librement dans notre île comme nombreux de ses compatriotes d’origine indo-musulmane, mais sans aucune situation acquise, a réussi à surmonter les contraintes de la société coloniale de l’époque et est devenu en moins d’un demi-siècle, un des principaux acteurs économiques de l’île et une personnalité respectée. À son épouse, à ses enfants, aux établissements Ravate, j’adresse, en mon nom personnel et de celui du Conseil régional, mes très sincères condoléances".

Houssen Amode, président de l’AMR :
"Il aura œuvré pour la promotion de valeurs"
"C’est avec beaucoup de tristesse et de regret que nous avons appris le décès de M. Issop Ravate, personnalité éminente de la Communauté musulmane et de notre île. Toute sa vie durant, il aura œuvré pour la promotion de valeurs qui donnent un sens à la destinée humaine et permettant la vie en société. Il laisse le souvenir d’un homme affable, d’une grande ouverture d’esprit, qui aura réussi dans ses actions et entreprises, sans rien renier ou négliger aux plans religieux et moral.
À l’AMR (Association musulmane de La Réunion - NDLR), nous sommes des témoins privilégiés de ce qu’il a pu apporter à la Communauté musulmane en termes d’implication pour la réalisation et le fonctionnement des institutions culturelles et éducatives, mais aussi en termes d’image pour toute La Réunion à travers ses actions pour le développement et l’emploi, et ses œuvres sociales. Il nous a été aussi d’un soutien constant et a ainsi accompagné notre association depuis sa création. Avec sa disparition, c’est une page importante qui est tournée pour la famille et pour la Communauté musulmane réunionnaise. Au nom de l’Association musulmane de La Réunion, nous adressons à Mme Ravate, à ses enfants et à toute sa famille nos sincères condoléances, et le témoignage de notre sympathie et de nos encouragements en ces moments difficiles."

Élie Hoarau, secrétaire général du PCR :
"Sa volonté d’œuvrer pour plus de justice sociale"
"Au moment où M. Issop Ravate s’éteint, nous voulons lui rendre hommage et saluer sa mémoire. M. Issop Ravate, par son infatigable goût d’entreprendre, par sa volonté constante de s’investir personnellement et d’investir dans son île, par sa capacité à créer des richesses et générer des centaines d’emplois, a montré son ardente volonté de participer à l’essor économique et au développement de La Réunion. Son œuvre témoigne qu’au prix d’efforts constants, et d’une fidélité sans faille à la ligne tracée, la réussite est possible. Tout au long de sa vie, M. Issop Ravate a tenu également à montrer sa volonté d’œuvrer pour une Réunion où chacun aurait droit à plus de justice sociale. Au plan culturel, il a démontré tout à la fois son profond attachement à la culture héritée de son père, et aussi une ouverture d’esprit et d’acceptation de tout ce qui fait l’originalité de la culture réunionnaise. À son épouse, à ses enfants, le Parti communiste réunionnais apporte le témoignage de sa sympathie et présente ses sincères condoléances".

Franck Robert, président du SABR :
"figure emblématique de l’économie réunionnaise"
"Le SABR (Syndicat de l’artisanat du bâtiment réunionnais - NDLR) regrette la disparition de M. Issop Ravate, figure emblématique de l’économie réunionnaise... Humaniste, Homme de conviction, Issop Ravate nous quitte en laissant l’empreinte d’un homme qui a servi l’économie de La Réunion..."

Michel Vergoz, Premier secrétaire fédéral du PS :
"La Réunion perd une grande figure de son Histoire"
"Les socialistes de La Réunion partagent la grande douleur qui frappe la communauté musulmane... Bien au-delà, c’est toute La Réunion, dans sa diversité, qui perd une grande figure de son Histoire.
La Fédération socialiste de La Réunion salue le parcours professionnel remarquable réalisé par M. Ravate, qui l’a conduit à occuper une place importante dans le développement économique de La Réunion..."

René Paul Victoria, député-maire de Saint-Denis :
"Un des chefs d’entreprise les plus éminents"
"... Grâce à son courage, à sa passion de l’entreprise et aussi à son sens affirmé des relations humaines, Issop Adam Ravate a contribué au développement de l’économie locale et à la modernisation du commerce. Profondément attaché aux valeurs culturelles et cultuelles de l’Islam, Issop Adam Ravate était un exemple pour nous tous..."

Gonthier Friedérici, préfet :
"Issop Ravate laisse une œuvre remarquable"
"... M. Issop Ravate laisse une œuvre remarquable à La Réunion", en bâtissant "un groupe d’entreprises dynamiques" et en créant "de très nombreux emplois... Homme de conviction et d’honneur, il constitue un modèle de réussite d’intégration républicaine, et de tolérance entre les hommes et les religions..."


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