La délinquance dans la vie quotidienne des Réunionnais

Aller plus loin que la répression ou le fatalisme

13 avril 2005

Le 30ème numéro du Bulletin trimestriel de l’Observatoire de la délinquance vient de sortir. Il publie des statistiques soulignant une nouvelle fois les dangers qui pèsent sur la cohésion de notre société, car les grandes inégalités qui la caractérisent se reflètent dans le nombre et la nature des faits délictueux constatés. Plus une société est brutale, plus elle entraîne de brutalités chez ses membres.

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À l’occasion de la sortie de sa revue du 4ème trimestre 2004, l’Observatoire de la délinquance consacre une étude à la délinquance de voie publique (voir encadré) . C’est donc tout un dossier qui est consacré à une des insécurités les plus connues par le “Réunionnais moyen”, souvent vécues comme une somme d’incivilités qui peut conduire à l’exaspération.
Ces quelques données apportent un éclairage intéressant sur les défis bien spécifiques auxquels la société réunionnaise est confrontée. Et si l’on va au-delà des chiffres, on ne peut pas voir comme seule issue la répression plus intense de ces délits. On ne peut pas non plus sombrer dans le fatalisme, en considérant que ces incivilités sont la conséquence inévitable de l’irruption de la société de consommation dans un pays insulaire au passé colonial qui vivait voici seulement quelques décennies des relations sociales marquées par le régime de la plantation. Ce phénomène a des racines bien plus profondes, plus nombreuses et plus complexes.

En tête : les vols de voitures et de deux-roues

En 2004, la délinquance de voie publique à La Réunion représentait 52,4% des crimes et délits constatés. Mais à l’intérieur de cette catégorie, que constate-t-on ?
À la première place, on trouve les vols liés à l’automobile et aux deux-roues avec 51,3% (1) . Cela signifie qu’un crime ou délit constaté sur quatre est un vol concernant un moyen de déplacement. À la seconde place du “palmarès”, les cambriolages, avec 22,5%, suivis des destructions et dégradations de biens (18%), en légère augmentation.
Dans cette catégorie particulière de la délinquance, arrivent donc largement en tête deux types d’atteintes qui expliquent pourquoi dans notre île le “marché” de la sécurité privée est un pleine expansion.

Insécurité sociale

Mais cette insécurité croissante est-elle étonnante, quand la plus grande insécurité à La Réunion est celle qui pèse sur le droit à un emploi ?
Ce droit est écrit dans la Constitution française, le texte fondamental sur lequel se construisent nos lois. Or, sur tout le territoire de la République, ce droit est le moins respecté sur notre terre réunionnaise, qui va pourtant voir sa population active augmenter dans des proportions considérables.
De cette insécurité sociale découlent sans nul doute les autres insécurités, celles qui sont vécues par ceux qui possèdent ce que d’autres ne peuvent pas avoir dans les conditions actuelles. Pour se sentir en sécurité, ces personnes ont logiquement tendance à se protéger en se barricadant derrière des digicodes, des caméras, des barbelés, des vigiles et autres systèmes d’alarme.

La mère des insécurités

Toutes ces insécurités sont renforcées par plusieurs facteurs. On a tout d’abord la multiplication des messages qui appellent à consommer et à posséder. Mais que peut-on consommer et posséder quand on est condamné au revenu minimum ? Et qu’éprouve-t-on lorsque ce minimum détermine le mode de vie de toutes les générations qui se partagent le toit familial ?
Lorsque ce minimum semble être le seul horizon d’une vie et que constamment, par le biais de la télévision et de la publicité, s’affiche au cœur du bidonville ou d’un logement étriqué le mode de vie des plus nantis, n’est-ce pas là déjà une première explication à ce type de violente remise en cause d’une répartition des richesses que l’on estime injuste ?
Cela montre qu’avant d’appeler les autorités publiques à réprimer d’urgence ces incivilités, il faut bien prendre conscience que tant que va persister ce chômage, cette précarité et cette exclusion de masse, mère de toutes les insécurités, rien ne pourra être résolu durablement. Et le fossé, voire l’incompréhension, va se creuser entre deux mondes.

Conséquence de mauvaises décisions

Au-delà des inégalités, une autre explication peut venir de notre mode de vie bien particulier, avec notamment une politique des déplacements qui se résume aujourd’hui à la domination du tout-automobile. Un déséquilibre qu’il convient de remettre en question via une véritable politique multimodale des déplacements favorisant les transports collectifs.
Quel est en effet la raison des transports en commun ? Il s’agissait à l’origine de permettre à ceux qui n’avaient pas la capacité financière d’acquérir un moyen de transport individuel de pouvoir tout de même se déplacer rapidement, avec des garanties en termes de confort et d’horaires.
Or, les Réunionnais vivent quotidiennement une contradiction : ils vivent dans la région qui connaît le plus fort taux de chômage de l’Union européenne et en même temps, du fait des conséquences de choix pris par des décideurs irresponsables qui ont par exemple supprimé le train, ils sont prisonniers de la prédominance de l’automobile.

Un symbole de réussite sociale

Cela a pour conséquence d’exacerber la fracture entre deux mondes, entre ceux qui n’ont pas les moyens d’accéder à la motorisation individuelle et qui dépendent d’un réseau insatisfaisant de transports collectifs, et ceux qui ont la possibilité économique d’avoir les moyens de se déplacer en utilisant une automobile. Et quand on voit que souvent la possession d’un véhicule individuel permet de se rendre sur son lieu de travail, cela veut dire qu’elle constitue une étape qui permet de s’intégrer dans notre société.
Résultat : un simple moyen de déplacement évolue en objet de consommation révélateur des inégalités, et par conséquent en source de tentation pour tous ceux qui sont exclus de ce mode de consommation. Il est également assimilé dans l’inconscient collectif en symbole de réussite sociale.

Le même service pour tous

Avec la mise en œuvre d’une politique des déplacements basée sur une offre diversifiée de transports collectifs, capables d’être une alternative plus intéressante que la voiture individuelle, les données du problème changent fondamentalement.
En effet, le potentiel économique et la solvabilité d’une personne ne sont plus des facteurs déterminants pour la liberté de se déplacer. Érémiste ou dirigeant d’entreprise, chacun a la possibilité de prendre le même moyen de transport, de voyager dans les mêmes conditions de confort et d’arriver au même endroit, à la bonne heure, à tout moment de la journée et même tard dans la nuit. Tout ceci en allant sans doute plus vite que les véhicules particuliers, notamment aux heures dites de pointe.
Cela aura pour résultat de limiter sans doute le nombre de véhicules particuliers stationnés sur la voie publique, cela changera peut-être le regard qui sera porté sur ces voitures, objets aujourd’hui de nombreuses convoitises.
Aller vers une société plus juste, soucieuse d’atténuer les inégalités et de donner à chacun les mêmes chances de réussite est sans nul doute le moyen le plus efficace de lutter contre toutes les insécurités. Cela demande des moyens à la hauteur de ce défi, des moyens qui se doivent d’être adaptés aux exigences spécifiques de notre situation. De la réussite de cet objectif dépend la cohésion de la société réunionnaise du 21ème siècle.

Manuel Marchal

Un chiffre en augmentation par rapport à 2003, où les “vols liés à l’automobile et aux deux-roues” représentaient 49,9% de la délinquance de voie publique. (source : “Le Bulletin trimestriel de l’Observatoire de la délinquance”, n°30, p. 3).


Délinquance de voie publique

La “délinquance de voie publique” est un agrégat de différentes catégories de faits de délinquance constatés. Il cherche à mesurer le poids d’infraction qui, en raison de leur fréquence et de leur nature, ont le plus d’impact dans la vie quotidienne des citoyens. C’est une mesure de la délinquance la plus visible.
Cet agrégat regroupe les cambriolages, les vols d’automobiles et de véhicules de transport avec fret, les vols d’accessoires automobiles, les vols de deux roues, les vols à la roulotte, les vols à la tire, les destructions et les dégradations de biens publics et privés (sauf incendies et attentats), les destructions et dégradations de véhicules privés, les vols avec violence et les vols à main armée.
(“Le Bulletin trimestriel de l’Observatoire de la délinquance”, n°30, p. 2).


"À La Réunion comme ailleurs, la lutte contre la délinquance de voie publique représente un enjeu considérable, puisque ces crimes et délits sont parmi ceux qui contribuent le plus au sentiment d’insécurité de la population".

(Observatoire de la délinquance)


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