Dans la jungle des comptes bancaires

Au royaume des banques, le client est esclave

4 février 2005

Quel que soit l’établissement choisi, le client subit des prélèvements de frais contre lesquels il ne peut guère lutter. À La Poste, qui accueille de nombreux Réunionnais aux revenus modestes, les employés ont gardé la fierté de leur mission de service public. Mais l’établissement imite de plus en plus les banques.

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Lorsque vous ouvrez un compte bancaire, oubliez vos leçons de calcul. Ce n’est pas parce que vous dépensez aujourd’hui 50 euros par chèque que vous soustrairez la même somme de votre compte. Non. La somme sera débitée par l’ordinateur à la date d’hier ou d’avant-hier.
Si ce débit intervient avant l’arrivée de votre salaire, votre compte sera peut-être à découvert, et la banque prélèvera des frais de forçage. Peut-être 13 euros, que l’ordinateur vous prendra automatiquement. Et là, vous aurez dépensé 63 euros sans l’avoir choisi.
Ce petit exemple illustre la pratique des frais bancaires, bien décrite par les associations de consommateurs (voir encadré). Dans cette jungle, le client a intérêt à surveiller scrupuleusement ses comptes. D’autant plus que pour en ouvrir un, il a dû, dans certaines banques, acheter d’autres produits. Car la mode du “packaging” est arrivée à La Réunion. Pour un peu plus de six euros par mois, le client disposera d’un chéquier, d’une carte bancaire, et aura ouvert d’autres comptes avec actions ou parts sociales. Avec la particularité que dans deux banques réunionnaises au moins, le packaging est obligatoire et payant. Sans ces dépenses supplémentaires, pas de compte.

Rien n’est gratuit

Avec cette tarification, le client pourrait s’attendre à des gestes commerciaux ; un petit remboursement de frais, par exemple. Mais certains employés se cachent lâchement derrière l’ordinateur : "On ne peut pas rembourser, les frais sont prélevés automatiquement".
Ce que dément Bernard Vitry, responsable de la communication à la Banque de La Réunion : "Si on fonctionne comme des machines, les humains ne servent à rien !" Il précise : "On rembourse très souvent des frais, lorsqu’il y a dépassement exceptionnel de découvert, ou lorsqu’un virement est passé en retard."
Malheureusement, tous les employés de banque ne se montrent pas aussi conciliants (voir encadré) . Et la tentation est grande de chercher un établissement où votre argent restera le vôtre. Un petit tour des guichets s’impose... et laissera le client sur sa faim.
Dans telle banque, le retrait d’espèces au guichet sera facturé 5 euros ; dans une autre, le chéquier sera obligatoirement envoyé par courrier et facturé 3 euros. Dans le monde de l’argent annoncé facile, rien n’est gratuit.
Et La Poste, l’un des derniers représentants du service public ? Ses responsables, par l’intermédiaire du service de communication, rappellent qu’une étude comparative menée par un quotidien de l’île avait placé La Poste grande gagnante des bas tarifs. On le croit volontiers.
"Nous avons une mission d’intérêt général", précise Marc Pyram, directeur grand public pour La Poste à La Réunion. "La Poste, c’est plus qu’un métier, c’est la défense de certaines valeurs".
Et de rappeler que "les banques cherchent à n’avoir que des clients intéressants". Il est exact que les banques jouent aisément de l’argument “venez chez nous, car à La Poste, il y a trop de files d’attente”. Suivez mon regard : si vous devenez client de notre belle banque, vous ne serez pas obligé de côtoyer les pauvres et les érémistes.

"Le Réunionnais est fidèle"

Aux antipodes de ce raisonnement élitiste, les employés de La Poste revendiquent fièrement leur mission de service public : permettre aux érémistes, majoritairement évincés des banques, de jouir d’un vrai compte courant, sans prélèvements de frais abusifs.
C’est de toute évidence cette image de service public qui attire les clients. "Nos guichets ont ouvert en 2004 environ dix nouveaux livrets A par jour, alors que les années précédentes, on en ouvrait la moitié", estime un conseiller financier, syndiqué à la CGTR. "Quant à moi, j’ouvre environ quatre CCP (comptes chèques postaux) par jour", compte-t-il, ce qui marque aussi une hausse.
Ces augmentations sont logiquement liées à l’accroissement démographique de La Réunion.
Assiste-t-on également à un nomadisme de la clientèle ? Pas vraiment. "Les clients sont multibancarisés", explique Bernard Vitry, à la Banque de La Réunion, qui a vu le nombre de ses clients augmenter de mille en 2004 (5.000 ouvertures de comptes pour 4.000 clôtures).
Autrement dit : les clients ont des comptes dans plusieurs établissements, ce que confirme Marc Pyram à La Poste. Notamment parce que lorsque des prélèvements automatiques sont déjà programmés sur leur compte, certains clients rechignent à effectuer les démarches pour changer de compte et modifier les prélèvements. "Le Réunionnais est fidèle", constate le conseiller financier de La Poste.

"À la vitesse grand V vers la privatisation"

Laquelle Poste reste le seul établissement qui accueille les clients aux revenus les plus modestes. Mais, relativise le militant de la CGTR, "l’attachement (de la direction) au service public n’est qu’une façade". Et d’expliquer, exemples à l’appui, que La Poste imite de plus en plus les pratiques bancaires.
Les conseillers financiers sont "objectivés" : ils ont des objectifs à remplir (vendre au minimum X cartes de retrait, X assurances-décès, etc), sans quoi on leur “rectifiera leur complément de poste”. Entendez par là qu’ils seront mal notés et ne percevront pas de prime. Au guichet, les employés ont mission de vendre le plus possible de timbres, colis, Chronopost...
"Nous évoluons à la vitesse grand V vers la privatisation", résume crûment le conseiller financier cégétiste. Soulignant le glissement du mot “usager” vers celui de “client”, il témoigne : "Nous sommes tenus de diriger le client objectivement. De lui faire découvrir des besoins qu’il n’avait pas, comme une assurance-décès".
Quant à l’établissement de crédit postal, dont la création a été récemment approuvée par l’Assemblée nationale, il a pour but de garder les clients jeunes qui, voulant acheter une voiture, ne peuvent jusqu’à présent pas obtenir à La Poste de crédit à la consommation.
Intervenant en séance, la députée Huguette Bello avertissait (“Témoignages” du 21 janvier) : "il est plus que probable (...) qu’il (l’établissement de crédit postal) devienne rapidement autonome par rapport à la La Poste et qu’il adopte les critères de sélection en usage dans les banques".
Alors, pour se prémunir des comportements de prédateurs bancaires, les citoyens réunionnais devront-ils s’abstenir de consommer ?

Nastassia


La machine à culpabiliser

Toutes les banques prêchent la transparence et affichent leur catalogue de frais. Mais lorsque certains clients insistent pour le remboursement des frais, protestant un fonctionnement déshumanisé, ,la machine à culpabiliser se met en marche. "Vous auriez dû prévoir, attendre le versement du salaire pour émettre le chèque", assène l’employé d’une banque que nous ne nommerons pas, mais où beaucoup de clients se retrouveront.
Et si justement, le client scrupuleux a vérifié ses comptes sur Internet, a ordonné un virement pour combler le découvert ? Et si justement, le virement n’a été pris en compte que le lendemain, alors qu’il aurait dû être immédiat ? "Vous ne devez pas émettre de chèque avant d’avoir la provision", répond mécaniquement l’employé.
Le client essaie de se défendre : "Lorsque j’ai effectué mon virement, l’argent a été débité immédiatement, mais mon compte n’a été crédité que le lendemain. J’étais tout fait dans les temps !" Peine perdue : "La banque n’est pas responsable de ces retards". Mais qui, alors ?


La Poste montrée du doigt par l’UFC-Que choisir

Le lièvre avait été soulevé en septembre dernier par l’association nationale UFC-Que choisir. L’association de consommateurs avait lancé sa croisade contre l’inflation des frais bancaires, menaçant les réfractaires de poursuites judiciaires. Mais malgré un effort louable de transparence, les banques n’ont pas vraiment modifié leur politique de tarification. Il faut dire que depuis le passage à l’euro, elles se voient privées des gains substantiels liés aux achats de devises, et se rattrapent ainsi sur les consommateurs.
Afin de tenter de faire jurisprudence, l’association a carrément porté plainte en novembre contre cinq établissements, aux excès les plus visibles : le Crédit lyonnais, le Crédit agricole de Lorraine, la Caisse d’épargne d’Alsace, la Banque populaire Centre Atlantique... et La Poste !
À La Réunion, le délégué régional de l’UFC-Que choisir se contente pour l’instant d’enregistrer les récriminations des clients mécontents, et ne dispose pas d’une étude comparative régionale récente des frais. Mais si La Poste poursuit sa logique d’imitation des pratiques bancaires, les Réunionnais en pâtiront encore plus que les Français de Métropole, en raison de la modestie du revenu moyen.


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Messages

  • Surprise, vient de voir 9€ de frais de forcage sur mon compte Caisse Epargne. Certes je n’ai pas de découvert autorisé mais pensant qu’il me restait assez sur le compte, je fait une opération CB pour mon tel ( que la banque laisse passer quand même - du coup découvert de 1,50 €) d’ou le forcage CB - résultat 9 € pour 1,50€ de découvert alors ke je n’ai jamais eu aucun soucis auparavant en bon client ke je suis. ABUSE


Témoignages - 80e année


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