Les femmes entrepreneuses n’ont pas fini d’entreprendre

Ce n’est plus ’chacun à sa place’, mais... chacun(e) a sa place

16 juin 2006

Créée en 2002, dans le but de promouvoir la création d’entreprises par les femmes et de les accompagner dans leurs projets, l’association Entreprendre au Féminin à La Réunion poursuit sa route vers la nécessaire mixité du marché de l’entreprenariat. Les femmes sont encore sous-représentées dans de nombreux secteurs ou écartées des postes à responsabilité.

Si les femmes chefs d’entreprises réunionnaises, 70 à ce jour, ont décidé de se fédérer en réseau au sein de l’association Entreprendre au Féminin, c’est parce que ce rapprochement est source de développement. L’union fait la force, c’est bien connu, et les femmes en ont besoin pour rattraper leur retard et s’affirmer sur le marché du travail.

2% des femmes actives créent leur entreprise

Pour comprendre tout l’intérêt d’appartenir à un réseau de femmes entrepreneuses, l’association vient de réaliser un cédérom qui se présente sous la forme d’un court-métrage de 10 minutes, durant lequel des femmes chefs d’entreprises de différents secteurs d’activités témoignent de leur expérience. Cet outil servira de support à différents ateliers de rencontres ouverts aux porteuses de projet, afin de les soutenir et de les encourager à aller au bout de leurs idées.
Marianne Bosson, chargée de mission, responsable des projets et de l’animation pour Entreprendre au Féminin, précise que ce cédérom a "vocation de promouvoir l’entreprenariat féminin dans le sens de l’exemplarité et surtout de la réussite". À La Réunion, les dirigeantes d’entreprises représentent 22% des entrepreneurs du secteur commercial et 17% du secteur artisanal. Seules 2% des femmes actives créent leur entreprise, bien souvent dans des branches dites classiques. "On est toujours à la traîne", commente Marianne Bosson. "Nous sommes peu représentées dans les entreprises du secteur des nouvelles technologies, alors que nous sommes étonnamment présentes dans le secrétariat, utilisatrices de logiciels. Il y a très peu de “Web Mastrice”". Pourtant, les femmes réunionnaises peuvent occuper tous les niveaux de responsabilité, participer à la création d’activités, et par conséquent, à l’essor de l’économie réunionnaise. Mais il y a encore des réticences de la part des financeurs ou des collaborateurs à voir se positionner des femmes dirigeantes. Toujours la question de l’évolution des mentalités.

"Nos ambitions font un peu peur"

Tout commence par l’égalité des chances et l’orientation des élèves. "Les filles sont de bonnes écolières, relève Marianne Bosson, mais sont toujours dirigées vers les mêmes filières ou n’osent pas se retrouver seules en classe avec que des garçons". Là encore, il faut poursuivre, en partenariat avec les institutions, de grandes campagnes de sensibilisation auprès de la jeune génération, sur le modèle du Carrefour des Métiers au Féminin qui s’est tenu dernièrement à Saint-Denis. Ce n’est pas une utopie, mais un objectif clairement défini par l’association que de parvenir à la parité homme/femme au sein de l’entreprenariat réunionnais. "Notre devise, c’est s’unir et se servir du réseau, poursuit Marianne Bosson, et parfois nos ambitions font un peu peur. Les hommes ont compris que les femmes savent gérer leurs entreprises et que malgré tous ces freins qu’elles rencontrent, elles arrivent à s’organiser et à avancer". Le projet “100% femmes” de l’association vise ainsi à ouvrir le réseau à des femmes isolées, en lançant un concours qui permettra de sélectionner un projet et d’aider à sa concrétisation.

Stéphanie Longeras


"Entreprendre au Féminin dans l’océan Indien"

Sans se limiter à l’entreprenariat local, aux actions de terrain avec les acteurs régionaux et nationaux (Chancegal, Union européenne, Délégation régionale aux droits des femmes de La Réunion, ministère de l’Outre-mer), le réseau Entreprendre au Féminin s’ouvre sur la zone, amorce des échanges de compétences et de savoir-faire avec les dirigeantes d’entreprise des îles voisines. Déjà 5 entrepreneuses de Madagascar, Maurice, les Seychelles, Rodrigues se sont jointes à la dynamique pour former une sorte de carte de visite élargie, sous la forme d’un annuaire qui répertorie une centaine de dirigeantes dans les secteurs de l’industrie, des services et du commerce. Un site Internet www.efoir-reunion.asso.fr permet d’en savoir plus sur le réseau et ses membres.

SL


Témoignage

Il ne s’agit pas de parité mais de rééquilibrage

"Chacun a son mot à dire"

À 40 ans, Fabienne Jonca a toujours été indépendante. Conceptrice rédactrice à son compte, sans enfant, elle vient de créer sa propre maison d’édition “Quatre Épices”. Elle use pleinement de sa liberté, mais sait que d’autres femmes, aux parcours de vie différents, n’ont pas cette chance. Elle leur tend la main.

Avant d’être votre propre chef d’entreprise, avez-vous été salariée ?

- J’ai toujours été à mon compte, toujours été très indépendante, ce qui m’a permis de me consacrer totalement à ma passion, l’écriture, de toucher à plein de choses différentes, de travailler avec des clients de tous les horizons et d’aborder des sujets totalement variés. C’est très agréable et participe à une certaine ouverture.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées pour mener à bien vos projets ?

- Les difficultés sont toujours les mêmes au début. Homme ou femme, c’est le parcours du combattant. À 40 ans, je viens de créer ma boîte d’édition, j’ai du changé de statut, refaire des démarches et je me rends compte que c’est toujours aussi difficile, aussi compliqué... ça n’a pas changé, si ce n’est qu’avec l’expérience, les contacts, on avance un peu plus vite.

Qu’est-ce qui vous a incité à adhérer au réseau Entreprendre au Féminin ?

- C’est justement pour faire partager cette expérience, ces contacts, accompagner des porteuses de projets. Mon but est surtout d’aider d’autres femmes moins bien loties, issues de milieux défavorisés. Nous ne sommes pas là pour nous substituer aux institutions, mais peut-être pouvons-nous ouvrir certaines portes, servir de cautions et d’intermédiaires, faire bénéficier de notre réseau.

Quel regard porte les hommes sur une femme indépendante ?

- Je ne suis pas tellement sensibilisée à ce débat sexiste. Je pense qu’à partir du moment où l’on a les compétences, que l’on est convaincue de ce que l’on fait, ça se passe bien. Pour ma part, je n’ai jamais reçu de regard de méfiance, pour d’autres ce n’est pas toujours le cas. Tout est une question de respect mutuel.

Au-delà de la charge familiale, qu’est-ce qui entrave le plus la femme dans la réalisation de ses projets ?

- N’ayant pas d’enfant, je peux m’investir totalement, de 7 heures à 23 heures, dans ma vie professionnelle. Si c’était le cas, ce serait certainement très différent. Je suis très admirative à l’égard de ceux qui arrivent à gérer de front vies familiale et professionnelle. Même si les difficultés d’entreprendre sont aussi bien inhérentes aux femmes qu’aux hommes, même si les rapports entre les sexes se sont simplifiés, je pense que l’on ne parle pas le même langage. Certaines femmes sont freinées par cette pesanteur culturelle qui veut que, dans notre civilisation judéo-chrétienne, elle s’occupe avant tout de la famille et des enfants. Une vie professionnelle est plus difficile et lourde à mener quand on doit tout gérer de front. La voie du milieu est toujours plus difficile à trouver et certains petits complexes n’aident pas.

Que peuvent apporter les femmes au monde de l’entreprenariat ?

- Déjà, le simple fait de tenter l’expérience est positif. Il faut rééquilibrer un peu les choses. Sans revendiquer aucune parité, chacun a son mot à dire. Contrairement aux entrepreneurs qui font souvent preuve d’un esprit de compétitivité accru, je pense que les chefs d’entreprises, sans être moins combattives, peuvent apporter une autre façon de diriger, d’autres valeurs et un nouveau type de relations moins agressives. On n’est pas habitué à voir une femme diriger des hommes dans le bâtiment, et les femmes sont parfois complexées de leur statut de femme. Une chef d’entreprise peut faire évoluer le regard des autres et c’est dans le regard des autres que l’on peut aussi être différent. C’est le regard des autres qui peut nous aider à vivre les choses plus sereinement.

SL


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