Questions impertinentes à… Sergio Erapa

« Comparés au Père Pedro ou à Sœur Emmanuelle, au Père Guy Gilbert ou à Mère Térésa, avec nos clubs de football, nous sommes des nains… »

19 octobre 2010

Sergio Erapa est Président de la Jeanne d’Arc. Avec lui, nous avons voulu sortir de l’enceinte des stades et, le temps de trois questions impertinentes, remuer le terrain sur lequel peuvent courir ses réflexions quand il regarde plus loin que le but adverse. Voici son interview, avec les mots qui lui appartiennent.

Jimmy Bonmalais, le Directeur de l’entreprise d’insertion Pasrel, déclare dans le dernier numéro du mensuel “Eglise à La Réunion” que « Aider les personnes en difficulté est une prière permanente ». Présider un club de foot relève-t-il, selon vous, de l’acte de foi, de l’inconscience ou du souci d’espérer trouver ainsi le sourire reconnaissant de cet arrière grand-père qui, il y a de bien nombreuses années, se lança le premier dans l’aventure ?

— Je pense que Jimmy a bien raison. Et le croyant que je suis mesure bien qu’il ne peut rester chez lui à prier tranquillement pendant que la vie se passe… je devrais dire se joue… dans la rue, dans le quartier. Là où il y a des gens qui vivent. Qui vivent et qui espèrent. Il y a sûrement une part d’inconscience dans nos engagements militants. Mais le Christ ne nous a–t-il pas donné la plus belle image de l’Inconscient qui interpelle ceux qui, à se croire conscients, laissent les choses aller à veau l’eau et ne se préoccupent que de leur bien-être personnel ? Je n’ai pas le droit d’être égoïste. N’empêche, si le Bon Dieu pouvait de temps en temps nous donner un p’tit coup d’main, Jimmy et moi, et tous les autres “inconscients”, nous ne dirions pas non !

Comment s’articule la semaine du Président de la Jeanne d’Arc ?

— J’ai à tenter de conjuguer obligations familiales et professionnelles avec ce que demande tout engagement militant. En semaine, les journées commencent donc un peu avant le lever du soleil, mon épouse n’ayant pas à assumer toute seule ce que nous avons fait ensemble. Une fois ces multiples “petites” choses faites, mon quotidien se résume à essayer de trouver en permanence des solutions aux problèmes qui sont posés ou qui surgissent. Et il n’en manque pas, de l’infiniment simple au diaboliquement compliqué. Il faut aussi tenter d’anticiper sur les décisions qu’il me faut prendre et qui ne peuvent attendre que l’on réunisse tout le monde pour que, comme le souhaitent parfois certains, l’on tourne autour du pot, l’on hésite et finalement on laisse trainer, voire pourrir la situation. C’est un véritable exercice.
Un véritable exercice qui nécessite beaucoup de diplomatie. On devrait l’écrire quelque part en gras : la mission première d’un dirigeant, c’est d’être diplomate. J’ajoute que le dirigeant qui n’a pas une épouse qui “assume” comme on dit, celui-là ne tiendra pas longtemps. En vous disant ceci, j’ai une pensée reconnaissante pour toutes les “Daisy” de la terre… J’ai aussi une pensée pour mon arrière grand-père, Émilien Dérimer. A l’instar de Charlemagne qui a eu, selon la chanson, « cette idée folle un jour d’inventer l’école », mon aïeul fonda la Jeanne d’Arc. J’ose espérer qu’il prie souvent pour moi, là où il se trouve…

Qu’est-ce qui vous semble le plus préoccupant aujourd’hui : ces supporteurs qui rêvent de la victoire finale, des joueurs tétanisés par le spectre du chômage ou la paix sociale qui est si fragile dans notre société ?

— J’adore nos supporteurs. Ce sont des garçons et des filles exceptionnels. Un jour, il faudra élever une statue à Tonino, le président de notre kop. J’ai une immense admiration pour les joueurs. Ils s’entrainent plusieurs fois par semaine, mouillent leur maillot et doivent apprendre à rester humbles dans la victoire pour savoir analyser sereinement toute défaite et la relativiser sur l’autel des drames qui nous entourent.
Car ma plus grande préoccupation, c’est cette misère qui pèse sur des millions d’êtres humains, dans des pays qui sont autour de nous et dont nous n’avons pas le droit d’oublier qu’ils sont nos frères.
Ceux qui, dans ces pays, à l’instar du Père Pedro à Madagascar, du Père Guy Gilbert avec ses “loubards” ou, hier, Mère Térésa et Sœur Emmanuelle, ont lutté et luttent chaque jour en déployant des trésors de générosité vraie, ceux-là sont les vrais héros de nos temps. Avec nos équipes de foot, en face d’eux, nous sommes des nains. Nous n’avons pas le droit d’exagérer notre mérite.

Interview réalisée par R. Lauret


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