
Mal-do-mèr dann sarèt
28 juin, parLo zour la pokor kléré, Zan-Lik, Mariz é sirtou Tikok la fine lévé, mèt azot paré. Madanm Biganbé i tir zot manzé-sofé, i donn azot, zot i manz. (…)
Idées
25 mai 2007
Le sociologue et chercheur réunionnais Laurent Médéa consacre depuis plusieurs années une bonne partie de ses recherches au problème de la délinquance à La Réunion. Le 29 mars dernier, lors d’une conférence-débat organisée par la Chambre de commerce et d’industrie de La Réunion sur le thème “Identité réunionnaise et modèle de développement économique”, le jeune chercheur a fait un exposé sur les causes de ce problème. Les causes sociales plus précisément.
Ce thème est malheureusement trop rarement abordé lorsqu’on stigmatise les délinquants sans essayer d’expliquer leurs comportements et que l’on cultive l’insécurité sans s’attaquer à ses raisons profondes et multiples. On lira ci-après le texte de cet exposé de Laurent Médéa. Les intertitres sont de “Témoignages”.
En consultant les archives des prisons, j’ai pu constater qu’aux yeux de la Justice, la délinquance a toujours existé à La Réunion, mais qu’elle est anecdotique jusqu’au début des années 90. Depuis, elle commence à augmenter de manière exponentielle jusqu’à aujourd’hui.
J’ai constaté également que dans les années 60 et 70, la majorité des jeunes étaient incarcérés pour des vols alimentaires, en particulier des vols d’animaux, de poules, canards, cabris, etc... et non pas des vols de biens matériels.
D’autre part, le type de délits a évolué ; aujourd’hui, la majorité d’entre eux se répartit de la manière suivante :
- les vols aggravés, avec ou sans violences ;
- les cambriolages ;
- le racket ;
- les agressions sexuelles ;
- le trafic de zamal et de médicaments psychotropes ou stupéfiants (Artane, Rivotril etc.).
Impasse sociale et identité
Les circonstances précises de ces manifestations de la délinquance permettent de comprendre un certain nombre de facteurs explicatifs, comme l’origine, l’affirmation identitaire, l’injustice ou le sentiment
d’injustice et la frustration face au manque de travail.
Aujourd’hui, l’identité de ces jeunes en difficulté ne peut se fonder sur un projet professionnel. Ils recherchent une identité personnelle distinctive parfois dans des succès sportifs ou dans la musique, parfois aussi dans les “bizness” ou dans les bagarres‚ surtout dans le contexte réunionnais
marqué par une impasse socio-économique pour beaucoup de ces jeunes. Impasse à laquelle s’ajoute un questionnement identitaire grandissant.
Un manque
La très grande majorité des délits pour lesquels les jeunes que j’ai interviewés ont eu des démêlés avec la justice sont le vol, les agressions physiques et le racket.
Selon mon enquête, la majorité des vols sont motivés, d’après leurs auteurs, par le manque ou le besoin. Les jeunes sont notamment attirés par les biens de consommation qu’ils ne peuvent acquérir. Ainsi, ce type de conduites délinquantes se caractérise par des actes d’appropriation et des agressions instrumentales pour voler ou obtenir un service.
Il ressort de cette prédominance du vol que les actes délinquants sont majoritairement motivés par la volonté d’accéder à des biens inaccessibles par d’autres moyens. Cela signifie que le vol s’explique le plus souvent par la condition socio-économique des jeunes.
C’est donc avant tout la frustration liée au milieu social qui semble être ici la première explication du passage à l’acte. On peut parler alors de « délinquance de précarité », qui est liée directement au statut socio-économique des jeunes et à leur environnement, qui les mènent à
commettre des actes en rupture avec la loi pour accéder aux biens dont ils sont privés par la faiblesse de leurs ressources.
Proximité de valeurs dominantes
D’autre part, vous avez sûrement remarqué que les jeunes dits délinquants portent souvent des vêtements de marque. Le port de vêtements de marques permet, pour certains jeunes, de se forger une identité nouvelle, alternative à celles de jeunes de milieux pauvres qui est la leur.
Cela leur permet également d’accéder, même temporairement, à un statut social supérieur. Ils éprouvent le besoin de porter ces marques. On peut alors parler ici de « vols de conformité ».
Ces jeunes volent des produits de luxe pour pouvoir faire comme les autres, pour vivre dans de bonnes conditions. C’est un vol motivé par le désir de conformité. Le vol de biens de consommation montre la proximité avec certaines valeurs dominantes, dont l’ostentation, l’accumulation de biens, la valeur accordée aux marques, qui sont, pour eux autant de symboles de la réussite sociale.
L’attrait de l’automobile
À La Réunion, la délinquance est aussi marquée par la grande proportion de vols de véhicules. Les voitures sont nombreuses, relativement faciles à
dérober et le sont, la plupart du temps, pour l’usage et non pour la revente. Les jeunes agissent sous l’impulsion du moment, expliquant le vol
d’usage comme un emprunt. Ce vol peut être motivé par la seule volonté de se déplacer d’un point à un autre.
À La Réunion, la voiture occupe une place symbolique particulière. Dans une île où les transports collectifs sont encore peu développés, la voiture reflète le niveau de vie et donc le niveau du statut social du conducteur. La voiture reste ainsi l’objet de consommation par excellence, symbole de richesse mais aussi de puissance, de rapports de force entre individus mais aussi de vitesse.
De plus, les bandes de jeunes utilisent les voitures volées ou “empruntées” comme des objets d’échange et des symboles de prestige et de domination. Le vol de voiture est donc présenté comme un moyen d’accéder même ponctuellement à un statut supérieur, qui associe le prestige de l’âge adulte, de la virilité et de la richesse.
Il révèle ainsi les domaines dans lesquels les jeunes ont besoin de s’affirmer, car ils souffrent d’une difficulté à trouver leur place dans le monde adulte.
Société de consommation
Dans le cas des quartiers dits populaires, la situation très critique d’un grand nombre de jeunes (fort taux de chômage, oisiveté, rupture avec le système scolaire, etc.) peut alors fournir un autre élément d’explication du passage à l’acte. Les bouleversements qu’a connus cette société au cours des dernières décennies ont été marqués par l’avènement brutal de la société de consommation et la rapide augmentation du pouvoir d’achat des Réunionnais qui l’a accompagné.
Nous vivons aujourd’hui dans une société dominée par la loi du marché et du profit, qui crée dans l’ensemble de la jeunesse des aspirations à la jouissance des biens de consommation. Cette société s’enrichit
globalement mais elle maintient en son sein de fortes inégalités sociales.
Redistribution violente
Dans ce contexte, le type de délinquance analysé plus haut se renforce de plus en plus car le fossé entre les classes favorisées et les classes défavorisées ne cesse de grandir.
Dès lors, il y aura toujours une partie des jeunes pauvres qui voleront
pour posséder les mêmes biens. Ceci doit amener à reconnaître qu’il existe une délinquance juvénile qui est liée de façon structurelle au
fonctionnement de notre société, qui suit logiquement l’évolution de la
société de consommation et qui opère en son sein une sorte de
redistribution violente.
Des béquilles identitaires
De plus, il semble évident que les pratiques de consommation et les évolutions de l’identité sont étroitement liées. Il apparaît que, pour combler les carences identitaires dont ils souffrent, les jeunes consomment et donc volent quand ils n’ont pas les moyens d’accéder aux biens de consommation.
Le marché est générateur d’une violence infinie pour celui qui ne peut pas consommer. Et cela produit de la frustration.
Les jeunes sont victimes de la mode et de la publicité ; ils tombent dans le
piège de la société de consommation qui veut leur faire croire que le
bonheur peut s’acquérir par l’accumulation de biens. Les marques
fonctionnent donc ici comme des identités de substitution et les premières victimes en sont les jeunes déstructurés.
Pour ces jeunes, le risque est que tout se vive sur le seul mode de la consommation, la pub devenant l’idéologie de la société de consommation.
Les grandes marques commerciales deviennent alors de véritables béquilles identitaires pour des individus toujours davantage en carence narcissique et sociale du fait de la violence de nos sociétés : violence économique, sociale, politique mais aussi ethnique, sexiste, âgiste (anti-vieux ou anti-jeunes).
Le rôle identitaire des marques de vêtements de sports, dans le cas étudié, semble incontestable quand on voit que ces tenues se transforment en uniforme. En revêtant ces tenues qu’ils associent
fortement à leur identité de “jeune des quartiers populaires”, ces jeunes
jettent également et involontairement les bases de la stigmatisation sur
le critère de l’apparence physique dont ils sont victimes.
Un système qui incite à surconsommer
Le problème qui se pose à La Réunion est le suivant : les jeunes adhèrent de manière excessive à la société de consommation. Il n’y a pas plus consommateur qu’un jeune réunionnais. Les valeurs sociales qui font dire à ces jeunes : « mi existe » sont celles du marché puisqu’ils n’ont pas la possibilité de choisir une autre identification possible.
À l’échelle de la société réunionnaise, on constate également que la population surconsomme, exprimant une forme de malaise identitaire collectif et une perte du sens de l’initiative et des responsabilités.
La surconsommation n’est pas un besoin en soi. C’est l’incitation à la
surconsommation que l’on doit analyser. À La Réunion, dans les années 60
et 70, les familles ne faisaient pas de dépenses inutiles dans un contexte
où l’offre de produits n’était pas très diversifiée.
Avec l’arrivée des aides sociales et la modernisation de la société, on assiste au développement d’un système qui encourage les foyers à surconsommer. Les faibles revenus se retrouvent dans une situation de grande frustration car ils ne peuvent accéder à tout ce que le marché leur propose et en même temps faire face aux charges de la vie quotidienne.
Crédit et endettement
L’autre corollaire de cette nouvelle société de consommation, c’est le crédit. Les foyers défavorisés s’endettent pour avoir le même niveau de consommation que celui des autres milieux sociaux. Ainsi, leurs enfants entrent dans un cycle de turbulences psyco-sociales provoquées par le désir.
On comprend alors que la possession de biens dont les mérites sont vantés par la publicité devient pour ces jeunes en difficulté un objectif salutaire car elle comblera un manque matériel mais surtout symbolique : posséder permet de repenser son identité sous un angle valorisant.
Si la quête identitaire reste au cœur des explications des comportements
déviants, ce n’est pas uniquement du point de vue de l’acteur en lui-même
mais également du point de vue de la société qui réagit face à cet acte
déviant. C’est cette réaction qui affecte également l’identité, renforçant
les mécanismes évoqués plus haut.
Un contexte de montée des inégalités
Ma démarche sociologique place le contexte socio-économique des actes
déviants ainsi que les conséquences de la réaction sociale au cœur de mes
préoccupations, ce qui me permet de dire qu’à La Réunion la délinquance
juvénile se pose avant tout en termes identitaires.
Dans un contexte de montée des inégalités, les jeunes expriment de plus
en plus de frustrations, voire de ressentiments qui se focalisent sur des
groupes qu’ils identifient comme détenteurs de pouvoir et de richesse. La
question du malaise identitaire semble alors centrale pour comprendre les
mécanismes qui poussent les jeunes à vouloir posséder à tout prix un
Booster, Lacoste, Nike etc.
Dans ce type de délinquance, on voit que l’acquisition du bien est un moyen d’accéder à un statut, de revendiquer son identité. La signification que l’on peut donner à l’acte délinquant est donc de prouver que l’on existe.
Un “jeu social” faussé
Il apparaît ainsi que le comportement déviant des jeunes des quartiers
populaires peut en partie s’expliquer par les frustrations ressenties du
fait du décalage entre leurs moyens et leurs aspirations ou envies, attisées par la publicité et par les valeurs de la société de consommation ; elle s’explique aussi par le fait que leurs moyens sont souvent limités dans un contexte qui leur offre peu de perspectives d’évolution.
Ces jeunes ont peu intérêt à “jouer le jeu social” ; un jeu faussé, dans la mesure où leurs perspectives de réussite et d’ascension sociale sont très limitées. Les valeurs communes de la société que sont le travail, l’effort ou la réussite scolaire ont donc peu d’emprise dans ce contexte. Ces mécanismes permettent de comprendre, à un niveau théorique, comment le jeune peut un jour transgresser l’interdit, puis ensuite répéter ces actes déviants.
Laurent Médéa
Lo zour la pokor kléré, Zan-Lik, Mariz é sirtou Tikok la fine lévé, mèt azot paré. Madanm Biganbé i tir zot manzé-sofé, i donn azot, zot i manz. (…)
Le calendrier scolaire élaboré par le Rectorat pour les 3 prochaines années est désormais connu et fait débat. Pour cause, à l’exception de (…)
Sur proposition de Gérard COTELLON, directeur général de l’ARS La Réunion, Patrice LATRON, préfet de La Réunion, a décidé le retour au niveau 2 du (…)
Le Conseil départemental a décerné, le vendredi 27 juin, les prix « Thérèse Baillif » et « Célimène » lors d’une cérémonie organisée dans (…)
Les cours du pétrole ont connu une nette hausse à partir de la deuxième quinzaine du mois de juin, portés par l’extrême tension au Moyen-Orient et (…)
Mé dam zé méssyé, la sossyété,dsi la késtyonn fors néna la fors natirèl, sak wi gingn an néssan épi an grandissan korèktoman. Mwin lé sirésèrtin (…)
Le 16 juin 2025, le Tribunal administratif de Paris a suspendu en référé l’arrêté du 26 février 2025 ordonnant le blocage de 17 sites (…)
Le Président des Etats-Unis, Donald Trump a ordonné le bombardement de trois sites nucléaires en Iran, dans la nuit du 21 juin 2025. Dans une (…)
Les élus de Guadeloupe ont adopté des résolutions « sur la fusion des deux collectivités, sur les compétences et l’autonomie fiscale », le 17 juin (…)
Des manifestants, réunis le 23 juin devant les institutions européennes, ont demandé la suspension de l’accord d’association liant l’UE à Israël. (…)
L’État poursuit son engagement en faveur de la transition énergétique et de la décarbonation de l’électricité à La Réunion. À l’issue d’un appel à (…)
Normalien et énarque, chercheur en philosophie politique, Bruno Guigue est professeur invité à l’Université normale de la Chine du Sud (Canton) et (…)