Droits et société

De l’identité réunionnaise aux discriminations...

1er juin 2007

Lors d’un dîner-débat organisé par la section dionysienne de la Ligue des droits de l’Homme avec la participation du sociologue Laurent Médéa, le doigt a été mis sur le problème crucial des discriminations qui minent la société réunionnaise et son unité culturelle.

Vendredi dernier, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a organisé à Saint-Denis un dîner-débat sur le thème : "Identité créole et identité réunionnaise". Cette rencontre s’est déroulée autour de la présentation par le sociologue Laurent Médéa d’extraits de sa thèse de doctorat sur les composantes ethniques de notre société et sur les perceptions par ces différents groupes de notre population de l’identité culturelle réunionnaise.
Cette thèse est intitulée "La formation de l’identité et de la créolisation dans une situation néo-coloniale : le cas de La Réunion". Elle contribue à étudier d’une part les interactions entre la créolisation et la domination et d’autre part l’influence de ces interactions sur le processus de la formation de l’identité culturelle et sociale à La Réunion. Son objectif est de savoir si l’idée de la créolisation est définie comme une forme de la formation de l’identité locale dans une société créole et si la créolisation est viable dans un contexte d’assimilation métropolitaine.

230.000 données

Pour cela, Laurent Médéa a essayé d’analyser la formation et la construction de l’identité sociale et culturelle en se focalisant sur l’aspect sociolinguistique de l’identité, notamment sur la formation socio-historique de la langue créole, qui lui a permis de comprendre la formation de la culture créole et des structures sociales. Il s’est ensuite penché sur les conséquences de la Départementalisation sur l’identité pour décrire l’identité née de ce processus politique et économique.
Son but était de re-définir les transformations sociales et identitaires en revisitant la notion de néo-colonialisme. Il a choisi comme méthode une enquête empirique. Il a utilisé un questionnaire qui s’adressait à toute l’île sur une durée de 11 mois.
Dans cette enquête, il a sélectionné et ciblé un groupe de gens nés après la seconde guerre mondiale. Son but était d’étudier les phénomènes socioculturels apparus dans l’analyse de 820 questionnaires, composés de 73 questions avec un choix de réponses entre 5 et 10, soit plus de 230.000 données traitées.

« Brassage »

Ces données ont mis en lumière les réponses diverses et communes apportées par les “kaf”, “gro blan”, “ti blan”, “métis”, “shinwa”, “malbar”, “zarab” etc... à des questions multiples comme par exemple : “qu’est-ce qu’être Réunionnais ?”, “Êtes-vous un Créole ou un Réunionnais ?”, “Vous sentez vous Français et pourquoi ?”...
Le chercheur a décrit la « société réunionnaise comme un brassage inter-ethnique qui existe depuis le début du peuplement et se perpétue à l’infini, créant des transformations identitaires incessantes. Ces interactions identitaires et culturelles dynamiques et créatives répondent au nom de créolisation culturelle et sociale, où la représentation de l’Autre et par l’Autre est toujours un processus inachevé ».
Laurent Médéa souligne que cette créolisation a un contenu « synthétique », lié à une « colonisation assimilatrice », alors qu’à l’Ile Maurice elle est plutôt « segmentaire », en raison d’une « colonisation communautariste ». Et il a conclu son exposé en parlant d’une « culture créole » et d’une « identité réunionnaise » en notant que l’on est passé à La Réunion « d’une société multiculturelle à une société interculturelle puis transculturelle aujourd’hui ».

Une bonne initiative de la L.D.H.

Toutefois, Laurent Médéa n’a pas manqué de démontrer que l’interculturalité et la transculturalité de la société réunionnaise sont aussi minées par de nombreuses discriminations, dont sont victimes essentiellement les “kaf” et les “komor”. « Le Noir est toujours dévalorisé, comme il l’a été depuis les débuts de la colonisation, sous l’esclavage et l’engagisme », a expliqué le sociologue, en démontrant également que le Réunionnais en général est encore souvent discriminé par rapport au métropolitain. Il suffit de voir les chiffres réels du chômage, qui sont très supérieurs aux données officielles, ou la place de la langue créole, qui est « menacée de disparition et dévalorisée dans l’espace public », selon le chercheur.
Finalement, c’est cette question qui fut le plus au centre du débat très riche et amical qui a suivi l’exposé. Plusieurs intervenants ont affirmé que cette initiative de la LDH était fort intéressante car elle a permis de mettre le doigt sur un sujet trop souvent tabou dans notre société : les discriminations ethniques, dont le racisme, rejoignent les inégalités sociales, culturelles, médiatiques, politiques, judiciaires qui mettent en cause la cohésion de notre société.

Un combat qui doit nous unir

Le débat a montré à quel point, au nom même du respect des droits humains, il est inacceptable que les personnes soient traitées en fonction de la couleur de leur peau, de leur lieu de naissance, de leur religion ou de leur sexe. Il a montré également combien il est urgent de s’attaquer à toutes les causes, parfois multiples et lointaines, des discriminations de toutes sortes qui portent atteinte à la cohésion de notre société.
Enfin, ce débat a prouvé que le combat pour mettre un terme à toutes ces discriminations doit rassembler tous les Réunionnais car il nous concerne tous, quelle que soit notre appartenance sociale ou ethnoculturelle. « Je pense qu’il faut créer une meilleure cohésion ethno-sociale pour effacer toutes les inégalités, ce qui produira encore plus une cohésion culturelle et inter-culturelle ; ceci permettera aussi d’éradiquer le racisme », affirme Laurent Médéa.
En conclusion, on a pu mesurer durant ces échanges fraternels combien la question identitaire est complexe, à La Réunion comme ailleurs. Et combien il est indispensable de nous consacrer tous ensemble à cultiver l’unité réunionnaise dans le respect de sa diversité et à faire vivre cette diversité dans le respect de l’unité. D’où l’importance du travail entrepris par la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise (MCUR) avec le soutien de la Région.

L. B.


Une première

La thèse de doctorat de sociologie de Laurent Médéa a été réalisée en anglais dans une université britannique, à Warwick University, grâce à l’aide de l’allocation de la Région Réunion, de décembre 2000 à mars 2004.
Après les études réalisées par Laurent Médéa en Afrique du Sud, la maison d’édition et de publication de l’Université de Pretoria (UNISA Press) a voulu publier sa thèse, qui sortira en anglais dans les pays anglo-saxons en juillet 2007.
Le chercheur travaille actuellement sur la traduction française de la thèse pour la faire sortir à l’occasion de la semaine créole d’octobre 2008.
Enfin, un ami, Romuald Xavier Barret, l’aide à traduire cet ouvrage en créole afin de pouvoir le publier vers décembre.
Cela sera un premier travail scientifique tiré d’une thèse traduite en
trois langues internationales...


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Messages

  • Question : en quoi la MCUR va-ta-elle contribuer à "cultiver l’unité réunionnaise dans le respect de sa diversité et faire vivre cette diversité dans les respect de l’unité".
    Il me semble que la diversité culturelle, religieuse, historique est l’essence même de l’unité réunionnaise. Même si par définition, unité et diversité seraient antinomiques.
    Notre richesse réside dans le fait que nous ayons, à travers l’histoire, su tirer profit de nos différences pour nous construire une identité commune.
    En ce sens, je dirais que nous devons, quelque soit notre origine et nos apparences physiques, regarder notre histoire avec fierté et non avec rage, pour sauvegarder cette richesse.

    • La MCUR est le moyen indispensable pour que les Réunionnais puissent prendre conscience de ce qu’ils sont, de leur génie et de ce qu’ils peuvent apporter au monde. C’est l’instrument de libération du peuple réunionnais par excellence et c’est pour cela qu’il est combattu.

      Les autres peuples se posent-ils ce type de question quand ils construisent un musée ?


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