Trois points de suspension d’Emmanuel Lemagnen

De la tic-tature...

30 août 2007

« Papa, tu as reçu 349 nouveaux messages ».

Le jour où ma fille Marie Automne m’a annoncé cela, d’un sourire dubitatif, j’ai décidé de ne plus lire mes mails.

J’ai arrêté parce qu’il faut bien y répondre, qu’il faut le faire le soir après le travail, qu’il faut acheter l’équipement nécessaire et en payer les consommations.

J’ai arrêté parce que ce « progrès » prend sur mon temps et dans mon
porte-monnaie.

J’ai arrêté parce qu’en additionnant les abonnements télé, les factures de téléphone, les forfaits de portables et toutes les redevances qui sont à la périphérie de ce « progrès », près de 20% de mon salaire passait dans les plaisirs des écrans familiaux.

J’ai arrêté parce que ce mode de fonctionnement n’est ni ma culture ni mon histoire.

J’ai arrêté parce que même pour un simple secrétaire associatif, il faut pouvoir s’offrir l’engin informatique et en connaître les arcanes.

J’ai arrêté parce qu’aujourd’hui on vous oppose un procès en incompétence si vous n’êtes pas informatisé. Pour preuve, les convocations envoyées uniquement dans les boîtes virtuelles, ou le comité national des Meilleurs Ouvriers de France qui m’a fait savoir que sans être connecté, je ne peux plus être commissaire départemental.

J’ai arrêté parce que mine de rien, on prépare la mise à l’écart des “empêchés” de l’informatique, on s’oriente vers la “discrimination numérique” entre ceux qui en sont et de ceux qui n’en sont pas.

J’ai arrêté parce que tout se standardise, la police de caractère ou l’image qui accompagne le texte, parce qu’on a plus à savoir écrire ni à apprendre à dessiner.

J’ai arrêté parce qu’à la froideur mécanique de la frappe et de l’écran, je préfère la sensualité de la plume et du papier.

En fait, je n’ai pas arrêté puisque je n’ai pas commencé.

Je fais la grève du logiciel, je revendique mon e-handicap, mon droit à la cyber différence.

Je suis un vieux con, qui cultive un décalage horaire et qui subit quotidiennement la “fracture numérique”.

Je réclame tolérance et compréhension de la part de ceux qui pensent avoir raison, parce que je sais que j’ai tort.

Je souhaite qu’on n’oublie pas les quelques irréductibles qui ont encore besoin d’entendre une voix au téléphone et qui prennent du plaisir au rituel matinal des ouvertures d’enveloppes.

Il serait dommage en effet que dans quelques années, on s’aperçoive que l’homo numérique a perdu quelque chose en route...

Tiens, je vais envoyer une carte postale à mes parents.


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Messages

  • A dix mille kilomètres de ma famille, j’aime voir le salon de la maison sur mon écran d’ordinateur et entendre ma maman qui fait tomber des objets sur le plancher. J’aime l’entendre me lire les articles qui l’ont intéressé en la regardant chausser ses lunettes qui lui sont devenus nécéssaires. J’aime m’endormir en lisant le dernier SMS de ma maman qui m’écrit "A 2m1 ma chérie". J’aime aussi lire les petites annonces pour trouver du travail en pyjama avec mon bol de chocolat sur les genoux parce qu’il n’y a plus tellement de raison que je m’habille avant cet après-midi. J’aime lire les articles de journaux sans avoir les doigts noircis et odorants d’encre d’imprimerie et regarder mes séries télévisées préférées à l’heure que je veux et à la vitesse que je veux. Tant pis pour les 20 mails publicitaires, avec Internet je pourrai voir ma famille le jour de mes 29 ans, franchissant en une seconde les miliers de kilomètres qui nous séparent.


Témoignages - 80e année


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