Débat sur la polytoxicomanie

Des témoignages bouleversants sur les souffrances de nombreux jeunes

13 août 2007, par LB

Samedi matin, a eu lieu au Port un débat très riche et souvent chargé d’émotion sur la gravité des problèmes liés à la polytoxicomanie à La Réunion. Des problèmes trop souvent sous-estimés par les pouvoirs publics et trop peu pris en compte pour diminuer le nombre des victimes et leurs souffrances.

Avant-hier et hier s’est déroulé au Port le 5ème Festival de la Jeunesse, organisé par la paroisse Sainte Jeanne d’Arc et plusieurs partenaires, dont l’Office Municipal des Sports (OMS) du Port. Une manifestation consacrée à des activités sportives, artistiques, ludiques et religieuses mais également à des réflexions sociétales car « le plus important pour nous, affirme le Père Sylvain Labonté, curé du Port, est d’aider les Réunionnais à vivre debout et solidaires ».
Dans ce cadre, s’est déroulé samedi matin à l’OMS un débat sur le thème de la polytoxicomanie, c’est-à-dire sur les multiples maladies liées à la consommation abusive de drogues et autres produits toxiques (tabac, alcool etc...). Le débat, auquel ont participé plusieurs spécialistes de ces problèmes et acteurs de terrain, était animé par Raymond Lauret en tant que « simple citoyen portois ».
À côté du conseiller régional de l’Alliance se trouvait un autre élu, Hugues Salvan, Maire et Conseiller général UMP de Saint-Philippe. Pour Raymond Lauret, « nous voulons encourager les jeunes à s’impliquer dans la vie de la cité pour changer la société. Et quand on est vraiment soucieux des problèmes des autres, l’étiquetage politique importe peu ».

L’importance de l’amour

La personne qui a le plus marqué cette rencontre, à la fois par la pertinence et par la charge émotionnelle de son intervention, fut Philippe Thionville. Pendant une trentaine de minutes, cet ancien toxicomane et alcoolique devenu éducateur a raconté les multiples drames qu’il a subis et qui l’ont fait sombrer dans cet univers infernal puis les combats terribles qu’il a dû mener pour se libérer de cette emprise et « passer du rôle de leader de destruction à celui d’acteur de construction ».
Son épouse Corine, également travailleuse sociale, a notamment expliqué combien leur amour les a « aidés à surmonter ces difficultés » avec leurs trois enfants. Un amour qui montre à quel point la stabilité et la chaleur familiales sont importantes pour aider les enfants à s’épanouir.
Philippe Thionville est responsable de l’association Amitié Sobriété, créée en 1992 par des curistes sortis du service d’addictologie du CHD de Bellepierre et renforcée depuis par des familles et des amis des malades ou ex-patients. Elle organise régulièrement des groupes de paroles familiaux au siège dionysien de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA 974). (voir encadré)

« Un cancer social »

Le docteur Marie-Laure Gandar a parlé des différentes actions menées par le Conseil général pour la prévention de la toxicomanie et Hugues Salvan a témoigné des souffrances qu’il a endurées en prison. Puis le Père Stéphane Nicaise a frappé un grand coup sur la table en dénonçant les nombreuses carences comme les gaspillages scandaleux au niveau des services publics en charge des personnes sans domicile fixe ou souffrant d’alcoologie et d’addictologie : « Il faut une coordination des services du début à la fin, avec un accompagnement réel des malades, car c’est souvent une question de vie ou de mort », a déclaré le jésuite dionysien.
Des propos appuyés par le témoignage du “policier social” et champion Jean-Louis Prianon à propos d’un collègue sportif décédé de maladie alcoolique. Le tisaneur de forêt Frantz Ledoyen, dit Kakou, a signalé que des plantes médicinales réunionnaises peuvent soulager ou guérir ce type de maladie. Et l’ethno-médecin Richard Bansard a déclaré que « les addictions sont un cancer social, qui nécessite la participation de toutes les méthodes et de tous les points de vue car il n’y a pas de solutions miraculeuses ».

« Un vrai SAMU social »

Selon Emmanuel Tossem, photographe, « on n’est pas assez à l’écoute des personnes qui souffrent. Les médias parlent le plus souvent des choses inutiles ». Halima Zhalata, 1ère Vice-présidente de l’OMS du Port, exprime son inquiétude devant le fait que « de plus en plus de jeunes sont dans une situation de dépendance à des drogues ; cela commence parfois très tôt, chez des enfants de 7 - 8 ans. Les structures d’accompagnement sont insuffisantes, la société prône l’avoir, le paraître, le consommer plutôt que l’être et le faire. Les associations qui travaillent pour la cohésion sociale sont massacrées. Dans les services publics, on parle davantage de “clients” que de “personnes” ».
Pour le Père Labonté, un des buts de ce Festival est de rappeler « que chacun doit prendre conscience du rôle qu’il doit jouer pour améliorer la société ». Sabine Le Toullec, Adjointe au maire du Port, a souligné que « les travailleurs de rue font un énorme travail, mais ils ne sont pas assez nombreux ; il faut plus de moyens, un vrai SAMU social ». Il faudrait que dès qu’une personne erre dans la rue parce qu’elle souffre d’un problème, les services publics s’occupent d’elle - éventuellement en soutenant fortement les associations impliquées dans ce travail - et l’aident à affronter ses difficultés.

Un vrai scandale

Parmi les derniers intervenants, l’éducateur spécialisé Jean-François Guignard a surtout demandé que « l’on écoute les drogués et les alcooliques au lieu de les juger, car l’addiction est le résultat d’un mal-être, que la drogue soulage. Pour l’Organisation Mondiale de la Santé, l’alcool est l’égal de l’héroïne ; alors, que fait l’État français pour prévenir les citoyens de ce danger ? Le consommateur de drogue n’est pas d’abord un délinquant, mais une personne qui va mal et qui souffre, qu’il faut donc aider à guérir. Une personne, un être humain, pas une simple “carte vitale” ».
Le responsable du réseau Oté a aussi dénoncé le fait qu’il y a trop d’emplois précaires dans la prévention. « Il y a un manque de volonté politique à ce niveau ».
À noter que du fait de cette précarité dans les services d’aide à la personne, un homme compétent et dévoué comme Philippe Thionville se retrouve aujourd’hui sans emploi. Un vrai scandale.
On accuse les malades de la drogue et de l’alcool d’être des délinquants lorsqu’ils commettent des actes de violence, parfois choquants et inadmissibles. Mais y a-t-il pire délinquance - voire crime - que la violence des rois du profit, dont le système génère exclusions, misères, inégalités sociales, avec toutes leurs conséquences dramatiques ? Voilà à quoi il faut aussi s’attaquer en priorité.

 L. B. 


Amitié Sobriété

L’association Amitié Sobriété, animée par Philippe Thionville, est un lieu d’accueil, d’écoute, de rencontres et d’échanges placé sous le signe de la convivialité. Elle accompagne les malades d’addictologie avant, pendant et après la cure, en leur apportant un soutien moral. Elle donne des informations santé avec des professionnels et organise des ateliers ou autres activités pour favoriser la stabilité familiale et l’équilibre social.
Le prochain rendez-vous des “groupes de paroles familiaux” est fixé au samedi 25 août à 14 heures 30 au N° 8 boulevard de la Trinité aux Camélias (Saint-Denis).
Renseignements au 0692-60 62-16 ou au 0692-77-41-68.


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