Trois points de suspension d’Emmanuel Lemagnen

Du dépaysagement

21 décembre 2006

Je descends des hautes plaines et reprends la direction de la capitale.
On vient encore de parler tourisme, de ce qui marche pas, de ce qu’il faudrait faire, encore une fois...
Passé le rond point des “twin towers”, j’emprunte cette belle quatre voies toute neuve intégrée dans le paysage comme un coup de cutter sur une moquette verte.
Heureusement, sur ma droite, la grande surface de Saint-André puis une plus grande encore à Sainte-Suzanne m’offrent une petite récréation visuelle des plus pittoresque.
Arrivé à Sainte-Marie, je pique dans le vieux centre ville. C’est triste, la sensation anachronique d’une dizaine de commerçants qui se débat dans une parenthèse spatio-temporelle.
En remontant devant la poste, quelques nouveaux lampadaires en bois n’arrivent pas à redonner des couleurs à la magnifique collection de vielles carcasses de bagnoles délicatement exposées sur le trottoir tout neuf.
Je continue. Une troisième grande surface et un “mac do” égayent de leurs totems et drapeaux la lénifiante traînasse des bas côtés.
Enfin Saint-Denis et son front de mer histoire. Les embouteillages m’empêchent d’être flashé par le radar, mais me donnent tout loisir d’admirer l’architecture si touchante du boulevard Lancastel ; avec ses belles ruines des années 60 et ses futures ruines des années 80.
Je me dis alors que si j’étais un touriste en espérance d’exotisme, je trouverais tout ça très TYPIQUEMENT ANONYME.
Si notre île a vraiment décidé de faire du tourisme son pilier économique et souhaite consolider sa destination, encore faut-il y mettre quelques garde-fous et ne pas scier la branche sur laquelle on est assis.
Dans d’autres secteurs, nous avons des comportements plus raisonnés et de nouvelles habitudes déjà bien ancrées. Il y a le principe de précaution pour ce qui touche au sanitaire, il y a le concept de durabilité appliqué maintenant au développement économique, pourquoi ne pas concevoir un système de “VIGILANCE TOURISTIQUE” pour tous les projets de notre territoire ?
Prendre la même quatre voie bordée d’une belle vegétalisation tropicale, passer dans un centre ville où l’on appliquerait une vraie charte architecturale et arriver sur un front de mer dionysien avec des façades en terrasse serait toujours conforme à notre vérité réunionnaise (voire même garant de cette vérité) mais plus attractif pour ceux qui nous visitent.
Faire des routes pour régler les problèmes de circulation, construire des logements pour régler les problèmes des logements pour régler les problèmes de démographie et bâtir des industries pour résorber les problèmes d’emploi c’est avoir une vision trop simpliste des solutions et une réponse dangereuse à court terme pour la force attractive de nos paysages.
Peut-être serait-il bon alors d’acquérir un nouveau réflexe et de se poser à la fin de chaque projet, de chaque plan ou de chaque programme une dernière question :
Est-ce préjudiciable pour notre image touristique ?
Si la réponse est oui, le dossier devra être revu, corrigé ou délocalisé. Si la réponse est non, il faudra voir en plus s’il est valorisable.
Le principe de VIGILANCE TOURISTIQUE et de VEILLE AU DEPAYSAGEMENT devrait devenir le credo du développeur qui inscrit plus largement sa contribution dans une ILE DURABLE.

Emmanuel Lemagnen


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