Trois points de suspension d’Emmanuel Lemagnen

Du risque de devenir typiquement anonyme ...

29 mars 2007

Entourée d’eau et non-extensible, telle pourrait être la palissade définition de notre île. Les contraintes démographiques nous obligent à faire des écoles et des logements, le développement économique nous oblige à faire des routes et des industries, le mimétisme social nous pousse à une évolution standardisée.
En clair, que l’on soit élu ou aménageur, il faut choisir entre le nécessaire et l’indispensable.
L’addition des attentes de tous les secteurs devrait donner un résultat ergonomique et fonctionnel, cette réponse élémentaire pouvant même être admise comme notre identité réunionnaise.
Les logements sociaux seront verticaux, par économie de moyens et d’espace, la prochaine route des Plaines n’aura plus de virage parce qu’il faut gagner du temps de circulation, on prendra l’ascenseur pour aller dans son atelier et on ira faire ses courses dans les grands Jumbo périphériques puisqu’il n’y a que là où on peut se garer.
Bon, acceptons en l’augure si c’est la seule solution.
Mais si notre choix économique est le développement touristique, alors il faudra inventer une autre stratégie.
Au prix du billet d’avion, en comparant l’intérêt d’autres destinations nettement moins chers et beaucoup plus pittoresques, pourquoi les touristes feraient l’effort de venir nous voir ? pour photographier nos HLM ? pour rouler sur nos quatre voies ? pour manger au Mac Do et rentrer se coucher dans une chambre banalisée aux normes européennes ?
A l’heure où nous élaborons la totalité des plans qui vont dessiner La Réunion de demain, nous avons le devoir de faire passer les conclusions de chaque dossier dans l’entonnoir de deux questions vitales :

Ce projet est-il conforme à notre vérité réunionnaise ?
• Ce projet est-il touristiquement attractif ?

Si la réponse est un double non, c’est qu’il y a décrochage culturel et largage paysager. Nous courrons alors le risque de devenir une petite île typiquement anonyme, authentiquement standardisée, qui n’appartiendra plus aux Réunionnais et qui n’attirera plus personne.
Aujourd’hui, quand je fais visiter, j’aime mettre l’essuie-glace sous la cascade pipi du pont de l’escalier, j’aime klaxonner dans les virages étroits d’îlet Furcy, j’aime aller chercher les radiers au fond des ravines de la route Hubert Delisle, parce que tout cela me laisse le sentiment frétillant d’être un privilégié dans une île touchante et magnifique.
Quand tout ça ne sera plus que souvenir, et que le zinzin des mixeurs aura remplacer le bruit du pilon, alors là, faudra s’affoler...


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