Jeux de hasard et d’argent : Une addiction pour 2% des Français

9 août 2008, par Edith Poulbassia

Hier, c’était le 08/08... Le huitième jour du huitième mois. Alors que les Jeux Olympiques s’ouvraient symboliquement sous ce signe porte-bonheur, les mairies et leurs annexes étaient assaillies par ces cérémonies de mariage, et les bureaux où l’on faisait des paris voyaient la même affluence. Hier, d’après les numérologues, il fallait tenter sa chance. Mais pour beaucoup, il n’y a pas de jour plus chanceux qu’un autre. Ils jouent tous les jours.

Jouer pour augmenter son pouvoir d’achat. C’est le pari que tentent chaque année des millions de Français. Mais pour 400.000 personnes au moins, les jeux de hasard et d’argent deviennent une obsession. L’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) souligne la nécessité d’adopter une politique de prévention et de soins, comme pour le tabac. Il en va de la responsabilité de l’Etat qui en retire 6 milliards d’euros chaque année.

Des millions de Français ont l’habitude de tenter leur chance aux jeux de hasard et d’argent. En 2006, 30 millions ont joué au moins une fois. Mais le jeu n’est pas toujours sans conséquences néfastes sur la vie des joueurs. On estime à 400.000, voire 800.000 le nombre de Français accros aux jeux de hasard et d’argent. Soit 1 à 2% de la population pour qui le jeu génère des dommages familiaux, sociaux, professionnels, et provoque une conduite addictive.
Depuis 40 ans, les jeux sont devenus un véritable pôle économique. Il fait vivre 100.000 personnes et aide au développement de secteurs culturels et commerciaux. L’industrie du jeu a ainsi rapporté 37 milliards d’euros en 2006. Ces bénéfices contribuent aux finances de l’Etat, avec 6 milliards d’euros par an, et de 200 communes. Les joueurs gagnants mais aussi des associations et différents organismes y prennent part. Et visiblement, les joueurs n’hésitent pas à miser plus. « En France, le chiffre d’affaires de l’industrie des jeux autorisés est passé de l’équivalent de 98 millions d’euros en 1960 à 37 milliards en 2006, avec une accélération ces dernières années. En 7 ans (1999-2006), les mises engagées par les joueurs ont augmenté de 77% pour la Française des Jeux, de 91% pour le PMU/ paris sur hippodrome (PMH) et de 75% pour les casinos ».

Fuir la réalité par le jeu

Pour ces 1 à 2% de la population, le jeu agit telle une drogue. Les joueurs peuvent se retrouver en incapacité de contrôler leur comportement (besoin impérieux de jouer, sommes investies de plus en plus importantes...), ce qui peut provoquer l’endettement, des problèmes familiaux et professionnels.
Quel est le profil de ces joueurs ? Homme, femme, jeune, personne âgée... Tout dépend du type de jeu. Ainsi, le PMU concerne 65% des hommes âgés de 35 à 49 ans issus de milieux professionnels plutôt modestes, alors que les jeux de grattage, de la Française des Jeux concernent 51% des femmes, généralement de moins de 35 ans.

On retrouve chez les joueurs à conduite addictive un ensemble de caractéristiques. Par exemple, des « croyances irrationnelles » autour du jeu : « l’illusion de contrôle, la méconnaissance de l’indépendance des tours », les superstitions et corrélations illusoires. Si ces croyances sont retrouvées chez tous les joueurs, elles sont sans doute plus fréquentes chez les joueurs excessifs. Le jeu est aussi pour certaines personnes une fuite de la réalité, la recherche de distraction, et l’impulsivité, c’est-à-dire la difficulté à se contrôler, est plus forte chez les joueurs pathologiques. Pour bien montrer que cette dépendance au jeu est préjudiciable à la santé, l’Inserm précise qu’elle peut, comme la drogue, affecter le fonctionnement du système nerveux.

Des troubles associés

Mais « plus de 60% des joueurs pathologiques présentent une dépendance au tabac et près de 50% une dépendance à l’alcool. Les autres addictions (drogues illicites) précèdent généralement le début du jeu pathologique (surtout chez les hommes) ; les joueurs pathologiques ayant des antécédents de dépendance aux drogues présentent généralement une addiction au jeu plus sévère ». Ces joueurs sont aussi souvent sujets aux troubles de l’humeur, d’anxiété ou de la personnalité.
« Parallèlement, les personnes présentant des troubles liés à l’usage ou l’abus d’une substance ont un risque trois fois plus élevé que la population générale de développer un comportement de jeu pathologique. Ce risque est 2 fois plus important pour les sujets ayant un trouble de l’humeur (particulièrement en cas de trouble bipolaire) ou un trouble anxieux ».
De plus, les milieux les plus modestes sont les plus susceptibles d’être séduits par les jeux de hasard et d’argent.
« Au Canada, une enquête menée au sein d’une population de joueurs révèle environ 25% à 30% de pertes d’emplois et de faillites personnelles liées au jeu. En France, des données issues de l’association SOS Joueurs montrent que parmi les joueurs confrontés au surendettement, 20% d’entre eux ont commis des délits (abus de confiance, vol, contrefaçon de chèques...) ».
Il n’y a pas de chiffre en France sur le coup social de cette addiction au jeu. Mais par comparaison, en Australie, ce coût correspond à 15 euros par habitant, ce qui correspond au coût social du cannabis en France.

Les joueurs pensent s’en sortir seuls

Cette dépendance au jeu n’est suffisamment pas prise au sérieux en France, comme ailleurs. « Un des problèmes majeurs dans la prise en charge des joueurs pathologiques réside dans la faible demande de soins. D’après deux études épidémiologiques américaines importantes, seulement 7 à 12% des sujets diagnostiqués “joueurs pathologiques” ont cherché une aide auprès de professionnels ou d’une association des joueurs anonymes.
Les barrières potentielles limitant l’accès aux soins des joueurs problématiques ou pathologiques sont de plusieurs ordres : l’accessibilité des soins, la stigmatisation liée à la prise en charge, le prix et l’efficacité supposée des prises en charge. Parmi des joueurs pathologiques interrogés, 82% pensent pouvoir s’en sortir par eux-mêmes ».
Un plan de prise en charge et de prévention des addictions pour 2007-2011 en France prévoit la mise en place de centres de soins pour l’accompagnement mais aussi la prévention en addictologie. Mais pour un type de joueur, il est possible de se faire inscrire sur un fichier national des interdits de jeux pour se voir refuser l’entrée au casino pendant trois ans.

Edith Poulbassia


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