La justice appelle Sarko à la barre

Jusqu’ou ira-t-il pour séduire l’opinion ?

23 septembre 2006

Pour gagner la présidence, il est prêt à tout. Rafler les enfants de sans papiers à la sortie des écoles, mettre tous les mineurs délinquants sous les verrous, vanter le rôle positif de la colonisation ou encore s’acharner à décrédibiliser l’institution judiciaire. Omnubilé par sa conquête de l’opinion publique, Nicolas Sarkozy prône l’ordre ne semant que discordes. Que récolter d’une telle politique si ce n’est la déconstruction de la France pour la modeler à son image, déshumanisée ?

En juin dernier, il attaquait déjà le Tribunal pour enfants de Bobigny estimant inconcevable qu’aucune décision d’emprisonnement n’ait été prise suite aux émeutes de novembre 2005 qui avaient mis à feu le département de Seine Saint-Denis.

Budget de la police en hausse

La lettre de Jean-François Cordet, préfet du département, parue dans “Le Monde” (comme si elle n’avait pas pu parvenir au ministre directement !) offre une nouvelle opportunité à Nicolas Sarkozy de prendre la justice à partie, l’attaquant ouvertement de "démission" face à la délinquance. Soulignant que le nombre d’écroués est en baisse, alors que les actes de délinquance augmentent, Nicolas Sarkozy accuse les magistrats de ne pas avoir finalement la même conception de la Justice que lui.
Par contre, il défend les forces de police qui "ne peuvent pas atteindre les résultats que les habitants de Seine-Saint-Denis sont en droit d’attendre si, derrière, les délinquants sont remis en liberté." La justice saperait donc le travail de la police. Jean-François Cordet réclame des effectifs supplémentaires, qu’à cela ne tienne, Nicolas Sarkozy, le politique qui veut fliquer la France ne demande pas mieux. Aux 12% de policiers en poste depuis les émeutes en Seine-Saint-Denis, le ministre en ajoute 300. Cette requête répond parfaitement aux objectifs de l’État : la loi de Finances pour 2007 a déjà inscrit une progression des crédits de la police et de la gendarmerie de 3,8%, alors que, pour rappel, 15.000 postes de fonctionnaires vont être supprimés dont la moitié au sein de l’Éducation Nationale, que les budgets de la recherche ou de l’environnement risquent d’être tranchés dans le vif. Il suffit d’une mascarade médiatique pour justifier de ses priorités !

Budget de la protection de la jeunesse en baisse

Aucune surprise finalement lorsque celui qui veut étendre la comparution immédiate aux mineurs fait mine de s’interroger sur le noeud d’un problème qui ne l’intéresse pas. "J’aimerais que l’on m’explique comment on empêche un délinquant de récidiver si l’on n’a pas le courage de le mettre en prison." C’est pourtant simple. La réponse se trouve dans l’ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs qui légifère que la primauté de la sanction éducative par rapport à la répression en offrant toute une série d’alternatives à l’incarcération.
Mais si Nicolas Sarkozy veut parvenir à réformer cette loi de progrès social, 17 fois retouchée, il doit en premier l’occulter. Il a commencé par amputer le budget de la protection de la jeunesse de 10% cette année et souhaite couper celui du secteur associatif habilité de 20%, tuant ainsi à petit feu toutes les mesures d’accompagnement des jeunes en difficulté. Et après cela, le ministre accuse remords la justice de ne pas faire son travail. Françaises, Français, ouvrons grands les portes de la perception.

Stéphanie Longeras
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Réaction de Pierre Lavigne, président du Tribunal de Grande Instance de Saint-Denis

"Ca suffit !"

Dans quel but Nicolas Sarkozy cherche-t-il à décrédibiliser l’autorité judiciaire aux yeux de l’opinion publique ? Au-delà du caractère blessant des accusations portées par le ministre de l’Intérieur à l’encontre des juges, cette question assaille le président du Tribunal de Grande Instance de Saint-Denis qui parle d’"une attaque frontale, ravageuse et injuste."

"Ca suffit !"Cette invective, Pierre Lavigne la prononcera à plusieurs reprises lors de notre entretien. Elle résume assez bien l’état d’esprit de la magistrature française accusée une nouvelle fois par Nicolas Sarkozy d’opérer une "démission" face à la délinquance.

"La justice doit être respectée"

"Ces attaques contre les juges sont inadmissibles et ne contribuent qu’à saper encore plus la crédibilité et l’autorité d’une profession déjà fortement critiquée et pourtant indispensable au maintien du droit, soutient pour sa part le président du Tribunal de Grande Instance de Saint-Denis. Dans un état de droits, la justice doit être respectée. On est entré, pour moi, dans une entreprise de déstabilisation ravageuse pour la démocratie et l’État de droit."

Pour Pierre Lavigne, le Premier Président de la Cour de Cassation de Paris a parfaitement raison de parler d’"une atteinte caractérisée à l’indépendance de la justice" et de solliciter l’intervention du Président de la République. En tant que président du Conseil de la magistrature, Jacques Chirac est garant de son indépendance et ne peut, selon Pierre Lavigne, "rester sans réaction. Je n’ai jamais entendu un homme politique, qui plus est de premier plan, candidat à la présidence, tenir de tels propos. J’espère qu’il sera sévèrement sanctionné. Le rôle d’un homme politique n’est pas d’aller toujours dans le sens de l’opinion, il doit faire preuve de pédagogie et non mettre le feu aux poudres." S’avouant "personnellement touché", Pierre Lavigne estime que "au delà du désagrément légitime ressenti par chaque magistrat, on peut se demander quel est l’intérêt dans une société de plus en plus régulée par le droit, de chercher à ruiner sa crédibilité. C’est dangereux pour nous, pour la justice. Ce n’est déjà pas un métier facile..." Avec un investissement de 24 euros par habitant, les moyens alloués à la justice française sont largement insuffisants, plaçant la France au 18ème rang des pays européens. "Ce budget n’est pas digne du rôle majeur que joue la justice dans une démocratie, souligne Pierre Lavigne. Là, on va plus loin, on cherche à déstabiliser l’institution judiciaire." De plus, "ces attaques instaurent une forme de pression sur la justice." On la presse de sanctionner, d’emprisonner, alors que les tensions sociales, comme lors des émeutes de banlieues en novembre dernier, relèvent d’un mal être plus profond. "Prôner l’incarcération pour éviter la récidive n’est pas une solution (...) Le tout carcéral n’est pas possible. La mission de la justice est aussi de réinsérer. À La Réunion, les prisons sont pleines et les conditions de détention difficiles." Mais ce ne sont pas malheureusement pas les causes profondes de la délinquance qui intéressent le ministre de l’Intérieur, mais la sanction qui doit lui être infligée par la justice qu’il cherche à régenter.

Stéphanie Longeras


Momon papa lé la avec les juges

"La politique du bouc émissaire a toujours été un aveu d’impuissance"

L’association saint-andréenne Momon papa lé la, qui milite pour le respect des droits des femmes, de la famille et plus largement des Réunionnais, n’a pu rester silencieuse face aux propos tenus par le ministre de l’Intérieur à l’encontre de la justice. Un ministre qui a "la malhonnêteté de jeter le discrédit sur les juges."

Les citoyens " ne sont pas dupes "

Les expressions de violence qui marquent de plus en plus notre société ne seraient trouver leurs origines dans une accusation réductrice du pouvoir judiciaire. Violences économiques, non-reconnaissance de l’acte citoyen, problématiques du logement, paupérisation et précarisation de la société, manques de confiance envers la politique, d’accompagnement de la jeunesse, de moyens dans les prisons, dans l’Éducation nationale, d’outils sociaux... sont autant de marqueurs de la crise sociale qui génèrent d’"énormes frustrations individuelles." Pour Momon papa lé la, ouvrir les yeux sur la réalité, c’est prendre en compte le fait que "les juges sont bien seuls au même titre que les avocats, les associations et les travailleurs qui se démènent au quotidien sur le terrain." "Les juges pour enfants passent leur temps à chercher des solutions qu’ils n’ont pas pour répondre avec intelligence à la souffrance des jeunes qu’ils reçoivent et à celle de la Cité qui la subit. Et ils ont bien souvent le courage de prendre des risques." Dans son communiqué transmis à notre rédaction, signé de sa présidente, Margaret Royer, et de son porte-parole, Patrick Savatier, l’association Momon papa lé la affiche clairement sa position. "Les citoyens que nous sommes ne sont pas dupes et refusons d’être pris en otage comme alibi. M. Sarkozy surfe sur les étrangers, les coups d’éclats, les juges... uniquement pour se défausser de ses responsabilités quant à sa politique de surface. La politique n’est pas un show médiatique fait de blabla et de déclarations fracassantes. Elle devrait être un moyen de prolonger un rêve, le nôtre. Il serait temps pour se faire de sortir du laxisme politique auquel nous sommes habitués et dont nous sommes victimes pour réfléchir, en toute transversalité, sur le fond et les moyens à mettre en oeuvre pour lutter contre la délinquance et ses raisons sociétales."

S. L.


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