L’affichage est-il l’art de la rue ?

17 août 2006

Nul ne peut nier que les affiches ont pour origine l’art, mais bien avant, c’est l’écriture elle-même qui véhiculait la propagande, car qu’est ce que la publicité, sinon de la propagande ! L’écriture ne suffisant plus, les affiches sont devenues illustrées, ainsi l’image s’est substituée à l’écrit.
La réclame, à l’origine, devait servir à aiguiller le client dans son choix, le produit était représenté par l’image, et l’écrit donnait le détail et les qualités de la marchandise proposée. De grands artistes se sont essayés à l’art de l’affiche, ainsi les affiches entre les années 1900 et 1970 étaient, pour certaines, de réelles œuvres d’art. Que ce soit l’affiche publicitaire à proprement parler, l’affiche de cinéma ou de théâtre ou bien l’affiche politique, toutes ont profité de ces artistes amoureux du graphisme qui transformèrent nos villes.

Le pouvoir de l’affiche politique

La beauté des graphismes n’est pas toujours en rapport avec le slogan, parfois l’image rend belle une idée qui ne l’est pas forcément et c’est en cela que l’on reconnaît le véritable impact des affiches sur l’inconscience humaine. Je prendrai en exemple deux anecdotes : une sur l’affiche politique et l’autre sur la consommation.
Pour commencer, parlons d’une des affiches les plus célèbres de notre histoire, une affiche qui est devenue le symbole de la résistance au nazisme, une affiche qu’il m’arrive bien souvent de montrer en exemple, c’est "L’affiche rouge". Un des plus grands poètes de notre temps (Louis Aragon) lui a consacré ses plus beaux vers. "L’affiche rouge" est née de l’arrestation du groupe Missak Manouchian, 23 personnes qui pendant l’occupation allemande, ont formé un petit réseau de résistants communistes, les FTP-MOI (francs-tireurs et Partisans main-d’œuvre Immigrée), parce qu’ils étaient d’origine étrangère et qu’ils voulaient combattre le fascisme. Hormis le fait qu’ils aient été fusillés le 21 février 1944 au mont Valérien (Du moins pour 22 d’entre eux), cette affiche demeure le plus grand ratage de la propagande nazie.
D’éminents propagandistes allemands ont participé à son élaboration, c’est ainsi que l’on peut imaginer l’importance et le pouvoir de l’affiche sur nos comportements. La couleur de fond, rouge comme le sang, devait être l’élément déterminant pour exacerber le caractère criminel, ce fut la première erreur de ces tristes publicistes, car s’il est une couleur qui frappe l’imaginaire français, qui pousse à la résistance, c’est bien celle-ci, elle est la dernière couleur du drapeau de notre pays et elle est la couleur de toutes nos luttes.
Ensuite, il fallait montrer des visages d’assassins de préférence patibulaires, mal rasés, 10 visages sur 23 furent disposés en médaillon bordé de noir sur un triangle tête en bas, la pointe était occupée par le médaillon de Missak Manouchian comme si il en était la poitrine, donc le cœur de cette organisation. On en vient maintenant au slogan, en haut de l’affiche ces mots : "Des libérateurs ?", en bas : "La libération ! Par l’armée du crime.", toute l’affiche avait été calculée pour faire peur, pour dénoncer les criminels étrangers qui venaient là pour déstabiliser notre nation, mais la manœuvre a échoué.
Après la couleur, c’est le slogan qui a plombé cette affiche. En effet, une spécialité bien française c’est le détournement de slogan, on l’a vu dernièrement avec la campagne référendaire sur le traité constitutionnel européen, les affiches étaient ainsi libellées : "J’aime l’Europe, je vote oui" il suffisait de remplacer le oui par une affichette non, ce fut la même chose pour l’affiche rouge, des mains patriotes ont remplacé le slogan du bas par un cinglant "Morts pour la France". Ces vers d’Aragon explicitent bien le pourquoi du fiasco de cette affiche :
"Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos morts pour la France
Et les mornes matins en étaient différents"
(Louis Aragon)

Le pouvoir de l’affiche publicitaire

Nous avons vu à quel point les affiches peuvent influencer nos comportements. Si l’affiche politique est parfois créée sous des formes nauséabondes pour nous donner l’envie d’adhérer à des philosophies plus ou moins bonnes, qu’en est-il de la propagande alimentaire, de la bonne vieille affiche de réclame ? Et bien elle n’est pas en reste, du moins les créateurs eux aussi, bien souvent utilisent des subterfuges peu honnêtes pour nous inciter à presser le pas vers des produits dont nous n’avons pas toujours l’utilité.
On connaît tous des exemples d’affiches où pour vendre des produits qui sont sans aucun rapport avec la femme, on associe au graphisme une femme souvent très peu vêtue pour arrêter le chaland et exciter sa curiosité, c’est là une des perversités de l’affichage publicitaire, la femme devient une marchandise, non pas à vendre mais à consommer, comme cela, tout de suite sur place.
On connaît tous des exemples d’affiches qui promettent monts et merveilles et qui, si vous portez un peu plus votre attention, écrit en tout petit, de la grosseur des lettres de votre journal préféré, il y a tous les inconvénients de cette promotion exceptionnelle, tout ce qui n’est pas vraiment agréable à savoir, c’est en quelque sorte la "surprise du chef !". Si je pose la question à bon nombre d’entre vous : "Achetez-vous à cause des affiches que vous voyez dans la rue ?", une grande majorité d’entre vous me répondra qu’ils ne les voient pas et c’est peut-être vrai, mais là on rentre dans le subliminal et j’en viens à mon deuxième exemple sur le pouvoir de l’affiche.
La société d’affichage Giraudy, (qui n’est pas présente sur notre département ce qui me permet d’en parler d’autant plus facilement), avait comme toute société, des actions dans d’autres entreprises, elle était notamment actionnaire principal de la société qui produisait et commercialisait Orangina. Chaque été sur le territoire métropolitain, elle créait des réseaux d’affichages spécifiques pour cette boisson, de fait la majeure partie des panneaux qui se trouvaient être sur la route des vacances étaient intégrés dans cette campagne publicitaire. L’idée, c’était que chaque Français qui partait en vacances ne voit sur sa route que des panneaux vantant cette boisson et après étude, il a été prouvé que sur une centaine de voitures qui circulaient du Nord au Sud, un de ces véhicules s’arrêtait immanquablement car ses occupants avaient envie de consommer de l’Orangina.

Comme quoi le pouvoir de l’affiche sur notre inconscient est énorme, ces deux exemples démontrent l’influence de l’affiche dans nos vies de tous les jours. Tant que cet affichage est de bonne qualité, pas trop agressif, comme il l’était il y a quelque temps, ce média a son utilité, mais lorsqu’il dépasse les bornes, il devient une pollution de l’esprit. Nous verrons dans la suite de ces papiers, à quel point cette pratique a dégénéré, comment certains publicitaires ont vu leur profession se fourvoyer pour se transformer en jungle et dénaturer notre environnement. L’affichage est passé de l’art de la rue à l’enlaidissement de nos villes.

Philippe Tesseron
http://www.espaceblog.fr/teletesseron/


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