On ne fait pas pousser du blé comme on coule de l’acier

L’agriculture mondiale pourra-t-elle nourrir la planète ?

6 septembre 2007

Notre planète est passée d’un milliard d’habitants au début du XIXème à environ six milliards aujourd’hui. On estime que la population mondiale augmentera encore de 50% d’ici 2050. Bien gérées dans leur diversité, les agricultures plurielles transmises et modernisées par des générations de paysans doivent pouvoir nourrir ce surcroît de population. Mais les terres agricoles seront vite dégradées si elles sont soumises à la seule loi du profit immédiat dans le cadre de la mondialisation libérale en cours. Nous sommes à une époque charnière concernant l’alimentation mondiale et les décideurs politiques doivent reprendre la main en lieu et place des économistes libéraux avant qu’il ne soit trop tard. Le prix mondial du maïs a bondi de 85% entre 2005 et 2006. Celui du blé a augmenté de 60% depuis l’an dernier et cette tendance risque de se poursuivre. La hausse du prix du maïs est directement liée à la montée en charge de la production de bioéthanol aux États-Unis. Celle du blé résulte de la réduction des stocks et des spéculations induites alors que la récolte 2007 est amputée par de mauvaises conditions climatiques en Europe, l’Australie étant aussi victime de sécheresses récurrentes ces dernières années.
La production agricole ne sera jamais une activité économique tout à fait comme les autres. On ne fait pas pousser du blé comme on coule de l’acier dans un haut-fourneau. Car le climat dicte le cycle végétal du blé, donc le volume et la qualité de la récolte. Et les aléas climatiques sont de plus en plus fréquents et perturbateurs sur une planète en phase de réchauffement durable. Une pénurie d’acier réduira la croissance annuelle de quelques dixièmes de points. Une pénurie de céréales réduira les rations de pain, de pâtes mais aussi de viandes. En effet, les blés fourragers et les céréales secondaires constituent l’essentiel de l’alimentation des volailles et des porcs avec ces autres productions agricoles que sont les oléagineux et les protéagineux.
Parce qu’il s’agit de denrées vitales, les prix des produits alimentaires peuvent atteindre des sommets en cas d’offre insuffisante, même partielle et temporaire. En France, les plus anciens se souviennent encore des pénuries de la Seconde Guerre mondiale et des cours du marché noir. On imagine alors la situation des populations les plus pauvres si l’offre ne suivait plus la demande : des taux de mortalité élevés et des exodes de la faim, notamment dans les pays importateurs net qui seraient trop pauvres pour acheter des denrées à des prix décuplés par la spéculation. Ce risque est réel dans un monde où les réserves stratégiques de céréales ont été progressivement abandonnées, à l’exception notable de la Chine. Dans ce contexte, la France et l’Union européenne ne doivent pas continuer de donner carte blanche au commissaire Peter Mandelson pour sacrifier l’agriculture européenne en l’utilisant comme monnaie d’échange au profit supposé de l’industrie et des services dans les marchandages en cours à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il faut stopper ce processus mortifère dès ce mois de septembre 2007 et prendre le temps de réfléchir sur la place centrale que doivent occuper les agricultures de tous les pays du monde.
Des marchés communs régionaux et des tarifs douaniers modulables aux frontières de ces zones seront demain des pistes intéressantes pour construire des systèmes agricoles à la fois durables et performants. Car les gens qui négocient au nom des États à l’OMC en sont restés à la théorie des avantages comparatifs que préconisait l’économiste anglais David Ricardo, un économiste autodidacte ayant préalablement fait fortune comme spéculateur à la Bourse de Londres au début du XIXe siècle. Dans une agriculture mondialisée avec des droits de douanes proches de zéro, les avantages comparatifs chers à Ricardo sélectionnent les terres les plus fertiles et les coûts de main-d’oeuvre les plus bas au détriment de l’immense majorité des paysans du monde et de toutes les formes d’agricultures en dépit de leur adaptation aux conditions de productions et traditions alimentaires locales. Or les terres les plus fertiles ne seront jamais assez productives pour nourrir la planète une fois ruinées les autres formes de faire-valoir sur des sols à moindre potentiel agronomique.
Deux arguments liés entre eux plaident encore en faveur d’un arrêt des négociations sur l’agriculture à l’OMC. Sans arbitrages politiques, la diminution progressive des énergies fossiles et la loi du marché feront de sorte que la production de biocarburants entrera dans une concurrence de plus en plus vive et spéculative avec la production alimentaire. Du coup, outre l’envolée des prix alimentaires, on imagine facilement les désastres écologiques que ne manqueraient pas de produire les entreprises de déforestation motivées par le seul appât du gain. Aucun Grenelle de l’environnement ne saurait demain réparer une planète abîmée par les spéculateurs.

Gérard Le Puill,
Journaliste honoraire


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Messages

  • Bonjour Monsieur

    Je trouve votre message passionnant car il pose des questions essentielles. J’ai envie de réagir à votre dernière phrase "aucun Grenelle de l’environnement ne pourra Réparer une Planète abîmée par les spéculateurs". Nous venons de publier avec les éditions JC Lattès un ouvrage, "Réparer la Planète, la Révolution de l’Économie Positive", dans laquelle nous donnons des pistes pour une économie de croissance, répondant aux besoins de tous et notamment au besoin d’emplois, en restaurant l’environnement... et en particulier les sols. Nous pensons que la photosynthèse, l’agriculture et la foresterie durable sont des atouts essentiels pour y parvenir. Je vous invite à regarder notre forum : www.reparerlaplanete.com pour réagir sur ces sujets !

    Bien à vous

    Anne Gouyon
    BeCitizen

    Voir en ligne : Réparer la Planète


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