Patrimoine végétal à défendre

La nature d’abord, notre histoire aussi...

12 janvier 2006

Gardienne d’un patrimoine végétal exceptionnel, mémoire vivante d’un Saint-Denis sans violence - la capitale réunionnaise d’il y a cinquante ans -, Henria de Boisvelliers interpelle La Réunion entière sur le risque de voir disparaître une partie intégrante de l’histoire réunionnaise. Une histoire végétale !

Aujourd’hui, Henria, s’il est permis de l’appeler simplement ainsi, grande dame réunionnaise connue des théâtres de l’île - elle a d’ailleurs un siège réservé à son nom au théâtre Grand Marché, occupe une des maisons les plus prisées de notre île, tellement son histoire est charnue.
Sa maison de seize pièces, classée et protégée, tout comme son jardin tout aussi bardé, se situe rue de Paris, en face de l’artothèque. On ne peut pas la rater. Sa devanture est aujourd’hui ornée d’un échafaudage, puisqu’elle est sensée profiter d’un certain rajeunissement. "Cette grand-mère a plus de 140 ans", indique la gardienne des lieux. Elle a ainsi connu les deux grandes guerres du vingtième siècle, mais aussi les grandes périodes de l’histoire coloniale réunionnaise, la départementalisation bien sûr, ou - c’est sûr - les grands défilés de la liberté.
Henria, elle, habite depuis cinquante ans cette kaz historique. Avant d’accéder à la propriété de cette extraordinaire et magnifique demeure, elle logeait dans une maison appartenant à la famille Blay, qui voyait leur fils André photographier d’un œil vif nos paysages et cocasseries péï. Bref ! Cette dame mérite un certain respect, que nul ne doit s’aventurer à voler, à trahir. C’est une grande dame que l’on doit respecter, et aimer, tellement il fait bon l’écouter et s’abreuver de ses histoires d’un autre temps, quand une dame pouvait encore se balader sans craindre de se faire racketter par le premier maraudeur du coin. Henria est un patrimoine, que l’architecte du bon roi devra apprendre à respecter. Que dis-je, l’architecte - s’il est honnête avec son art - devrait même lui demander bons conseils.

Jardin créole en péril

Pour des raisons encore inexplicables, Henria est presque poussée vers la porte de cette maison, à qui elle a donné vie et charme. Ce n’est pas pour rien que l’association des vieilles maisons françaises recommandait la visite de cette maison créole dionysienne aux touristes férus de plantes exotiques. En faisant le tour de ce jardin, j’avoue m’être moi-même imprégné de cet amour de la nature créole vraie, de la création des mains vertes réunionnaises. Cette femme, qui porte aujourd’hui quatre-vingts bougies, a une relation privilégiée avec les plantes de nos grands-mères. Il suffit de contempler la richesse de son jardin, "un petit jardin", dit-elle humblement. J’aimerais dire qu’il n’en est rien. Sa kour est grandiose. Vanille d’une beauté inégalée, pamplemousse d’une qualité replète, fleurs de couleurs vives, fleurs insolites, lilas, cocos et consorts, on voyage tout simplement dans ce jardin qui mérite toute protection.
Pourtant, cet amour de la nature est aujourd’hui en péril. À vous, à moi, de défendre ce patrimoine végétal, qui donne sur pleine rue de Paris, aujourd’hui goudronnée, présentement violentée. Derrière cette maison, une vieille dame garde bravement cet espace naturel, qu’elle a vu grandir, qu’elle a elle-même crée par son amour du beau, par son amour de la flore réunionnaise.

Appel aux amoureux des plantes réunionnaises

On souhaite redorer le prestige de cette rue réunionnaise historique, en rénovant les façades. On bafoue pourtant l’âme d’un peuple, l’âme d’une histoire, où nos aïeux s’acoquinaient d’un fruit à pain ou d’un zévi pour survivre de l’embargo dû à une guerre qui n’était pas la nôtre. Présentement, pourquoi expliquer tous les déboires judiciaires subis par cette noble femme, qui essaie de préserver notre culture floristique ? Elle en a vécu, des histoires de viagers, de malfaçons, d’escroqueries, d’ignorance même de notre patrimoine végétal. Aujourd’hui, elle est prête à s’attacher à cet arbre, à ces arbres que l’on ne respecte pas, nonobstant leur quarante années d’existence, sinon plus, sur le sol dionysien, réunionnais.
Les Dionysiens les plus avertis s’étonnent que les travaux soient stoppés, alors même que la kaz - soi-disant en rénovation - est aujourd’hui vide et fragile, si tant qu’on l’a dépecée pour rien. Si vous vous baladez sur cette rue mythique de La Réunion, faites-en le constat. Aujourd’hui, Henria ne demande qu’une chose : que les architectes qui prennent des photos et souhaitent rénover cette maison d’une grande prestance, s’adaptent aussi à la cour. Nul besoin de raser la kour arrière ! Nul mérite de fagoter un parking pour grand vaza, quand il s’agit de mettre en valeur un jardin d’aussi grande richesse.
J’en appelle à messieurs Lucas et Rivière de l’Association de la protection de la nature (APN), à François Saint-Omer, à tous amoureux des plantes réunionnaises. Espérons que la DIREN, la CAUE, les Jardins créoles, les Vieilles maisons françaises et l’APN s’approprient ce dossier, qui nécessite toute attention. Et nous ? Défendons ce patrimoine qui est nôtre. Elle a aimé la nature réunionnaise pour cela, pour que nous défendions ce trésor qu’est le nôtre. Empêchons "cet essaim d’abeilles sur notre pot de miel", de nous voler ce qui est à nous, au grand dam des investisseurs péï déor.

Bbj


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