Le corridor de la tentation - 2 -

26 mars 2008

Le roi, qui avait le mot, avait étalé tous ses trésors dans cette galerie.
Lorsque tous les prétendants furent arrivés dans le salon,
Sa Majesté ordonna qu’on les fît danser.
Jamais on ne dansa plus pesamment
et avec moins de grâce ;
ils avaient tous la tête baissée,
les reins courbés, les mains collées à leurs côtés.
“Quels fripons !”, disait tout bas Zadig.
Un seul d’entre eux formait des pas avec agilité,
la tête haute,
le regard assuré,
les bras étendus,
le corps droit,
le jarret ferme.
“Ah ! l’honnête homme ! le brave homme !”, disait Zadig.
Le roi embrassa ce bon danseur,
le déclara trésorier,
et tous les autres furent punis et taxés avec la plus grande justice du monde ; car chacun,
dans le temps qu’il avait été dans la galerie,
avait rempli ses poches,
et pouvait à peine marcher.
Le roi fut fâché pour la nature humaine
que de ces soixante et quatre danseurs il y eût soixante et trois filous.
La galerie obscure fut appelée le corridor de la tentation.
On aurait en Perse empalé ces soixante et trois seigneurs ;
en d’autres pays on eût fait une chambre de justice
qui eût consommé en frais le triple de l’argent volé,
et qui n’eût rien remis dans les coffres du souverain ;
dans un autre royaume,
ils se seraient pleinement justifiés,
et auraient fait disgracier ce danseur si léger :
à Serendib,
ils ne furent condamnés qu’à augmenter le trésor public,
car Nabussan était fort indulgent.
Il était aussi fort reconnaissant ;
il donna à Zadig une somme d’argent plus considérable
qu’aucun trésorier n’en avait jamais volé au roi son maître.

Extrait de Voltaire, “Zadig”, Chapitre XIV, La Danse.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus