“Immigration choisie” : politique des quotas dangereuse et contre-productive

« Le mécanisme de management de l’immigration le plus mauvais qui existe »

22 janvier 2008

La Commission Attali pour la libération de la croissance remettra demain son rapport au gouvernement. Parmi ses propositions, celle de relancer l’immigration en facilitant l’octroi de visas aux étrangers qualifiés. Mais pour faire le tri entre les immigrés potentiellement rentables et les autres, le gouvernement veut aller plus loin en réformant la Constitution pour instaurer une politique des quotas en fonction de critères professionnels et de nationalité. « Immigration choisie » ou sélection des races : la démocratie française est en péril.

D’un côté, l’argument populiste au cœur de la campagne présidentielle et de la politique politicienne de Nicolas Sarkozy : la France est envahie d’étrangers spoliateurs d’assistances ; le pays n’a plus les moyens. On expulse à vue les sans papiers, renvoie femmes et enfants dans leur pays, qu’il soit en guerre ou menacé de famine, et quand la justice met des freins, on les maintient en centre de rétention, comme des délinquants de haut vol. Pas de traque, ni de chasse, pas d’atteintes aux droits d’asile, de l’Homme et de l’Enfant, non pour le gouvernement, la France a le droit de choisir qui elle veut ou non accueillir sur son territoire. L’immigration sera désormais « choisie » et non « subie », on la veut même « réussie ».

Réforme de la Constitution : le passage en force

Mais qu’est-ce qu’une immigration réussie ? C’est là qu’intervient le second argument du gouvernement : une immigration réussie doit être maîtrisée en privilégiant l’entrée sur le territoire national d’étrangers rentables économiquement. Si la Commission Attali soutient que la France doit en effet relancer l’immigration car « source de richesse et de croissance », en revanche, c’est au gouvernement que l’on doit l’idée d’instaurer des quotas d’étrangers qui seraient acceptés sur le territoire national en fonction de critères professionnels et de nationalité (Comment peut-on prétendre répondre aux besoins économiques de la France en s’appuyant sur les origines des immigrés ?) Et puisque que le Conseil constitutionnel est opposé à ce projet non conforme au principe d’égalité des citoyens devant la loi, qu’ils soient Français ou étrangers, la présidence Sarkozy veut réformer la Constitution pour contourner ce droit fondamental de la République.
En septembre 2007, lors de la présentation de son projet sur « la maîtrise de l’immigration », Brice Hortefeux avait déjà annoncé les intentions du gouvernement « d’engager une réflexion sur l’éventualité de modifications constitutionnelles destinées à mener à bien la transformation de la politique française de l’immigration ». C’est sans tarder donc qu’il a confirmé dimanche la création d’une Commission sur le cadre constitutionnel des quotas qui devrait être mise en place d’ici à la fin du mois de janvier. Selon Patrick Weil, Directeur de Recherche au CNRS*, si la proposition du rapport Attali de « faciliter la délivrance de visas aux étrangers » n’est pas incompatible avec la volonté gouvernementale de réguler l’immigration et le travail, en revanche, il qualifie ce projet d’instauration de quotas de « mécanisme de management de l’immigration le plus mauvais qui existe ». Tentons d’y voir plus clair.

« Accueil des étrangers qualifiés »  : la France au point zéro

D’abord, le rapport Attali ne manque pas lui non plus de critiquer la politique de maîtrise de l’immigration instaurée par Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur, et qui conduit au repli de la nation, au sur-protectionnisme du territoire en termes de mobilité humaine.
En effet, si des pays comme l’Angleterre, la Suède, l’Irlande, l’Espagne ou encore l’Italie ont ouvert leurs portes aux ressortissants récemment entrés dans l’Union Européenne -favorisant ainsi sa construction sans générer d’immigration illégale -, la France a manqué le coche.
Les procédures pour travailler sur le territoire sont si complexes (6 statuts différents existent pour 152 métiers avec une distinction entre les étrangers communautaires et les non communautaires...) que la France n’a pas encore optimisé cette possibilité offerte par l’Europe de doter ses entreprises d’étrangers qualifiés susceptibles de les aider à conquérir des emplois sur le marché mondial et donc à créer des emplois en France. Selon Patrick Weil, « il existe un marché mondial des qualifiés ».
Beaucoup de jeunes Français partent d’ailleurs travailler à l’étranger pour acquérir une autre expérience dans de grandes entreprises, mais de son côté, la France occulte la transversalité de cette ouverture. « Il faut que nous soyons beaucoup plus ouverts à l’accueil d’étrangers qualifiés qui vont nous apporter, du point de vue de l’innovation, de la création de nouveaux produits, de la création dans la recherche et l’enseignement, beaucoup plus qu’on ne l’a fait ». Le chercheur précise en outre que cette orientation ne doit pas faire oublier les plus de 2 millions de chômeurs que compte la France, dont beaucoup de non qualifiés, à qui l’on n’offre peu, si ce n’est aucune perspective d’insertion.

Le gouvernement a « construit une usine à gaz pas du tout attractive »

Accorder donc, comme le suggère le rapport Attali, la possibilité aux étrangers qualifiés d’obtenir en priorité des visas de travail est une idée intéressante pour Patrick Weil, car elle permettrait à la France de rester compétitive sur le marché mondial en se dotant des meilleures recrues. Mais cette politique d’ouverture doit s’accompagner d’un système d’aller-retour pour que ces étrangers qualifiés qui viennent travailler en France puissent ensuite retourner dans leur pays pour le développer.
Selon Patrick Weil, cette « élite intellectuelle » doit pouvoir circuler plus facilement. Sans quoi, cela reviendrait à encourager la dite « fuite des cerveaux » dont souffre déjà la France mais aussi l’Afrique. Loin de favoriser et d’encourager cette libre circulation des savoirs et innovations, en plus d’avoir manqué l’ouverture à l’Europe de l’Est (on retrouve bien des travailleurs de ces pays en France, mais ils ne sont pas déclarés !), Nicolas Sarkozy, épaulé par son Ministre de l’Immigration, a, pour Patrick Weil, « construit une usine à gaz pas du tout attractive ». Le discours présidentiel sur l’immigration et la chasse aux sans papiers a sérieusement terni l’image de la France à l’étranger. Les Français eux-mêmes s’exilent pour fuir cette politique.
Même si la loi sur les tests ADN est devenue, à force de contestations et de modifications, quasi inapplicable, la France freine le rapprochement entre conjoints français et étrangers. On impose aujourd’hui au conjoint étranger de maîtriser le français avant même son entrée dans le territoire, sous couvert de faciliter son intégration, mais cette exigence zélée permet surtout d’empêcher à certains mariages d’avoir des effets immédiats. Inacceptable pour Patrick Weil, qui estime que « le droit au mariage est fondamental », que chacun doit rester libre du choix de son conjoint. L’immigration choisie a des limites.

Quotas par nationalité : la France sera mise « au banc des nations civilisées »

Et là où le gouvernement est en train de les dépasser, les limites, et en force qui plus est, c’est en voulant instaurer cette politique des quotas. Déjà éprouvée aux Etats-Unis, en Italie, en Espagne, elle a engendré plus d’immigration illégale, car quand un pays annonce qu’il recrute 150.000 travailleurs, c’est le double, voire le triple qui va tenter sa chance. C’est ainsi que les Etats-Unis comptent aujourd’hui 13 millions de ressortissants étrangers vivant illégalement sur son territoire ! Un autre effet pervers à ce système est que l’appel massif à l’immigration dans des secteurs peu qualifiés a conduit encore aux Etats-Unis à un blocage, voire une baisse des salaires dans ces secteurs. De quoi peut-être satisfaire le patronat français ?
Pour Patrick Weil, Nicolas Sarkozy, qui se penche depuis 6 ans sur la question de l’immigration, n’a à l’évidence pas bien regardé son dossier. Mais ce qui est plus grave encore, c’est de vouloir sélectionner les étrangers en fonction de leur origine géographique, sachant que pour ce qui est du critère professionnel, il en était déjà ainsi avec les Italiens dans le BTP avant-guerre, les Maghrébins pour relancer l’industrie automobile après-guerre, les Polonais dans les mines, etc... Dire qu’un Latino-américain par exemple vaudra plus qu’un Africain, et l’« on va créer une hiérarchie des origines », selon le Directeur de Recherche, qui estime que « c’est message au monde : l’inverse de l’universalisme ». Un message profondément raciste qui renvoie au nazisme que l’on croyait aboli. « Si nous faisions cela, nous serions mis au banc des nations civilisées, car il n’y a plus aucune nation démocratique qui sélectionne les immigrés de cette façon-là ».

Stéphanie Longeras

* Extraits de l’émission Inter’Active diffusée le vendredi 11 janvier sur France Inter. A paraître, le 23 janvier, le prochain ouvrage de Patrick Weil “Liberté, égalité, discrimination : l’identité nationale au regard de l’Humanité” aux éditions Grasset.


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