Le Port, ville iconoclaste

17 juillet 2007

Le Port est-il cette ”matrice de la violence urbaine“, ce “centre de l’insécurité” dont une idéologie complaisante véhicule les stéréotypes ? Cette “image à faire peur” n’est pas celle renvoyée par les tendances lourdes du développement de la ville, qui vient de franchir une nouvelle étape en signant avec l’Agence française de Développement un accord-cadre d’ingénierie.

Que ce soit pour stigmatiser « les Comoriens » - dont on sait qu’ils trouvent plus souvent refuge au Port que dans d’autres villes de l’île - ou à la faveur du moindre fait-divers, la stigmatisation des jeunes Portois reste une figure rhétorique classique de la presse bien pensante ou à scandales.

L’accord-cadre d’ingénierie signé la semaine dernière entre la ville du Port et l’AFD est d’abord un événement pour la cité maritime et pour ses habitants, mais aussi, à plus long terme, pour d’autres collectivités de l’île auxquelles le Port vient, une nouvelle fois, d’ouvrir la voie. ...Aussi bien en termes d’aménagement et de développement urbain que d’un point de vue d’ouverture sur les pays voisins de l’Océan Indien.
À un second degré, cette signature vient mettre en exergue un paradoxe, ou un conflit d’interprétation, entre deux images de la ville du Port : celle trop souvent renvoyée par les médias et une idéologie rampante qui tend à faire du Port la source ou l’archétype de toute délinquance urbaine ; et celle qu’a donnée de la plus petite commune de l’île, la directrice adjointe de l’AFD, lorsqu’elle s’est adressée aux élus portois à l’occasion de la signature de l’accord-cadre.
Nous ne résistons pas au plaisir iconoclaste de les mettre en vis-à-vis. Pourquoi ? Parce que ce qui est dit du Port et des Portois la plupart du temps renvoie une image très superficielle. À un premier degré, on pourrait dire que cette appréhension superficielle par les médias s’applique aussi ailleurs, chaque fois que la réalité insulaire est enfermée dans les récits étriqués des “faits-divers”.
Mais les médias font toujours plus lorsqu’il s’agit du Port et de sa jeunesse. Le Port fait peur. Est-ce parce que les moins de 20 ans y représentent 40% de la population (43.000 habitants) ? Est-ce parce que cette jeunesse est le relais d’une mémoire politique et syndicale, d’une histoire où la solidarité a toujours joué un grand rôle, autant envers les autres Réunionnais qu’en direction des Malgaches, Comoriens ou Chagossiens (Maurice) ? Est-ce cela qui fait peur et alimente les fantasmes anti-Portois des bien pensants ?

« Une des leçons que je retire, en tant qu’élu de la ville du Port depuis un certain nombre d’années, est qu’il nous faut toujours conduire notre action dans la durée » a dit Jean-Yves Langenier, maire de la cité portoise, en recevant Catherine Chevallier, directrice adjointe de l’AFD.
Rappelant que ce type d’accord de partenariat est une “première” « dans le monde de l’Outre-mer », la directrice de l’AFD a expliqué les raisons de ce choix.
« Votre commune a une expérience très importante [...], une expérience et une inventivité, une constance dans son action - ce qui mérite d’être souligné - sur le très long terme, et de notre point de vue, cette pérennisation de vos actions communales sont dignes d’être connues puisque peu de communes en France en général peuvent égaler cette constance sur le long terme qu’a la commune du Port.
Alors ce partage, cette expérience sera très utile à nous-mêmes pour la conception et la mise en œuvre de nos propres actions aussi bien d’ailleurs dans l’outre-mer que dans les Etats étrangers et réciproquement. »

Ainsi, des développeurs qui n’ont pas l’avantage de la proximité, peuvent-ils à analyser avec justesse les lignes de force du développement d’une cité, tandis que ceux qui ont “le nez dessus” - et dont le métier est de lire les signes du présent, et de les interpréter - continuent-ils de tisser des fables et de faire peur.
Ces deux images antagoniques n’ont pas le même statut, ni la même efficacité. Mais leur rapprochement, dans les circonstances présentes, permet aussi d’interpeller la responsabilité des médias, dans l’œuvre commune de construction de la société.

P. David


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