Entretien avec Régis Devoldère

Le président de l’UNAPEI : « L’accessibilité, c’est aussi l’accompagnement humain »

7 juillet 2004

Dimanche dernier à Trois-Mares (Le Tampon), était organisée par l’ADAPEI (Association départementale des parents et amis d’enfants handicapés mentaux) une journée de rencontre entre les familles et le président de l’UNAPEI (Union nationale des associations de parents et amis d’enfants handicapés mentaux). Ce dernier - ainsi que le président de l’ADAPEI, Eric-Antoine Boyer - nous a accordé un entretien dans lequel il aborde entre autres la place de la personne handicapée dans la société.
L’entretien avec M. Boyer sera publié dans l’édition de demain.

2003 avait été décrétée Année européenne de la personne handicapée. Quel bilan ? Quelle place pour la personne handicapée dans notre société ? Avec quels moyens, quelles structures d’accueil ? Au terme d’une visite particulièrement remplie et riche de contacts et de rencontres avec les familles, Régis Devoldère, président de l’Union nationale des associations de parents et amis d’enfants handicapés mentaux (UNAPEI), à laquelle est fédérée l’ADAPEI, répond à ces questions, et aborde la question de la décentralisation, avec toutes les conséquences qui en découlent pour le Conseil général et les associations médico-sociales, qui remplissent un rôle de service public sans en avoir toujours la reconnaissance et l’écoute qu’elles mériteraient.
Président de l’UNAPEI depuis 2000, Régis Devoldère a été pendant dix ans président d’une association, “les Papillons blancs de Lille”, ville dont il est originaire. Agrégé de mathématiques, il est professeur à l’université de Lille I. Il est également père d’une jeune femme trisomique, Delphine, qui fêtera ses 26 ans en septembre prochain. Pour lui, il est important que les associations, tout en gardant leurs spécificités, constituent une force commune, pour un partenariat plus efficace avec les autorités de tutelle.

o “Témoignages” : L’UNAPEI a tenu son congrès du 10 au 12 juin dernier à Lyon, en présence notamment du Premier ministre, du Garde des Sceaux et de la secrétaire d’État aux personnes handicapées. Quelle a été votre message, après l’année 2003, décrétée année européenne du handicap ?

Régis Devoldère : Ce que nous avons rappelé aux membres du gouvernement qui étaient présents, c’est tout le travail sur la future loi sur l’égalité des chances et la participation à la citoyenneté des personnes handicapées. Nous avons rappelé à Mme Montchamp, la secrétaire d’État, les principes de compensation, à savoir que l’accompagnement d’une personne handicapée, surtout une personne handicapée mentale, c’est bien un accompagnement humain, et qu’elle doit se faire dans sa globalité.
Au Premier ministre, j’ai rappelé deux choses. D’abord que nous serions très vigilants sur la décentralisation. Ensuite, nous l’avons interpellé sur le fait associatif.
À l’UNAPEI nous sommes des associations de parents. Sur les 750 associations, il y en a une bonne moitié qui se sont données une mission de gestion et nous considérons qu’il n’est pas question de séparer les associations représentant les usagers et les associations gestionnaires. Nous serons vigilants, car un sénateur a présenté un amendement sur cette question au mois de mars. C’est peut-être un accident de l’Histoire qui fait que les associations sont à la fois associations de parents représentant les usagers et ont, dans le même temps, imaginé, construit. Le Centre d’aide par le travail (CAT), par exemple, a germé dans la tête de M. Grignon, à Carcassonne, dans les années 50. C’est vraiment un parent qui a inventé le CAT. Ensuite, la structure a évolué et ma visite de ce jour au CAT de Bérive montre qu’on est tout à fait dans la ligne d’un CAT, institution médico-sociale.
Nous avons aussi eu la visite du ministre de la Justice, et cela nous a permis de rappeler à l’occasion de ce congrès, que la mise en œuvre d’une protection juridique, tutelle, curatelle, était un élément de la compensation. Il y a la rénovation de la loi de 1968 où l’on était essentiellement dans la protection des biens de la personne, et le travail sur cette loi qui est pratiquement terminé, ajoute un volet sur la protection de la personne. Nous attendons maintenant un calendrier, car comme pour toute loi, l’une des conséquences, c’est le financement. Le ministre de la Justice nous a déclaré qu’il n’y aurait pas de problème mais pour notre part, nous attendons que la bourse soit ouverte.

5,7 places pour 1.000 habitants en métropole, 1,4 à La Réunion

o Il y a un sujet qui fait débat, c’est la décentralisation, avec l’attribution aux Conseils généraux d’une dotation globale, ce qui suscite bien des interrogations sur le fonctionnement futur et les moyens mis en œuvre...

- Sur cette question, je serai très prudent. À ce jour, personne ne sait encore comment seront organisées les choses. Un rapport a été demandé par le Premier ministre, rapport déposé fin mai et depuis, silence radio. Ce que j’ai pu dire personnellement, mais il n’y a pas que l’UNAPEI qui le dit, c’est qu’il faut une politique de proximité. Que le Conseil général ait un rôle à jouer, d’accord. Ce que nous voulons, et c’est indispensable, c’est qu’il y ait une politique de traitement des personnes handicapées, quel que soit le territoire, aussi bien en Métropole que dans les DOM-TOM. Les réalités d’un département comme La Réunion ne sont pas tout à fait les mêmes que celles du département du Rhône. Il n’y a pas les mêmes richesses, ni les mêmes besoins, ni les mêmes réponses, ni la même Histoire et encore moins le même climat.
Pour notre part, nous sommes extrêmement prudents. Nous disons oui à une réponse de proximité, peu importe qui la met en œuvre. Mais il faut des indépendances et des outils de régulation. L’État est garant des droits, bien sûr, mais il doit aussi être le garant de la mise en œuvre. Personnellement, je ne pense pas que ce soit le président du Conseil général qui soit responsable de l’évaluation des personnes, des besoins et des réponses et de la mise en œuvre. Il faut qu’il y ait une régulation. Pour l’instant, ce dossier est en attente. Mais on ne pourra pas rester longtemps dans cette situation.
La loi sur l’égalité va arriver au sénat en octobre et en novembre à l’assemblée nationale. Se pose ensuite la question de la mise en œuvre de cette loi. Il a été créé la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) qui rassemblera les moyens, mais il faut bien entendu une régulation pour que le traitement des personnes handicapées, quel que soit le handicap soit identique sur tout le territoire.
Il faudra aussi des rattrapages, ce n’est pas à l’île de La Réunion que je vais dire le contraire, avec les retards fantastiques que vous avez, que l’on retrouve également dans les autres DOM et même dans certains départements en France.
Il existe une véritable inégalité aussi bien concernant l’hébergement qui dépend du Conseil général depuis les lois de décentralisation dans les années 80, que pour ce qui concerne l’enfance, l’adolescence, les CAT, les maisons d’accueil spécialisées ou la scolarisation, la prise en charge des personnes polyhandicapées, autistes, troubles du comportement. Dans ces domaines, le retard est énorme. La décentralisation est un choix politique, qui dépend du gouvernement. Mais nous, associations, sommes là pour être extrêmement vigilantes.

o À propos de rattrapage, les ratios parlent d’eux-mêmes : 5,7 places pour 1.000 habitants en métropole, contre 1,4 à La Réunion. L’égalité de traitement a du plomb dans l’aile...

- Tout à fait ! J’ai proposé au président de l’Association départementale des associations de parents et amis d’enfants handicapés mentaux (ADAPEI), Eric Boyer, une démarche commune avec les autres DOM et c’est aussi le rôle de l’UNAPEI en tant que fédération, pour intervenir auprès du ministère, et de la direction générale des affaires sociales pour demander que soit prise en compte la spécificité des DOM, pour que soit mis en œuvre un plan de rattrapage car on ne peut pas partir de l’existant.

"Le handicap ne prend pas sa retraite"

o D’une manière générale, le manque de structures, et donc de places concernant les enfants et les adolescents est déjà en dessous des besoins réels. Mais se pose avec encore plus d’acuité le problème de ces enfants lorsqu’ils deviennent adultes et majeurs, où là, ils n’ont quasiment d’autre alternative que de retourner dans leur famille, sans prise en charge ni accompagnement...

- L’UNAPEI participe à tous les groupes de travail du ministère, et dans la future loi, on constate une volonté de la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Mme Montchamp, de gommer les coupures de l’âge, aussi bien à 18, 20 ou 60 ans. Ce que nous disons depuis longtemps, c’est que le handicap ne prend pas sa retraite. Il y a dans cette future loi à laquelle nous apportons notre contribution, une réelle volonté de supprimer le couperet de l’âge.

o Dans le rôle qui est le vôtre, c’est à dire le médico-social, les associations jouent un rôle de service public, sans véritablement en avoir les prérogatives. N’y a-t-il pas là quelque chose à changer pour que ces associations soient confortés dans cette mission de service public qu’elles remplissent chaque jour auprès des handicapés ?

- Bien entendu, nous avons une mission de service public. Une association comme l’ADAPEI gère des fonds publics, doit travailler dans la transparence, la rigueur. Comme dans toute entreprise humaine, il peut y avoir des dérapages, mais dans l’ensemble, les associations travaillent très bien. Nous avons effectivement une mission de service public, d’intérêt général.
Ceci dit, on est tout à fait indépendant. L’ADAPEI est une entreprise privée. Mais nous sommes des partenaires du Conseil général, du Conseil régional, de l’État. Une des missions essentielles de l’UNAPEI, c’est de faire fonctionner ce partenariat au niveau de l’élaboration des lois. Nous avons à peu près 45 permanents à l’UNAPEI, dont 80% de juristes. Nous sommes un partenaire reconnu. Quand l’UNAPEI écrit, analyse un certain nombre d’amendements, je peux vous garantir que Mme Montchamp et son équipe du ministère les lisent avec beaucoup d’attention.

o Vous avez eu un séjour très chargé à La Réunion, beaucoup de visites, beaucoup de rencontres, quel est votre sentiment sur la situation, telle que vous la découvrez, et au travers des réunions de travail que vous avez eues ?

- J’ai eu des réunions avec le Conseil d’administration de l’ADAPEI, j’ai visité l’IMPRO (Institut médico-professionnel), le CAT, des institutions qui sont tout à fait saines, rigoureuses et bien tenues. À l’initiative de l’ADAPEI, nous avons eu une réunion avec d’autres associations.
Au niveau national, nous avons un travail en commun, au sein d’un comité d’entente qui regroupe 60 organismes nationaux s’occupant de personnes handicapées. Je pense qu’il serait bon de faire un groupe inter-associatif. On peut se trouver des intérêts communs, tout en gardant ses spécificités, sachant que l’accompagnement d’une personne handicapée physique n’est pas le même que pour une personne handicapée mentale.
Quand on parle d’accessibilité, on entend tout de suite l’aménagement du trottoir, du logement, du transport. Mais l’accessibilité, c’est aussi l’accompagnement humain pour une personne handicapée mentale. Si on veut qu’elle prenne le bus toute seule, il faut aussi qu’il y ait un accueil adapté à chaque personne alors qu’une personne handicapée mentale a ses deux jambes et n’a aucun problème pour monter ans le bus.
Il y a donc un travail important à faire et j’ai découvert cette volonté de l’ADAPEI de fédérer, de regrouper au lieu que chacun reste dans son coin. On a des choses à échanger, des choses à apprendre avec l’association d’à côté. En terminant mon séjour je repars avec une très bonne impression de l’ADAPEI qui est une association qui prend pas à pas les choses avec beaucoup de compétences et de sérieux, ce qui est fondamental.

Propos recueillis par Sully Damour


Le Collectif des démocrates handicapés :
une loi très insuffisante

La "petite loi Boisseau-Montchamp" a révélé l’essentiel : il faut injecter des moyens massifs pour financer des équipements publics accessibles à tous et mettre un terme à notre exil de la société française. Or les députés ont bel et bien refusé que l’on touche à ce tabou. "La personne handicapée ne doit pas nous coûter cher...".
Des sénateurs avaient chiffré le besoin à 10 milliards. Nous n’atteindrons pas le dixième de cette somme. Il ne faut pas se satisfaire de quelques avancées, nous avons le devoir d’être exigeants car l’avenir de millions de Français du 21ème siècle en dépend.
Au Collectif des démocrates handicapés (C.D.H.), nous ressentons que quand bien même le droit à compensation individuelle du handicap se traduirait en actes - ce qui est loin d’être le cas au niveau budgétaire -, il faudra bien s’attacher tôt ou tard à résoudre l’inaccessibilité durable, la médiocre ergonomie globale de la société.
Si l’État prenait un jour en charge l’intégralité de nos équipements personnels (fauteuil, domotique, véhicule), nous ne pouvons pas tolérer que la cité continue à nous mettre à part (démocratie, travail, loisirs, transports).
Comment accepter que des citoyens n’aient que les miettes des droits humains (refus de l’indexation de l’AAH sur le SMIC, non-transcription des émissions pour sourds), ne soient pas défendus dans leur propre pays (la SNCF a le droit de nous envoyer au wagon à vélo, les entreprises subventionnées à ne pas restituer leurs subventions...), soient exposés à des vexations dignes du Moyen-ge (cas de stérilisations, refus du droit syndical, disparues de l’Yonne) ? Avec le CDH, les citoyens handicapés refusent d’être des sous-hommes. Mobilisons-nous avec nos secrétaires régionaux devant ces actes caractérisés de non-assistance de citoyens en danger !

Jean-Christophe Parisot,
président du CDH.
Youssef Kola,
représentant du CDH à La Réunion
(Tél : 0262.30.43.48)


Régis et Sylvie Tonnelier : "Quel avenir pour nos enfants ?"

Régis et Sylvie Tonnelier ont quatre enfants dont l’un, Thimothée, âgé de 9 ans souffre d’un retard mental et de comportement autiste qui se traduit par de l’agressivité envers les autres et de l’auto-agression. Pour ce couple, qui comme des dizaines de familles qui ont participé à la rencontre de dimanche organisée par l’ADAPEI, ce type de manifestation est important, dans la mesure où, note Mme Tonnelier, "il est important d’être pris en compte, de ne pas se sentir seul, isolé. C’est réconfortant de pouvoir sortir, rencontrer d’autres gens, d’autres familles qui partagent la même galère. Quand on rencontre d’autres parents dont les enfants ne sont pas pris en charge, on connaît leur désespoir, leur cheminement. Ce qui est sûr, c’est que tout seul, on ne peut rien".
Pour Régis Tonnelier, si l’année 2003 a été celle du handicap, il n’en a pas vraiment vu la concrétisation : "On manque toujours de moyens et nous, parents, on n’a pas vu la traduction concrète des bonnes intentions affichées au cours de l’année 2003...". Seule petite lumière dans ce fénoir : l’ouverture prévue début 2005 au Tampon d’un Foyer d’Accueil Occupationnel (FAO). Mais dès maintenant, alors que la Commission régionale d’organisation médico-sociale (CROMS) a donné son feu vert, les 30 places de ce FAO sont loin de pouvoir satisfaire une liste d’attente de 90 noms. La situation n’est pas meilleure dans les IMP (Instituts médico-psychologiques), fait remarquer Régis Tonnelier : pour 45 places, ils sont 55 en liste d’attente. La situation est telle que lorsque certains enfants quitteront cette liste d’attente, ils seront déjà trop âgés pour entrer dans ces structures et seront alors livrés à eux-mêmes, avec des familles désemparées.
Pour le petit Thimothée, la famille Tonnelier, après bien des galères, a pu bénéficier d’une place dans une des structures de l’ADAPEI, au Tampon. Mais pour ces parents, comme pour des milliers d’autres, la question qui se pose est toujours la même : quel avenir pour cet enfant ? Après des années passées en structures spécialisées, il reviendra à sa famille, avec tous les acquis, patiemment accumulés au fil des années qui s’émiettent.
Pour Régis Tonnelier, le constat est hélas simple : "le handicap mental est le parent pauvre du handicap qui est déjà le parent pauvre de la société. On parle souvent d’accessibilité pour les handicapés. Mais il faut aussi penser à l’accompagnement humain qui est encore plus oublié, car il existe autant de handicaps que de handicapés, et s’il existe différents niveaux de handicaps, le pire, ce sont les gens qui ont un handicap léger : ils sont rejetés des deux côtés..."
Voir des familles se rencontrer, discuter, échanger, voir des enfants s’amuser, c’est aussi l’occasion, estime Sylvie Tonnelier "de faire se dégager une prise de conscience pour que les familles montrent leur nombre et se mobilisent".

S. D.


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Messages

  • Je suis tombée sur votre article par hasard et je pense avoir reconnu un nom. celui Régis TONNELIER.
    En effet, je pense avoir été son professeur d’anglais au lycée il y a bien des années.
    Si cela est possible, je souhaiterais faire savoir à sa famille qu’ils ont tout mon soutien. Je connais un peu l’univers du handicap mental et j’imagine sans peine leur désarroi.
    Je souhaite à Régis, à son épouse Sylvie, à leur petit Thimothée et à toute leur famille beaucoup de courage et de grandes joies.
    Marie-Cécile OUBRIER
    [email protected]


Témoignages - 80e année


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