Interview de Jean-François Reverzy - 2 -

Les politiques et la psychanalyse

4 mai 2007

« Le président américain Wilson dont le père était trop écrasant a ajouté « Woodrow » à son patronyme pour diminuer la part de l’héritage paternel. »

Jean-François Reverzy, vous êtes psychanalyste et vous avez récemment présenté une réflexion sur “Psychanalyse et politique”, dans le cadre du cycle de conférences intitulé “Les rencontres de Bellepierre” (voir www.lrdb.fr). Vous êtes notamment revenu sur cette grande figure de la psychanalyse qu’est René Major. Ce dernier a souligné l’importance du nom propre beaucoup plus chargé en valeur qu’on ne le pense. En ce sens, Jean-Marie Le Pen a ajouté Marie à son nom pour s’attirer l’électorat catholique. Un psychanalyste a-t-il proposé des interprétations sur Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy ?

- Il est certain qu’il y a dans cet affrontement terminal, deux signifiants patronymiques qui s’opposent. Il y a d’un côté, un signifiant qui associe son nom à la royauté, et qui dispose d’un prénom un peu rare. Le signifiant “Ségolène Royal” est très paradoxal puisqu’il renvoie à l’ordre, à la vieille France, à la droite de Charles Maurras, de la droite dure sous la Troisième République. En même temps, c’est une femme qui le porte avec un adjectif au masculin. En outre, elle est socialiste. De l’autre côté, au niveau de Nicolas Sarkozy, son nom n’a pas beaucoup d’intérêt. Cependant, à mieux y regarder, on s’aperçoit que, là encore, nous sommes dans une situation paradoxale. Nicolas Sarkozy se positionne pour être élu dans un discours de droite, d’extrême droite, voire fascisant. En même temps, il a un nom étranger. Ses origines étrangères et juives sont deux qualités honnies par une certaine droite.

Roger Dadoun, dans un article du “Monde” daté du 20 avril 2007, perçoit la candidature de Ségolène Royal comme une nouvelle ère du politique en tant qu’elle incarne le « retour du maternel capable de servir de recours face aux écrasants défis de notre temps ». Ce psychanalyste souligne qu’une telle évolution de la culture serait en quelque sorte une réminiscence des mythes de la Terre-Mère d’il y a six mille ans. Qu’en pensez-vous ?

- Le propre du personnage politique est de construire des personnages interchangeables dans des rôles qui existent. On voit très bien que Ségolène Royal se positionne dans une figure maternelle. Pour elle, il y a quand même une rupture, mais qui n’est pas n’importe laquelle. Là, il s’agit d’un poste décisif. Il n’y a jamais eu de Reine de France en tant que telle. On touche aux soubassements de l’inconscient historique de France. Cela peut-être un atout et un handicap.

Dans “Le Nouvel Observateur” en date du 19 avril 2007, Jean-Pierre Winter, psychanalyste, écrit : « Un être capable de toutes les trahisons est forcément héroïque au regard de l’inconscient. D’où la séduction irréfléchie que Sarkozy exerce. » Pourriez-vous nous dire votre avis ?

- Cet auteur montre que, ce qui est fondamental, c’est l’enfant-roi. Il est consacré par sa mère. Il est dans une position perverse, comme on dit en psychanalyse. Il incarne par lui-même la loi, l’autorité.
Cette hypothèse est séduisante. En effet, il donne un peu cette impression. Je me méfie quand même des biographies fondées sur la psychanalyse.

Dans le même hebdomadaire, Julia Kristeva écrit, à propos de Ségolène Royal : « Elle a compris qu’il fallait soigner un pays déchiré. Elle introduit le maternel en politique. Alors que notre culture française a toujours fait l’impasse sur la mère, l’a réduite à l’éternelle castratrice, ne lui a jamais reconnu son rôle civilisateur et sublimateur. » Partagez-vous ce point de vue ?

- Oui, je pense que le côté consolateur fait partie du rôle de Ségolène Royal. Je crois qu’elle le sait. Elle est perçue comme beaucoup de gens comme tels. Je partage l’avis de Julia Kristeva.

Nicolas Sarkozy a répété plusieurs fois : « J’ai été façonné par les humiliations de mon enfance » rappelle “Le Nouvel Observateur” . Quant à Ségolène Royal, elle a révélé « Mon père m’a toujours traité en inférieure ». Si ces propos sont révélés, n’est-ce pas aussi parce que le public en redemande. Du coup, que révèle la “pipolisation” du politique ?

- Dans l’étude qu’avait faite René Major sur Hitler, Staline et Woodrow Wilson, il montre bien comment ces derniers ont caché beaucoup de choses. Staline avait de nombreux problèmes par rapport à son père au point qu’il a changé de nom. Hitler avait aussi un grand-père dont les origines étaient en partie juives et il a toujours veillé à le cacher. Quant à Wilson, le père était trop écrasant et il a également ajouté « Woodrow » à son patronyme pour diminuer la part de l’héritage paternel. Ces trois personnages ont caché leurs difficultés de rapports avec leur ascendant.
Pour ce qui est de Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, il en va tout autrement. Ils ont mis en avant leur histoire personnelle. Ils ont montré qu’ils n’avaient pas eu de bons pères.
Pourquoi les romans dits populaires d’Eugène Sue ou les romans-feuilletons, ont-ils autant de succès ? Qu’est-ce qui attire les gens ? On constate que ce qui séduit réside dans le scénario où l’Oedipe est omniprésent. La quête du père et celle de la mère sont des leitmotivs de l’inconscient collectif. Le personnage politique est consommé par le citoyen dans une identification collective à un personnage. On en fait un personnage essentiel de sa propre existence. Il nous vampirise.

Propos recueillis par Matthieu Damian


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