La prison pour lutter contre la récidive ou la générer ?

« Les prisons réunionnaises sont les marmites du diable »

8 juin 2007

Comme ce fut le cas avec la politique répressive du ministre Sarkozy dite de “tolérance zéro”, les peines plancher inscrites au projet de loi contre la récidive menacent d’accroître le nombre d’incarcérations. Comment sera-t-il encore possible de gérer des prisons qui sont déjà au bord de l’asphyxie ? Le syndicat UFAP (Union Fédérale Autonome Pénitentiaire) - UNSA de La Réunion tente à son tour de sonner le réveil des politiques, en hibernation prolongée sur la question pendant que la prison fabrique des récidivistes. Retour sur un état des lieux bien connu.

Les compteurs sont dans le rouge : à la Maison d’Arrêt de Saint-Pierre, le taux d’occupation atteint 168%, 186% à celle du Port et jusqu’à 209% à celle de Saint-Denis. La surpopulation des prisons réunionnaises n’est plus à démontrer, mais à l’évidence, il faut encore rappeler ses contre effets.

«  On gère de l’humain, pas des machines  »

« En aucune façon, nous ne sommes en mesure d’assumer nous deux taches régaliennes à savoir la garde et la réinsertion, explique Rémi Bultor, secrétaire national de l’UFAP-UNSA. Pour vous donner une image, le surveillant est un porte-clé qui passe son temps à ouvrir et fermer les portes. »
Des portes derrière lesquelles se côtoient petite délinquance et criminalité notoire, instabilité psychologique et détresse sociale, voleurs de scooters et criminels sexuels, mineurs et majeurs. Une cohabitation d’autant plus improbable qu’elle est éprouvée par la promiscuité avec des conditions matérielles et morales de détention contraires au respect de la dignité humaine. « On gère de l’humain, pas des machines, tient à rappeler Rémi Bultor. Les détenus ont leurs humeurs, leurs joies, leurs peines, leurs difficultés et le fait d’être parqué comme des bêtes n’arrange rien. » Bien au contraire. « Le caïdat existe en prison. Il existe aussi en métropole si ce n’est que les cellules y sont plus petites alors qu’à La Réunion, à Basse-terre, à Saint-Denis, à Saint-Pierre, les gens sont encore dans des dortoirs. Quand un jeune arrive en tant que prévenu, il est confronté à des délinquants beaucoup plus lourds qui se sont déjà bien frottés à la justice : on en fait un délinquant. »
Quel que soit le syndicat pénitentiaire, le constat est unanime : le risque d’implosion est réel, l’insécurité en prison avérée, les incidents croissants... mais les pouvoirs publics privilégient la politique de l’autruche. « Le personnel, des pères et mères de famille, se rend chaque jour au travail avec la crainte de l’incident car on entasse, on entasse, on entasse... » Rémi Bultor insiste : il ne plaide pas l’impunité face au crime, ne remet pas en cause la légitimité de la peine qui consiste à priver un criminel de liberté, ne cherche pas non plus à discuter les mesures prises par son ministère de tutelle, mais constate que les moyens n’y sont pas. Les prisons françaises sont réduites à la seule fonction de cachot.

«  On crée des multirécidivistes  »

« On ne se donne pas les moyens de la politique que l’on dit vouloir mettre en place, explique-t-il. Il faut certes créer des prisons, mais la France devrait se tourner vers les autres pays tels que la Suède, la Norvège qui ont un système pénitentiaire beaucoup plus évolué. Là-bas, les délinquants sexuels ne sont pas traités comme les voleurs de poule, ils sont soignés. Je prends l’exemple de Guy Georges que j’ai eu à la prison de la Santé : il a rencontré deux fois un psy durant sa période de prévenu et puis plus rien. Les exemples de ce type, il y en a à la pelle. Les personnes qui manifestent des troubles psychiques ou psychologiques, personne ne veut les prendre en charge alors on les laisse en contact avec des gens "normaux" et c’est le clash : agressions de détenus et du personnel. Quant aux grands bandits, il faut créer des prisons sécurisées avec du personnel formé en conséquence, du matériel adapté ; il faut des petites structures de 50 places pour une prise en charge et un suivi cohérent des détenus les plus dangereux. » C’est toute la politique pénitentiaire qui reste à construire en France, toutes les vraies questions à mettre sur la table mais même la mission parlementaire et son rapport accablant sur l’état des prisons françaises de 2000 n’a pas suffit au réveil de la classe politique qui, selon Rémi Bultor, « s’intéresse à la prison seulement quand elle a un soucis, qu’elle a trempé le doigt dans le peau de confiture. On discute des mesures pénitentiaires à prendre en matière de délinquance, mais on ne s’intéresse pas à ce que l’on fait du détenu une fois derrière les barreaux : on crée des multirécidivistes. »

«  La prison ne doit plus rester dans l’ombre  »

Si ces dernières années, des efforts ont été faits pour renforcer le personnel éducatif au sein des prisons, Rémi Bultor estime qu’il s’agit là d’« une goutte d’eau. » Et sur le plan des déficits, La Réunion est là encore bien servie. Il manque des Conseillers d’Insertion et de Probation pour porter et accompagner les détenus dans un projet de vie au sortir de la prison, quant aux Établissements Pour Mineurs, réclamés depuis près de 15 ans, aucun n’a encore vu le jour. « Pourquoi La Réunion n’en a pas alors même que le code de procédure pénale stipule clairement que les mineurs doivent être séparés des majeurs, ce qui n’est pas le cas ici ? » Et Rémi Bultor de soutenir qu’il ne faut pas voir dans la future prison de Domenjod la réponse à toute la problématique carcérale. Elle va certes permettre de désengorger les prisons du Port et de Saint-Pierre, mais va rapidement être saturée. « La politique de la tolérance zéro a conduit à une augmentation considérable du nombre d’incarcérations jusqu’à atteindre des records il y a 1 an de ça. Avec les peines plancher, on risque d’assister au même phénomène, augure le syndicaliste. On ne fait pas de politique, mais l’on se doit de tirer la sonnette d’alarme : on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. » Après plusieurs années d’exercice en métropole, Rémi Bultor est bien décidé à plaider en faveur du retour des gardiens de la paix réunionnais dans leur pays. En 2006, 459 surveillants domiens ont demandé leur mutation pour 7 postes à Saint-Pierre. Il est également déterminé à interpeller autant qu’il le faudra la classe politique pour qu’elle s’empare, et de cette question des mutations mais aussi, de façon urgente, des multiples dysfonctionnements et incohérences qui régissent l’institution pénitentiaire. « La prison ne doit plus rester dans l’ombre, soutient-il. On doit interpeller les gens, mettre les politiques en face de leurs responsabilités. Je ne souhaite pas à mon pire ennemi de rentrer en prison. L’hygiène, l’intimité, la violence... les prisons réunionnaises sont les marmites du diable. »

Stéphanie Longeras


Un projet de loi anti-récidive endurci

La justice appelée à sanctionner plus et plus lourdement

Le projet de loi contre la récidive, qui devrait être soumis au Parlement d’ici juillet, s’avère beaucoup plus sévère qu’annoncé durant la campagne présidentielle. Il va conduire selon les principaux syndicats de magistrats, montés au créneau la semaine dernière en métropole, à une multiplication des peines d’emprisonnement alors même que les prisons françaises sont saturées.

Un champ d’infractions élargi

Les peines plancher - fixées à environ un tiers de la peine maximale encourue - qui ne devaient concerner que les multirécidivistes comparaissant pour la troisième fois devant un juge pour crimes ou délits graves, s’étendront à un plus large panel d’infractions, « avec un régime plus sévère pour les violences graves, telles que les atteintes à l’intégrité physique ou les vols avec violence », confiait la ministre de la Justice, Rachida Dati la semaine dernière au journal “Le Monde”. Elle a précisé qu’il s’agit de « donner des lignes directrices » aux juges et non de les contraindre à prononcer des peines automatiques. Ce qui serait en l’occurrence contraire au principe de l’individualité de la peine inscrit dans la constitution. Les juges pourront donc prononcer des peines plus faibles à condition de justifier leur décision. Un supplément évident de travail pour les magistrats qui devront rentrer dans les détails de chaque dossier pour argumenter leur décision.

Pas de seconde chance pour les mineurs

Pour Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la Magistrature, « l’individualisation de la peine (...) est reléguée à l’exception et, au mieux, à la bonne volonté du juge. Et vu le flux pénal, cette exception restera vraiment tout à fait exceptionnelle. » De plus, le projet de loi mentionne que dès la seconde infraction concernant des atteintes aux personnes et des délits graves de violences ou agressions sexuelles, les mineurs d’au moins 16 ans pourront être jugés comme des adultes, sans division de peine. Concrètement, un jeune homme pris pour la seconde fois la main dans le sac, en train de dérober un CD dans un supermarché, vol punissable de 3 ans de prison, sera donc passible d’une peine plancher d’1 an d’emprisonnement. La loi « va remplir les prisons de manière décuplée, confie Hélène Franco. Elles vont craquer. » Contrairement à la ministre de la Justice qui soutient que « la fonction première de la loi pénale est d’être dissuasive », la magistrate retient qu’« aucun risque de sanction, même celui de la suppression de la vie, n’a jamais permis de faire baisser la délinquance. »

Stéphanie Longeras (avec AFP)


Réaction

Eric Mackwitz, membre du bureau fédéral Santé-Social de la CGTR favorable à la mise en place d’une politique de prévention avec un grand P.

« 
La jeunesse a été abandonnée  »

Il ne s’agit pas de faire montre de laxisme face à la délinquance : à chaque crime correspond une sanction et la prison en fait partie, c’est incontestable, si ce n’est que dans sa forme actuelle, elle tend à conforter dans la criminalité plus qu’à en écarter. Entre sous-équipements et pénurie de sanctions alternatives, Erick Mackwitz s’indigne de l’absence scandaleuse d’une véritable politique de prévention et de réinsertion à La Réunion. Il est selon lui, urgent d’agir.

Agir en amont, avant que le premier délit ne soit commis : tel est l’objectif et l’enjeu d’une politique de prévention digne de ce nom. La Réunion a grand besoin, selon le syndicaliste, d’« un service public de la prévention pour travailler en réseau : police, justice, action sociale du Département, PJJ, Education nationale... Là, on ne travaille pas ensemble mais les uns contre les autres. »

«  Il faudrait des assises de la délinquance  »

Il déplore en effet l’absence d’actions concrètes et suivies sur le terrain, dans les quartiers, engagées par un réseau pluridisciplinaire de partenaires ; réseau qui permettrait de mettre en oeuvre une vraie politique de l’enfance et de l’adolescence à mène de répondre aux réalités sociales. « La prévention ce n’est pas éloigner un jeune et lui donner des devoirs, commente-t-il. On dit que la délinquance d’aujourd’hui n’est pas celle de 1945 et bien c’est pareil pour la prévention. Il faut mettre tout le monde autour d’une table pour se donner les moyens d’agir de façon cohérente et concertée ». Soulevant tous les constats et arguments déjà avancés par Rémi Bultor, Erick Mackwitz souligne qu’« il faudrait avoir l’honnêteté de dire que parallèlement à la peine de prison, il y a tout un dispositif permettant d’éviter la récidive, qui fait souvent suite à un emprisonnement d’ailleurs. » Il faudrait donner à la justice des mineurs les moyens dont elle a besoin pour être réactive et efficace, permettre aux services sociaux d’assurer sa mission première de protection de l’enfance, le placement des jeunes en danger ou en grande difficulté, il faudrait pouvoir distinguer les réponses à court et moyen termes, développer des projets territorialisés... « Il faudrait des assises locales de la délinquance, dresser un état des lieux précis, travailler sur les causes, défend le représentant syndical. On en a les moyens : on a des statistiques, des universitaires compétents, des juges, des éducateurs, une police... Personne n’a jusque-là fait de recensement. Ce qui est sûr c’est que les moyens octroyés pour aider les jeunes sont ridicules et les carences énormes. J’ai commencé à exercer en 1977 en métropole et je peux vous dire que les moyens dévolus à La Réunion son pire qu’à l’époque où j’ai commencé. À l’évidence, les dirigeants ne connaissent pas leur sujet. Il en est qui font preuve d’une incompétence notoire. »

La Réunion : «  en rupture d’égalité totale  »

« La jeunesse a été abandonnée aux associations, qui font ce qu’elles peuvent, mais c’est à l’État qu’il appartient de garantir l’égalité, avec la volonté et les moyens nécessaires, poursuit-il. La Réunion est vraiment en rupture d’égalité totale s’agissant de la prise en charge des jeunes : peu de moyens pour l’action sociale, la protection judiciaire de la jeunesse, la prévention sanitaire, la souffrance psychiques des jeunes... En France, il existe des Instituts Thérapeutiques d’Éducation Pédagogique, des Centres d’Accompagnement Pour Adolescent en Souffrance alors qu’à La Réunion, c’est scandaleux, le jeune est laissé pour compte dans sa souffrance ce qui conduit très souvent au passage à l’acte même si l’on ne peut pas généraliser. » Comment dès lors prétendre que la répression et le durcissement des sanctions est la seule mesure dissuasive probante alors même qu’aucune politique de prévention n’est opérationnelle. Pour Erick Mackwitz, « on veut répondre rapidement au niveau national pour créditer une politique de la peur, mais quelle rapidité pour répondre aux besoins spécifiques de La Réunion ? Les interventions à l’Américaine, la politique du grand spectacle, la course aux résultats ne masqueront pas ce besoin en police de proximité. » Il le répétera à plusieurs reprises lors de notre entretien, Erick Mackwitz ne remet pas en cause la sanction, mais insiste sur sa valeur éducative. On a besoin d’une part de comprendre ce qui a conduit le jeune à commettre un délit pour pouvoir lui expliquer de façon plus efficace en quoi son acte est répréhensible, pour pouvoir répondre par une prise en charge adaptée. Il faut aussi pouvoir lui donner les moyens de le réparer, de souder ses propres fractures pour continuer à avancer dans une société qui lui aura alors laissé une chance. « Je crains que les délinquants à La Réunion n’aient pas les mêmes chances qu’au niveau national, commente-t-il. Il y a là un plan d’urgence à mettre à jour. Il faut des sanctions justes, des moyens de réinsertion pour les prisons dans le respect de la dignité de l’humain sinon, on crée des anti-sociaux. »

Stéphanie Longeras


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