Entretien exclusif avec Emmanuelle Laborit

’Mes parents entendants voulaient que j’oralise’

7 juillet 2006

Comment êtes-vous devenue comédienne ?

- Toute petite, mes parents entendants voulaient que j’oralise. C’est le jour ou papa a vu un comédien sourd de l’IVT que son regard sur la langue des signes à changé et que moi, je n’ai plus voulu oraliser. On m’a proposé à 9 ans de participer à un atelier de théâtre et j’ai trouvé ça extraordinaire. J’ai suivi mes études jusqu’au Bac que j’ai eu à la seconde fois mais j’avais vraiment envie de devenir professeur de théâtre. Pour acquérir un niveau professionnel, je me suis entraînée tous les soirs, j’essayais de faire des recherches et puis je me suis lancée. Et aujourd’hui, en plus d’être comédienne, je suis directrice de l’IVT. J’ai une double casquette.

Qu’est-ce que le théâtre vous a apporté ?

- Une vraie place en tant que sourde face à un public qui est attentif à une langue différente de la leur, qui tourne son regard sur moi quand je suis sur scène. Le théâtre m’a appris à me placer, à évoluer sur scène, à faire des recherches pour trouver de nouvelles expressions, de nouvelles images, à m’ouvrir davantage aux autres. Philippe, très fort pour adapter les textes, m’aide beaucoup dans ce travail.

Est-ce que, comme l’association Réso, vous expérimentez le chant et la danse ? Que pensez-vous de leur travail ?

- Quand je travaille Shakespeare, Molière, c’est plus le côté visuel au niveau de l’expression que j’exploite. Ma recherche est centrée sur une forme contemporaine d’expression pour que plutôt que la danse, la recherche des signes soit une vraie chorégraphie. Mais je trouve que ce qu’ils font est très intéressant, très riche et je suis partante pour organiser des échanges avec ces jeunes. Je connais l’association ChanDanse des Sourds qui organise le festival du Silence et je trouve très positif que les choses évoluent et progressent de cette façon.

S. L.


International Visual Theater

Un lieu unique, pluriel pour sourds et entendants
L’IVT est aujourd’hui le seul espace permanent en Europe francophone de création et de recherche théâtrales, chorégraphiques et cinématographiques des sourds. C’est de la rencontre entre Jean Grémion, écrivain, journaliste et metteur en scène français, avec Alfredo Corrado, artiste sourd américain, en 1976, qu’est née l’idée de créer l’International Visual Theater (IVT). Dès la première année, un groupe d’une vingtaine de jeunes adultes sourds ainsi qu’un atelier de théâtre avec des enfants sourds se constitue et s’installe dans la Tour du Village du Château de Vincennes. Dès le départ, la création théâtrale s’avère indissociable de la recherche linguistique et pédagogique autour de la langue des signes. Alfredo Corrado fait appel à deux Américains pour créer le premier programme d’enseignement de Langue des Signes Française (LSF) et jeter ainsi les premières bases de cette communication non-verbale. Les comédiens du Château seront les premiers professeurs et six mois après le début de l’aventure, une cinquantaine d’entendants commencent à suivre leurs premiers cours.
À l’été 2004, l’IVT a quitté le lieu historique de sa fondation pour occuper l’ancien Théâtre du Grand-Guignol de la cité Chaptel dans le 9ème arrondissement de Paris, concédé par la Mairie. Bien que le centre soit déjà actif, il ouvrira officiellement ses portes en 2007, le temps de réhabiliter le bâtiment. Sa directrice, Emmanuelle Laborit, tient absolument à poursuivre ce travail sur la culture sourde et la langue des signes "dans un esprit de mixité, c’est-à-dire mêler l’univers des sourds et celui des entendants."
Pour la comédienne, "c’est la complexité et la confrontation qui sont intéressantes, c’est pourquoi je ne veux pas que l’on se ferme aux entendants." IVT ne compte pas se limiter non plus à un style, n’emprunter qu’une voie, mais "se doit être un laboratoire, un centre de recherches sur tous les genres possibles et imaginables." Ainsi en plus de la formation théâtrale et à la langue, le centre s’engage dans la recherche pédagogique destinée à un public de professionnels et d’amateurs, dans l’édition par le biais de dictionnaires langue des signes/langue française sur lesquels travaille assidûment Michel Girod. "C’est un lieu unique, concède sa directrice, c’est pourquoi il faut qu’il soit pluriel."

Stéphanie Longeras


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