Koudkongn de raymond mollard

Ni le “yin”, ni le “yang”, ni le gnangnan ...

26 mars 2007

Je le dis comme je le pense : François Bayrou me paraît, comme à beaucoup de Français, et sans doute à pas mal de Réunionnais, être un monsieur convenable, propre sur lui, peu suspect d’être déjanté intérieurement ou de conduire le char de l’Etat sans faire la révision tous les 10.000 km. Il aide régulièrement, j’en suis sûr, les petites vieilles à traverser, et se lève dans le bus pour laisser sa place aux dames en voie de famille.
Mais c’est là, malheureusement, son problème.
Ressembler comme un clone au citoyen lambda, assumer jusqu’au bout des boutons de manchette l’image du gendre parfait, exhaler jusqu’à l’ivresse les senteurs mièvres de la naphtaline des bons sentiments, jurer qu’on va jouer au ballon sans jamais piétiner la pelouse, ça le contraint, finalement, à emboucher le tonitruant clairon du conservatisme, pour proclamer urbi et orbi, avec ces airs de diacre qui donnent à son moindre propos des allures de Parole Inspirée :
« Rien de nouveau sous le soleil,
ce qui fut, c’est ce qui sera,
ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera... »

Bref, et pour passer d’un livre à un autre, n’avons-nous pas dans son programme présidentiel la parfaite illustration de la “Fin de l’Histoire”, annoncée par Hégel pour marquer l’étape ultime du développement dialectique, l’accomplissement parfait de l’Idée en Absolu ?
Je le crains fort, et cela, du même coup, explique la fantastique boulimie dialectique de Bayrou qui, avalant d’un seul battement de glotte les trois ingrédients historiques de la politique française, les régurgite à notre profit en moins de temps qu’il n’en faut à une maman pélican pour satisfaire sa nichée, sous la forme d’un produit tout-chaud-qui-vient-de-sortir : le gaucho-droitisme d’extrême centre , qui travaillera 7 jours sur 7 à raser gratis, y compris, cela va de soi, les imberbes et les faux barbus. Le moyen, je vous prie, de résister à cette offre ? Bravo l’artiste !...
D’autant plus qu’il n’y a aucun apport personnel à effectuer, aucun engagement préalable - miracle ! - à quelque renonciation que ce soit pour quelque catégorie que ce soit. Sa prédiction est formelle : les riches continueront paisiblement à le devenir toujours davantage ; les pauvres sortiront enfin de la vallée de misère où l’alliance contre nature de Marx et du Capital les tenait depuis toujours ; les fonctionnaires, plus nombreux et mieux payés, côtoieront les professions libérales revalorisées comme elles l’exigent ; les jeunes vieilliront mieux, les vieux auront des retraites rajeunies ; les immigrés n’auront que l’embarras de choisir, au plus profond de la France profonde, les bras ouverts dans lesquels eux et leurs familles pourront venir blottir leur bonheur retrouvé ; les entrepreneurs entreprendront ; les cultivateurs cultiveront ; les ânes, comme à Gonfaron, voleront...
Et ça, c’est l’homme de terrain, c’est l’éleveur de chevaux qui l’assure. La France d’autrefois, disait le Poète, « C’était une cavale indomptable et sauvage ». Bayrou va lui donner en moins de deux un DDJP, comme on dit dans le métier (Derrière De Jument Poulinière), qui obligera à coup sûr tous les vieux chevaux de retour de la politique mondiale à lui céder poliment leur place dans le train des affaires internationales.
Hélas ! J’entends des Pharisiens me dire que l’Histoire est toujours en marche, et que ses semelles de plomb écrasent chaque jour les crânes au Liban, en Palestine, au Darfour ou en Tchétchénie. J’entends notre mère l’Afrique sangloter sous les pillages, les dictatures, les misères et les pandémies. J’entends les ouvriers d’Airbus ou de Renault clamer leur désespoir ou leur révolte. J’entends nos paysans et nos planteurs jurer que la réforme de la PAC va les transformer en damnés de la terre ou du champ de cannes. J’entends notre immense jeunesse répéter que l’espoir en l’avenir est un feu qui a besoin de bois pour ne pas s’éteindre.
Et c’est mon espérance en l’homme providentiel qui s’envole du même coup. Eh oui, la mort dans l’âme, je l’admets : on ne construit pas un programme politique comme la bonne Maïté réalise une recette de confit de canard. Tant pis, car c’était formidablement beau, Monsieur Bayrou, cet univers si rose où vous m’invitiez à prendre place. Et puisque nous avons partagé au moins un programme, celui des classes de Lettres, je salue votre Jérusalem Terrestre avec toute la nostalgie de ces vers où vous l’avez peut-être puisée, et que Baudelaire a murmurés à tant de générations de nos élèves :
« Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur,
D’aller là-bas vivre ensemble !
(...)
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté ».
Quel dommage que les programmes scolaires ne puissent inspirer les programmes politiques !...


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