Entretien avec Eric-Antoine Boyer, président de l’ADAPEI

« Pas de décentralisation sans plan de rattrapage »

8 juillet 2004

Dimanche dernier, l’Association départementale des parents et amis d’enfants handicapés mentaux (ADAPEI) organisait à Trois-Mares (Le Tampon), une journée de rencontre entre les familles et le président de l’Union nationale des associations de parents et amis d’enfants handicapés mentaux (UNAPEI) (voir notre édition d’hier).
Aujourd’hui, c’est le président de l’ADAPEI, Eric-Antoine Boyer, qui évoque les principaux points abordés lors de cette journée.

La journée de rencontre entre les parents et amis d’handicapés et les responsables des associations, qui s’est déroulée à la salle d’animation et au foyer d’hébergement de Dassy (Trois-Mares), a été suivie d’un pique-nique et d’un moment de détente. Elle a rassemblé près de 300 personnes.
Pour Eric-Antoine Boyer, président de l’Association départementale des parents et amis d’enfants handicapés mentaux (ADAPEI), au-delà de la participation des familles, le moment fort fut sans doute la prise de parole des parents. Personne mieux qu’eux ne peut savoir ce que constitue, au quotidien, la vie d’une personne handicapée, avec tout ce que cela suppose au sein de la vie familiale.
"Cette rencontre a été très intéressante, car elle a permis d’aller au-delà de l’expression individuelle pour exprimer un problème crucial : le manque de places dans les institutions spécialisées", résume le président de l’ADAPEI.
Parmi les sujets abordés : la scolarisation qui se heurte là encore à un manque de moyens conjugué sans doute à une absence réelle de volonté. Le nombre des auxiliaires de vie scolaire (AVS) est en chute vertigineuse : de quelques centaines, ils ne seront plus qu’une grosse quarantaine à la rentrée prochaine. Dans l’absolu, rien ne s’oppose à ce que l’Éducation nationale prenne en charge les enfants handicapés. Mais dans la réalité, il en va tout autrement. Pourtant, selon la législation en vigueur, la scolarisation est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans. Et la loi ne dit pas que la scolarisation ne concerne pas les enfants handicapés !

Pénurie de places dans les structures

Pour les enfants et les adolescents, le manque de places serait de l’ordre de 600 à 800. Pour les adultes handicapés, la pénurie de places serait du même ordre. Quand on compte 5,7 places en structures pour 1.000 habitants en Métropole, le ratio n’est que de 1,4 place pour 1.000 habitants à La Réunion. Des chiffres qui en disent long sur ce qui constitue un retard structurel très important et qui suscite de légitimes inquiétudes quant à la prochaine décentralisation, qui verra l’État verser une dotation globale au Conseil général qui devra ensuite répartir les fonds entre les différentes structures médico-sociales. "Nous sommes contre une décentralisation sans moyens" souligne Eric-Antoine Boyer, qui souhaite que si décentralisation il y a, elle s’accompagne d’un plan de rattrapage et que réellement les collectivités aient les moyens de ce transfert de compétences.
Pour cela, estime le président de l’ADAPEI, il n’y a pas d’autre moyen que la mobilisation des parents et des associations. C’est d’ailleurs pourquoi l’ADAPEI appelle de ses vœux la mise en place d’un “comité d’entente” à l’image de ce que fait l’UNAPEI (Union nationale des associations de parents et amis d’enfants handicapés mentaux) en France, avec une soixantaine d’organismes œuvrant en faveur des personnes handicapées. "Quand on entend le témoignage de parents dont l’enfant de sept ans ne peut être pris en charge par l’institution scolaire, la seule réponse, c’est la mobilisation" souligne Eric-Antoine Boyer.
Certes, les choses ne sont pas simples et chaque handicapé est un cas individuel. Et tout cela a un coût pour la collectivité. Raison de plus pour que le partenariat entre associations et collectivités soit le plus efficace possible, afin que l’accompagnement puisse se faire aussi bien de manière technique, juridique, financière, mais surtout humaine.

S. D.


Élisemène et Franciné Grondin

"Qu’est-ce qu’il va devenir quand on ne sera plus là ? "

Durant toute son enfance et son adolescence, Jeannick a été pris en charge par diverses structures spécialisées : pédopsychiatrie, Institut médico-psychologique (IMP), Institut médico-professionel (IMPRO), Centre médico-psychologique (CMP) et Centre d’aide par le travail (CAT), même si cette dernière expérience ne fut pas concluante....
Pour Elisemène Grondin et son mari, "quand un enfant handicapé est petit, ça va encore, on arrive à assumer. Mais au fur et à mesure qu’il grandit, c’est totalement différent. Jeannick, par exemple, a un comportement imprévisible. Il peut être parfois agressif...".
Pour les parents de Jeannick, deux questions reviennent en permanence. En premier lieu, c’est l’avenir. "Nous, on vieillit, qu’est-ce qu’il va devenir quand on ne sera plus là ?” se demandent les parents.
Et puis, après des années passées en structures spécialisées, il y a le retour à la maison, lorsque l’enfant devient aux yeux de la loi un adulte, même s’il reste entièrement dépendant et placé sous le régime de tutelle.
Et là, faute de solution, il n’y a pas d’autre alternative que le retour à la maison. "C’est ça qui pose problème : il est là tous les jours, dans le cadre familial. Il faudrait des structures pour le sortir, l’occuper, qu’il voie autre chose..."

Une surveillance constante est nécessaire

Même s’il est capable d’accomplir quelques gestes de la vie quotidienne, Jeannick nécessite une surveillance constante de la part de ses parents. Ainsi des actes aussi banals que d’aller faire les courses ou aller en ville un instant, deviennent un vrai casse-tête pour la famille Grondin : si l’un des conjoints sort, l’autre doit rester à la maison pour surveiller Jeannick.
En désespoir de cause, les Grondin ont frappé à toutes les portes pour demander une aide, un soutien, manière de les soulager dans la vie quotidienne. En pure perte. Pourtant, s’il est sujet à des sautes d’humeur brutales, Jeannick sait aussi s’auto-discipliner. Ses parents l’assurent : c’est un maniaque de l’ordre et du rangement. Avec lui, jamais un vêtement qui traîne, jamais un verre ou une assiette sale dans l’évier.
Dans la petite maison que ses parents lui ont aménagée, règne un ordre impeccable. Pas la moindre trace de poussière. Dans sa chambre, les vêtements sont impeccablement rangés dans les placards, et Jeannick n’en est pas peu fier. "Nous, on a pu lui construire un petit coin, qu’il ait son autonomie, en étant près de nous. Mais tout le monde ne peut pas faire la même chose. Vous savez, un enfant handicapé, il faut vivre avec tous les jours pour savoir ce que c’est" explique la mère de Jeannick.
Sortir, même avec le “pass loisirs” du Conseil général, ce n’est pas l’idéal, car il faut toujours qu’un des parents l’accompagne et participe aux frais pour une séance de cinéma, pour le transport et cela, avec la meilleure volonté du monde, bien des familles ne peuvent se le permettre.

"C’est mon fils et je l’aime"

Dernièrement, Elisemène est allée à Maurice en famille, emmenant avec elle son fils. "On sort, mais on est toujours là, avec la peur. Aujourd’hui, je me demande si je referais un tel voyage. On vit toujours avec la peur de demain, du petit grain de sable. On hésite à faire des projets. Ce qu’on aimerait, c’est qu’il y ait une structure qui nous soulage un jour ou deux" formule Elisemène qui termine par ce cri du cœur : "C’est mon fils et je l’aime. Mais on a parfois besoin de souffler un peu".
Une fois par semaine, le mardi matin, Jeannick quitte la maison familiale pour aller faire du théâtre. Pourtant, Jeannick aimerait s’occuper davantage : il adore jouer aux dominos, à la pétanque et apprécie aussi la musique, avec une prédilection pour le groupe Kassiya...
Pour Elisemène et Franciné, chaque jour, la question est toujours la même : "tant qu’on est là...". Mais après, qui prendra le relais pour éviter que, faute d’une structure d’accueil prenant le relais de la famille, Jeannick se retrouve en situation de placement d’office ?

S.D.


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