Violences “invisibles” et violences visibles

Quelle “paix civile” possible, sur fond d’exclusion et de discrimination ?

15 novembre 2005

Le soulèvement des quartiers populaires en France semble avoir pris au dépourvu autorités politiques et médiatiques. Il s’enracine pourtant au cœur même de la société toute entière. La “fracture sociale”, que Jacques Chirac avait agitée comme un chiffon rouge pour se faire élire en 1995, vient frapper de plein fouet une “sous-France” de l’exclusion. Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette crise pour changer la situation à La Réunion ?

Une exclusion à double ressort. Les jeunes parqués avec leurs familles dans des quartiers invivables en France sont d’abord les vaincus de la grande compétition libérale. Rejetés hors de la production et de l’utilité sociale, ils subissent des taux de chômage 3 à 4 fois plus élevés que la moyenne nationale. Éjectés de leur propre avenir, ils se retrouvent abandonnés “au bord du chemin”.
Mais la relégation sociale se double et se renforce d’un autre rejet. Le rejet ethnique. Les jeunes déjà invalidés par le chômage sont les victimes de la grande discrimination xénophobe et raciste qui alimente la mentalité collective dominante de la France. Les enfants des parents Africains et Maghrébins, venus fournir leur force de travail dans les années de forte croissance économique, sont Français comme les “bons Français” de France.
Nés sur le sol français, leur carte d’identité leur a ouvert en théorie les portes de la “citoyenneté”. S’y ajoutent parfois les diplômes et les qualifications qu’ils ont acquis grâce aux sacrifices de leurs familles. Mais malgré tous ces sésames, le plus souvent ils se heurtent à l’ostracisme institutionnel et restent sur le carreau. Au rebut, pas reconnus, niés, piétinés.

Une “double peine”

Le ghetto social auquel ils sont condamnés est donc le résultat d’une sorte de “double peine”, qui nourrit leur refus et leur révolte. Cette révolte est attisée par un discours politique officiel qui proclame de façon incantatoire les "valeurs de la République", assénant, pour s’en glorifier, des idéaux d’"égalité" et de "fraternité" qui sont en réalité bafoués chaque jour dans cette France des "droits de l’Homme".
C’est le Premier ministre de Villepin qui devant l’Assemblée nationale (le 8 novembre dernier) soutient que la République est "une promesse de réussite pour tous", qu’elle est "un rêve partagé entre des Français d’origine et de condition différentes" et qu’elle ne saurait accepter la moindre discrimination aux dépens de quelque catégorie de citoyens que ce soit.
Mais le pacte républicain n’est plus crédible, quand il est battu en brèche par l’expérience quotidienne des jeunes. La rupture est consommée, ils n’y voient qu’hypocrisie et manque total de respect envers eux. Et les propos de guerre tenus par le ministre de l’Intérieur, les serments pris de les liquider et de les bannir, viennent donner à ce mépris “officiel” une dimension de haine littéralement explosive.

Violences “souterraines”

Ce n’est donc pas dans la nuit du 27 au 28 octobre à Clichy-sous-Bois, comme le relatent à longueur de colonnes la plupart des médias, que les violences ont éclaté dans les cités. Les violences étaient déjà là, depuis longtemps, qui s’exerçaient sur leurs habitants, dans l’indifférence d’une grande partie du pays. Violences économiques, violences sociales, violences symboliques.
L’enchaînement de la violence n’a pas été initié par les émeutes urbaines. C’est le trop-plein de ces violences “souterraines” qui engendre l’explosion de la violence physique. Et la violence physique dans les "banlieues en feu" a pour effet de rendre soudain visibles les violences “souterraines” qui agressent en permanence la population et la mettent en situation de souffrance.
Inégalités, discriminations et exclusions sont soudain remontées à la surface de la conscience collective, leur caractère politique apparaît au grand jour, la parole des exclus jusque-là ignorée se fraie tant bien que mal un chemin dans le dédale des discours dominants, le “point de vue” des jeunes en révolte (pas seulement des émeutiers) obtient droit de cité dans des lieux de parole .

Pas de projet global

La crise de notre société ultra-libérale est-elle si avancée qu’il faille l’émeute pour disposer d’un révélateur ? L’emprise du pouvoir économique sur le système stérilise-t-elle à ce point les relais politiques qu’il faille déplorer de la destruction matérielle pour prendre soudain conscience de la “casse humaine” qui prévaut dans les lieux d’exclusion ?
Chacun ressent de façon angoissante l’absence de tout projet social global, qui rassemblerait la plus grande partie du peuple dans une perspective de solidarité et de progrès. C’est cette absence qui constitue la toile de fond des nuits d’affrontements actuelles.

Trouver du sens à la vie

Cela nous ramène bien évidemment à la situation à La Réunion. Notre île ne fait-elle pas partie de ces lieux de discriminations et d’inégalités, où le chômage atteint des niveaux inégalés, où une grande partie de la population souffre du mal-logement, où une part importante de la jeunesse, laissée “au bord du chemin”, est privée de tout avenir ?
Notre société n’est-elle pas déchirée entre ses “deux mondes” ? Et La Réunion ne souffre-t-elle pas de l’absence d’un projet global fort, qui puisse cimenter les énergies ?
Ce qui est en train de se passer dans les cités reléguées de l’Hexagone doit inciter les responsables et acteurs de la vie politique et économique de La Réunion à prendre réellement conscience de l’urgence d’orientations politiques différentes de celles d’aujourd’hui : coup d’arrêt à la casse sociale, davantage de respect envers les Réunionnais les plus en difficulté (emploi et logement en premier lieu), davantage d’attention aux menaces qui pèsent sur la cohésion de notre société, analyse transparente de la structure des revenus et de la formation des prix, restauration des moyens alloués à l’économie solidaire... Il est urgent que les jeunes de La Réunion prennent leur place dans leur pays et trouvent du sens à vivre leur vie.

Alain Dreneau


Nos joies

Fanny Perrier, correctrice à “Témoignages”, et son amoureux Régis ont décidé d’unir leurs vies par les liens du mariage. Cela s’est passé samedi dernier à La Saline en présence de leurs parents, de leurs amis et des collègues de la mariée, qui ont participé à la fête. Toute l’équipe de “Témoignages” exprime ses vœux de bonheur et d’amour à Fanny et Régis Floret dans cette belle aventure qu’est la vie à deux.


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