Retour au pays natal

30 avril 2008

J’ai toujours aimé les rivières ! De mes souvenirs de jadis, j’ai gardé par-dessus tout le souvenir de la Loire bleue ! Je regardais là-dedans se briser le soleil ; l’écume qui bouillonnait autour des semblants d’écueils avait des blancheurs de dentelle qui frissonne au vent. Elle avait été mon luxe, cette rivière, et j’avais pêché des coquillages dans le sable fin de ses rives avec l’émotion du chercheur d’or.
Elle roule mon cœur dans son flot clair.
Jacques est un jeune étudiant qui habite Paris où il vit pauvrement et où il souffre en raison de son caractère sensible et fier.
Dans le train qui le conduit à Puy-en-Velay, sa ville natale, d’où sa mère lui a écrit de venir la voir,
il redécouvre des paysages familiers, dont les bords de la Loire. Mais pour construire la voie ferrée entre Saint-Etienne et Le Puy, on a dû faire sauter une partie des rochers qui surplombent le fleuve.

Tout à coup les bords se débrident comme une plaie. C’est qu’il a fallu déchirer et casser à coups de pioche et à coups de mine les rochers
qui barraient la route de la locomotive. De chaque côté du fleuve, on dirait que l’on a livré des batailles. La terre glaise est rouge, les plantes qui n’ont pas été tuées sont tristes, la végétation semble avoir été fusillée ou meurtrie par le canon. Cette poésie sombre sait, elle aussi, me remuer et m’émouvoir. Je me rappelle que toutes mes promenades d’enfant par les champs et les bois
aboutissaient à des spectacles de cette couleur violente. Pour être complète et profonde, mon émotion avait besoin de retrouver ces cicatrices de la nature.
Ma vie a été labourée et mâchée par le malheur comme cet ourlet de terre griffée et saignante.
Ah ! Je sens que je suis bien un morceau de toi, un éclat de tes rochers, pays pauvre qui embaume les fleurs et la poudre, (la poudre à silex ou poudre à fusil), terre de vignes et de volcans ! Ces paysans, ces paysannes qui passent, ce sont mes frères en veste de laine, mes sœurs en tablier rouge...
ils sont pétris de la même argile, ils ont dans le sang le même fer ! Deux mots de patois, qui ont tout d’un coup brisé le silence d’une petite gare, perdue près d‘un bois de sapins,
ont failli me faire évanouir. Nous approchons ! Je suis pâle comme un linge, je l’ai vu dans la vitre, j’avais l’air d’un mort. Le Puy ! Le Puy !... Je reconnais les enseignes, un chapeau en bois rouge, la botte à glands d’or, Le Cheval blanc, l’Hôtel du Vivarais. A une fenêtre, je vois tout à coup apparaître une face pâle avec de grands yeux au larmier meurtri,
et j’entends un cri... ‘‘Jacques !’’ C’est ma mère qui m’appelle et qui me tend les bras ! Elle vient au devant de moi dans l’escalier et m’embrasse en pleurant.

Jules Vallès, Le Bachelier .


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus