Richemont Saffre

Ses hymnes : “L’Internationale” et “Le chant des partisans”

25 janvier 2011, par Jean Fabrice Nativel

Avant de connaître un logement décent au Chaudron, Richemont Saffre et sa famille ont connu la vie dans les bidonvilles. Leur mère, « bonne à tout faire », travaille dur pour nourrir ses filles et fils (voir notre édition du mercredi 19 janvier 2011 page 7). Lui aussi va l’épauler en békan la klé avant de se retrouver sous les drapeaux et en partance pour la France.

Vous habitez un logement neuf, en dur, pourvu en électricité, etc. à la cité du Chaudron. Ces nouvelles conditions de vie, que vous apportent-elles ?

- Pour moi, cela ressemble au confort des gens aisés à La Réunion. Équipent la maison : la douche, l’eau courante, l’électricité et les WC. À l’avant comme à l’arrière, un bout de terre où nous plantons des fleurs et du piment. Maman (1) continue son travail de bonne pour nourrir ses 8 enfants sur 10, même si nous vivons dans de meilleures conditions.

Votre famille, vous l’aidez ?


- Pour soutenir maman, mi bèk la klé. Un chantier terminé, on fait appel à moi pour le déblayer. Je perçois le double de sa paie. Moin té ral osi si la chèn bor’d mèr ansam band péchèr. Pour un patron, le matin à sa maison, j’aide la femme de ménage, l’après-midi dans son commerce, je suis aide-magasinier, etc. Plus de la moitié de ce que je gagne, je le donne à ma famille.

Kan ou bèk pa la klé, kosa ou fé ?

- Kan mi travay pa, lé dir ! Mi pé pa èd ma maman, kan lavé la fèt, la kèrmèss, mon poche lé vid. Une situation frustrante. Je préfère être absent qu’être à la charge des amis. C’est à ce moment ke moin ki aimais ni l’uniforme, ni marcher au garde à vous, ni “La Marseillaise” — je lui préfère “L’Internationale”, “Le chant des partisans”, j’effectue un devancement d’appel pour me retrouver à l’armée.

Le service militaire, comment se déroule-t-il ?

- Le service militaire se passe dans différentes casernes de La Réunion — les classes à Saint-Denis et la suite à La Plaine des Cafres, Saint-Leu et Saint-André — au Bataillon service militaire adapté (BMS). L’armée ne m’est pas néfaste même si je n’ai guère d’affinité avec celui qui est à la fois ministre de l’Armée et député de La Réunion. On compte parmi les appelés des gens qui aiment la musique et qui jouent d’un instrument. C’est à cette époque que je commence à pratiquer la guitare. D’une part, en leur compagnie, je progresse, et d’autre part, je fais la connaissance de Réunionnais venus des quartiers de l’île.

Durant cette période, un événement retient-il votre attention ?

- Il s’agit des élections municipales de 1971. Mes camarades et moi, nous sommes consignés à Saint-André. J’appréhende de me retrouver face à des gens qui, comme moi, sont épris de justice, de liberté. Heureusement, nous restons à la caserne.

L’armée vous forme-t-elle ?

- J’y apprends un métier que je n’exercerai pas : celui de maçon coffreur. Quand bien même, je participe à la construction de la Salle polyvalente — là où on pratique la culture physique, la boxe — située à la rue Jacob de Cordemoy au Chaudron.

Ce temps terminé, que faites-vous ?

- Je retourne au Chaudron pendant 2 mois et demi. Période pendant laquelle je visite les chantiers. À l’époque, les maçons opèrent dans des conditions pénibles. Mon papa l’a été à la Ravine Creuse (Saint-André) et je me dis qu’on ne le sera pas de père en fils. Ce métier n’est pas dégradant, mais je me sens capable d’exercer une autre profession.

Expliquez-nous.


- Au bout de 6 mois de service militaire, je m’entretiens avec l’officier de conseil. Il m’informe d’une opportunité de formation dans une province française en soudure mécanique avec le BUMIDOM (2). Je suis intéressé. Mon frère (3) et moi sommes retenus pour le même stage, dans la même ville et nous voyageons le même jour. Pour moi, j’y vais pour revenir à La Réunion au terme de ma qualification. Cela a duré 40 ans (rires).

Vos proches, quelle est leur réaction ?

- Je leur explique que je me rends en France et ils me répondent : « là-bas je ne serai pas seul puisque ma sœur y vit ».

« Je téléphone à La Réunion et on m’envoie un bateau de gars comme toi »

Vous voilà en France.

- Atterrissage à Paris et direction la Maison de La Réunion pour se reposer. Le lendemain, nous prenons le train à destination de Montceau-les-Mines à l’internat du Centre AFPA. Nous sommes en janvier, nous découvrons le froid et la neige ainsi que les zorey de là-bas comme les émigrés africains, maghrébins et antillais. Nous partageons nos cultures, lions amitiés.

De la formation, qu’en est-il ?


- Elle est difficile, et pour une raison, j’ai des difficultés à parler la langue française puisque la mienne, c’est le créole. Mais petit à petit, cela s’améliore jusqu’à raconter des anecdotes créoles en français pour les Français. Mon frère et moi réussissons la formation de soudeur.

Vous rentrez à La Réunion ?

- Je rentre plutôt dans la vie active. Aussitôt la formation terminée, des patrons en lien avec le BUMIDON viennent recruter sur place. Ce bureau, par cette action, jouit d’une bonne image tout en continuant à vider La Réunion de sa jeunesse. Je me retrouve dans l’entreprise Martin à Épinac (Saône et Loire) en tant que soudeur de charpente métallique. À l’occasion d’une grève qui dure 15 jours dont les revendications sont l’amélioration des conditions de travail (l’hygiène, la sécurité, la paie des heures supplémentaires), le chef du personnel me dit : « Je téléphone à La Réunion et on m’envoie un bateau de gars comme toi ». Je démissionne, au bout de 2 ans.

Que décidez-vous ?

- Je quitte Épinac pour habiter Lyon où se trouve mon frère. C’est les “30 Glorieuses”, je suis embauché comme soudeur — intérimaire pendant un an — au sein de grandes entreprises.

Quelle vie ! Richemont Saffre est un combattant, un homme d’une grande simplicité, rieur, réfléchi. Avec lui, dans l’édition prochaine, ce sera l’heure de l’adhésion à l’UGTRF (4), la montée à Paris, l’embauche à la SNCF, du premier voyage à La Réunion lors du cyclone Hyacinthe, l’engagement à la CGT et au PCF, et la naissance de l’Horizon.

Texte et photo Jean-Fabrice Nativel

(1) Son lieu de travail se trouve à Saint-François. Le matin, elle quitte le Chaudron pour le rejoindre en empruntant le raccourci de Patates à Durand. Le soir, vice-versa.
(2) Bureau pour le développement des migrations dans les Départements d’Outre-mer.
(3) Ils effectuent leur service militaire en même temps.
(4) Union générale des travailleurs réunionnais en France.


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