Tribune libre de Radjah Véloupoulé

’ Tolérance, ouverture et inter-culturalité ’

11 mai 2006

Le militant culturel et conseiller régional Radjah Véloupoulé a fait parvenir à “Témoignages” les discours qu’il a prononcés à l’occasion de la journée de la non-violence et du jour de l’an Tamoul. Pour le philosophe réunionnais, La Réunion ’qui révèle encore et toujours son caractère de tolérance, d’ouverture et d’inter-culturalité’ a ’une parole au monde’ à faire entendre.

o Allocution à l’occasion des journées “non-violence”

Je suis particulièrement heureux de représenter ici M. Paul Vergès, président du Conseil régional, qui m’a chargé de vous transmettre ses amitiés les plus sincères. Vous le savez, tout ce qui touche de près ou de loin à la spiritualité me concerne au plus haut point, tant au niveau personnel que politique.
En effet, à l’heure où l’actualité internationale se fait l’écho de débats et d’interrogations sur le respect des religions, le caractère blasphématoire de caricaturiste invoquant la liberté d’expression et les limites nécessaires d’un contrat social excluant la violence, il est particulièrement important que La Réunion révèle encore et toujours son caractère de tolérance, d’ouverture et d’inter-culturalité.

Le soufisme qui se présente comme une des voies spirituelles de la tradition musulmane repose essentiellement sur deux éléments, communs à l’ensemble des mystiques de l’humanité : l’amour et la connaissance. Ces deux mots font que la femme et l’homme se distinguent de l’animal. Nous ne saurions parler de civilisation, de culture, de transcendance, sans que ces deux mots soient invoqués. Or, je ne crois pas me tromper, en disant, dans le savoir très modeste que j’en ai, que le soufisme élève le degré d’humanité à travers l’amour et la connaissance. Un hadîth bien connu nous fait méditer ces vérités dont le monde actuel ferait bien de s’inspirer : "Mon serviteur ne cesse de se rapprocher de moi par les œuvres de dévotion, au point que j’en viens à l’aimer. Quand je l’aime, je suis l’œil par lequel il voit et l’oreille par laquelle il entend. Quand il s’approche de moi d’un empan, je m’approche de lui d’une coudée ; quand il vient à moi en marchant, je viens à lui en courant".

L’ampleur et la beauté de ces lignes n’ont aucune comparaison. La modernité, qui veut se rendre maître de la nature, qui oublie que la satisfaction des besoins fondamentaux ne peut constituer une finalité exclusive, qui proclame la mort de Dieu pour mieux faire revivre Thanatos, gagnerait à côtoyer ces poètes, ces philosophes, ces penseurs qui, dans leur liberté d’expression, exaltaient le bien, le beau et le vrai. La volonté de puissance ne remplacera jamais la reconnaissance d’autrui qui me regarde, me construit, me transmet de la valeur. Les médias, ce 4ème pouvoir, d’où qu’ils viennent, quelles que soient les cultures dont ils sont les dépositaires, nourriraient une réflexion féconde en réduisant leur fascination pour cette société du spectacle et en diffusant les richesses d’une voie comme le soufisme. Je vous remercie.

N.B. : "Si ta parole n’est pas plus belle que le silence alors tais-toi". (proverbe soufi).

Radjah Véloupoulé

o Discours prononcé le vendredi 14 avril 2006,
Jour de l’An tamoul, à l’occasion de la commémoration de la statue du Mahatma Gandhi (La Mare - Sainte-Marie)

"Monsieur le président de l’UKIR,
Monsieur le docteur Axel Kichenin,
Mesdames, Messieurs,

Au nom du président Paul Vergès, je vous présente ses meilleurs vœux pour cette nouvelle année 5107 du calendrier hindou. Je voudrais avant toute chose rendre un hommage appuyé au Club Tamoul et à tous ses représentants ainsi qu’au docteur Axel Saminadin Kichenin, (ici présent), qui, avant tout le monde, ont su rendre au Mahatma Gandhi cette fierté de l’Inde et de tous ses ressortissants, la mémoire qu’il méritait et ce pour l’ensemble du peuple réunionnais.
Aujourd’hui, l’Inde fait partie des puissances émergentes et confirmées de la planète. En 2030, elle fera partie du quatuor de tête de l’économie mondiale. Il a fallu une vision du monde faite d’intuition et de sens d’anticipation pour oser cette initiative à une époque où l’assimilation et l’ethnocentrisme occidental faisaient taire les plus récalcitrants. Je fais partie de ceux qui ont toujours milité pour cette reconnaissance de l’ensemble des civilisations d’origine du peuple réunionnais. Il est clair que les initiatives personnelles et politiques peuvent paraître souvent déconnectées d’une certaine réalité, mais, peut-être devrions-nous nous poser la question de la réalité dans laquelle vivons-nous, souvent contingente et illusoire.

Pour ma part, il s’agit aujourd’hui d’un contexte mondial où "le choc des civilisations" (Huttington) ou "la fin de l’histoire" (Fukuyama) n’ont pas cours. Au contraire, il s’agit de réinventer des idéaux pour une société en mal de perspectives. Au bout de toutes les décolonisations subsistent des éléments imaginaires d’aliénation mentale dont nous devons nous défaire. Ainsi, à La Réunion, plutôt que d’imiter et de se soumettre aux modèles inculqués, nous devrions nous pencher sur ce que le prix Nobel d’économie indien Amrtya Sen souligne à la fois concernant l’économie, la politique et la philosophie : "Le devoir humain doit être vu comme le processus d’élargissement des choix des individus. Le développement humain possède deux faces : la formation des capacités humaines, telles l’amélioration de la santé, du savoir des compétences, et l’usage que les individus peuvent faire de ces capacités, à la fois dans les loisirs, pour les activités productives, ou pour leurs activités dans les affaires politiques, sociales et culturelles".

Aussi, vous en conviendrez aisément, nous en sommes arrivés à un stade de l’Histoire, où, loin des querelles idéologiques nous apparaît un horizon fait de discussions, de conciliations et surtout de solidarité. Beaucoup de fléaux touchent aujourd’hui La Réunion. Le Kali Yuga exerce une emprise de plus en plus forte, et nous reconnaissons la validité et la pertinence de l’hindouisme qui a guidé toute sa vie durant le Mahatma Gandhi. Que nos valeurs culturelles respectives soient synonymes d’entraide, de forces conjuguées et surtout d’émergence de modèle à proposer au monde.

Les Réunionnaises et les Réunionnais doivent comprendre que géographiquement insulaires, ils possèdent un indéniable potentiel de propositions à faire à la planète de par notre inter-culturalité partagée. Nous venons de loin, nous avons été bafoués, nous sommes aujourd’hui en partie réhabilités, mais nous avons encore à faire entendre une parole. Une parole au monde. Car beaucoup d’autres ont à entendre et il est souhaitable que résonne toujours cette sentence du Mahatma Gandhi qui, peu de temps avant sa mort, disait : "Oui, j’ai conscience de mes propres limites. Mais d’en avoir conscience me vient le peu de forces dont je dispose. Tout ce qu’il m’a été donné de faire dans ma vie est dû principalement au fait qu’à travers mes limites, j’ai découvert l’action d’une force autre que la mienne". (Anthologie du M. Gandhi, V. 214 sélections par Nirmal Kuman Bose 1948). Puisse le temps ne jamais effacer cette vérité

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite à toutes et à tous, une excellente année Viya 5107.
Nalla Varousha Pirappou."


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