Koudkongn de Raymond Mollard

Trop d’ouverture, c’est la déchirure...

21 mai 2007

On s’attendait au cérémonial convenu des passations de pouvoir, on a eu droit à une superproduction style “Star-Ac à l’Elysée” pleine de paillettes, de glamour, de people, de bons sentiments servis à la louche par une armée de domestiques de la plume et du micro, la plupart encartés chez Bouygues ou émargeant chez Lagardère, dévoués corps, âme, et portefeuille à leurs stations émettrices, lesquelles fabriquent de l’opinion publique aussi efficacement que les stations d’épuration produisent leurs eaux usées. On a beau être bon public, on dit beurk, à la fin...
On nous a servi sur toutes les unes de la “grande presse”, sur toutes les ondes, sur tous les écrans TV, aux mêmes heures, sous les mêmes commentaires, portée par la même rhétorique à base de guimauve et de cirage de pompes, une gigantesque mise en scène, qui a propulsé à un degré de bêtise rarement atteint les flonflons de cette “société du spectacle” qui régule l’activité neuronale du Français moyen (et a fortiori du médiocre) en veillant à ce que la pensée en kit reste prédominante dans l’élaboration de ses opinions personnelles, dans la proportion minimale admise d’un cheval/une alouette.
Et tout le monde d’en redemander, bien sûr : Sarko et ses copains, Sarko et sa maman, Sarko et Cécilia, le même et ses enfants, et ceux de Jacques Martin, et ses frères, et ses ministres, et ses amis du premier cercle, du deuxième rang, du troisième type. Sarko remisant Chirac dans sa voiture-balai et applaudissant par derrière avec des airs de matador saluant le départ vers l’équarrissage de la bête à cornes à laquelle il vient de subtiliser au moins les deux oreilles. Sarko essuyant une larme à la mémoire de Guy Moquet (ému peut-être de découvrir qu’un jeune héros de la Résistance doive porter un nom de station de métro), ou rallumant la flamme, ou tapant dans le dos de ses potes du CAC-40, ou frétillant des gambettes dans un footing présidentiel. La totale !...
On nous a submergés sous ce que Marc Fumaroli appelle fort justement « la grande machine à émotions préfabriquées, tsunamis compassionnels et téléthons politiques ».
Quant au gouvernement, quelle équipe ! On guettait paisiblement l’ouverture, on est brutalement happés par « l’élargissement dans l’infini sans fond », le grand écart politico-médiatique : adversaires d’hier soudain enlacés dans la même course à l’échalote, femmes devant cavaliers derrière, compagnons de la veille vicieusement taclés vers le purgatoire, transfuges félicités, félons gratifiés (Roland est mort ? Vive Ganelon !). Le soap-opéra faisait ainsi sa place à la chanson de geste. Et à Shakespeare, aussi, puisque Besson - sauf son respect - irradiait par tous les pores de sa face de jocrisse la franche traîtrise d’un “honnête Iago”. Au fond, se disait-on finalement, Laguiller et Besancenot auraient pu en être. Sans doute ont-ils refusé ? Et que dire de l’inusable, l’imputrescible, l’immarcescible Juppé, jailli du sarcophage judiciaire où on le croyait momifié depuis au moins mille ans, s’efforçant dans un geste contre nature d’ habiller d’un semblant de sourire sa frimousse avenante de croque-mort ministériel : on basculait direct dans « La nuit des morts-vivants ». A moins qu’en se souvenant du traitement humiliant qu’il infligea jadis à ses malheureuses “juppettes”, on n’opte finalement pour une parodie de “L’homme qui aimait les femmes”. Du moins, qu’il prenne garde, le bougre, lorsqu’il croisera l’ombrelle à pointe en croix de Lorraine de Roselyne Bachelot, ou le crucifix en tungstène iridié de l’ombrageuse Christine Boutin.
Et puis, n’oublions pas la dimension opéra wagnérien, et ce leitmotiv que le Maître et ses porte-voix ont opiniâtrement scandé pour motiver les figurants : « tous au travail, et tout de suite », « obligation de résultat », « seule la réussite compte » etc... Pas question, bien sûr, de désapprouver une si belle feuille de route. Mais quand on considère le mélange de carpes et de lapins qui composent cette basse-cour, les claudications déjà perceptibles dans les rangs de la troupe, la cacophonie du chœur, les regards haineux des puissants d’hier s’estimant cocus aujourd’hui et qui, restés sur le bord du chemin, attendent l’occasion d’un croc-en-jambe, on ne peut totalement écarter l’hypothèse de l’échec. Dans ce cas de figure, il y a fort à parier que c’est “Massacre à la tronçonneuse” que l’électeur appellera de ses vœux. Les temps seront alors venus du “Crépuscule des Dieux”, et dans l’écroulement du Walhalla les tifosi sarkosiens (ou ce qu’il en restera après karchérisation) pourront méditer sur ce sage constat : l’excès d’ouverture peut conduire tout droit à “La Déchirure”.


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Messages

  • bravo !
    dire qu’en métropole y a 90% des gens qui apprécient ce cirque post - moderne !


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