En 2003, sur les 450 personnes accueillies à la Boutique Solidarité de la Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés, près de 95% sont des hommes, âgés en moyenne entre 30 et 50 ans, contre 4,5% de femmes. Ils étaient 17 jeunes de moins de 25 ans à faire appel aux services de la boutique contre 14 pour l’année 2002. André Guyot, professeur d’anglais en LEP (Lycée d’enseignement professionnel) et bénévole à la boutique depuis trois ans, nous confie par ailleurs qu’il est difficile, comme ce fut son cas, d’y retrouver un ancien élève : "On se dit alors que l’on a manqué quelque chose. C’est un échec".
Plus de la moitié des accueillis est bénéficiaire du RMI (Revenu minimum d’insertion) ou d’un revenu de solidarité et beaucoup ne possèdent ni formation, ni qualification professionnelle susceptibles de leur offrir un accès à l’emploi. La Boutique Solidarité a également accueilli 7% de retraités, 5% de sans ressource et 3% qui perçoivent des revenus professionnels. Des chiffres inquiétants qui mettent en exergue les multiples facettes de la précarité, et démontrent que le minimum vieillesse et certains salaires sont insuffisants pour vivre décemment. Pour la majeure partie, ce sont des personnes célibataires qui vivent dans des squats, des logements précaires ou pour certains, dans des logements du parc public ou privé.
La boutique distingue quatre types d’accueillis : les mendiants, en errance dans les rues et qui vivent des aumônes ; les clochards, qui jouent le rôle de "figure repoussoir" car sans travail ni domicile et porteurs d’une image d’oisiveté et d’alcoolisme ; les SDF (Sans domicile fixe), marginalisés car ils ne répondent pas aux critères pour obtenir un logement ; et enfin, les personnes "dans la galère", en difficulté plus ou moins passagère et qui cherchent écoute et réconfort. La délégation régionale de la Fondation Abbé Pierre s’explique cette recrudescence du public par la localisation de la boutique en centre-ville, donc sa proximité et son accessibilité aux plus nécessiteux. L’accueil chaleureux, l’écoute et l’attention des professionnels comme des bénévoles en font un espace de vie agréable et l’opportunité de bénéficier d’une assistance individuelle.

"Premier maillon de la citoyenneté"

La délégation régionale de la Fondation Abbé Pierre constate "une installation dans la longévité de la précarité", avec une "fidélisation" inquiétante du public qui démontre que la seule volonté de s’en sortir ne suffit pas toujours. Sur la commune de Saint-Denis, la population marginale victime de l’exclusion sociale semble être en augmentation. Très peu de structures permettent de répondre aux besoins des personnes en difficulté de logement. La Boutique Solidarité est le seul accueil de jour du Nord du département, (le centre “Maison de la Solidarité, Alain Peters” offrant 30 places de nuit) qui propose petit-déjeuner, douche, bagagerie, buanderie, domiciliation. "Être propre permet d’être regardé et pas ignoré" souligne André Compagnie, Directeur régional de la Fondation qui parle de la boutique comme d’un "premier maillon de la citoyenneté".
Au-delà de l’écoute et du soutien apportés par les professionnels (3 éducateurs) et les bénévoles de la boutique, une aide à la constitution de dossiers est aussi offerte, permettant au public de prétendre à ses droits, d’accéder à la CMU (Couverture maladie universelle), d’avoir une identité officielle, de "donner une image de soi". Grâce aux trois bénévoles de Médecins du Monde, les accueillis qui présentent des problèmes de santé peuvent être guidés vers des médecins généralistes.
La Boutique est enfin un lieu sécurisé, à l’abri de toute agression, du mépris des ignorants, un lieu de pré-insertion et d’espoir qui redonne goût à la vie. "Tant qu’existera la misère, aussi longtemps que régnera l’exclusion, nous ne connaîtrons ni la paix de l’âme, ni la joie du cœur", rappelle si justement l’Abbé Pierre, "dérangeur de la conscience publique", comme se plaît à le qualifier André Compagnie.

Estéfany

10 ans au service des plus démunis

Inaugurée en 1994 par l’Abbé Pierre en personne, la Boutique Solidarité du 100 rue Général de Gaulle à Saint-Denis s’est volontairement implantée dans le centre-ville pour offrir un soutien quotidien aux nécessiteux, tout en poursuivant sa mission d’observation du terrain et d’interpellation des pouvoirs publics. Deux autres boutiques du même type, une à Saint-Benoît et l’autre à Saint-Pierre, bénéficient également de l’agrément de la Fondation Abbé Pierre. Nous reviendrons dans une proche édition sur les actions de réhabilitation de logements menées par la Fondation.