Forum sur la victimologie et la réparation de l’esclavage

Victime de l’histoire ou de son déni ?

1er juin 2004

Suite au forum inter-associatif sur la victimologie, qui se tenait à Saint-Denis les 21 et 22 mai derniers, Jean-Loup Roche, psychologue et vice-président de l’ARIV (Antenne réunionnaise de l’institut de victimologie), a accepté de nous offrir son analyse sur la problématique de la réparation de l’esclavage. Un repère de l’identité réunionnaise s’avère nécessaire pour se détacher d’une “victimation collective” liée à l’Histoire.

Le thème de la victimologie se décline différemment selon les critères politiques, culturels et climatiques des pays. Le forum inter-associatif qui se tenait, à l’ancien Hôtel de Ville de Saint-Denis, au-delà des problématiques locales, a permis de porter un regard sur le travail de réparation, dans les pays de l’Hémisphère Sud. Avec près de 350 associations d’aide aux victimes d’un régime de multi-violences établies en Afrique du Sud, en 10 ans depuis la fin de l’apartheid, c’est la démonstration que l’instauration de relations plus humaines est aussi une aide au développement du pays.
"L’Afrique du Sud sort d’un état d’oppression, de violences, pour entrer dans un état de transition, de démocratisation et cette politique de réconciliation nécessite un travail de réparation", constate Jean-Loup Roche. En France, "il aura fallu un siècle de conquête pour reconnaître que la victime est innocente, qu’elle n’est pas responsable de son malheur, que ce n’est pas une victime expiatoire. Fin du XIXème siècle, on reconnaît sa souffrance physique, puis psychique et plus tard, l’on admet qu’elle a des droits", resitue-t-il, soulignant que changer les regards et les mentalités représente le plus gros du travail de réparation.
La Réunion, "même si elle ne sort pas d’un état d’apartheid, a encore des choses à résoudre (...) la départementalisation a permis des évolutions majeures dans le domaine sanitaire et social. Le mouvement féminin a également été déterminant pour la reconnaissance de la victimologie, pour les luttes en faveur des droits de l’Homme. L’amélioration de l’accueil au sein des institutions est d’ailleurs en lien direct avec leur féminisation". Mais lorsqu’il s’agit de la question de la réparation de l’esclavage, on entre dans un sujet de controverses et de divisions. Entre ceux qui dénient le passé pour ne pas rouvrir les plaies d’une Histoire douloureuse et ceux qui revendiquent la reconnaissance et l’apprentissage de cette Histoire, le chemin à parcourir est encore long. Jean-Loup Roche estime, pour sa part, que "pour intervenir, il faut soit s’allier, soit bousculer les chocs culturels".

Repère de l’histoire collective

"Nous avons voulu mettre en évidence tout ce qui peut-être suscité de positif à travers des expériences malheureuses", précise Jean-Loup Roche. Sur la réparation de l’esclavage, il admet qu’il n’est pas question "de grand banditisme" à La Réunion, mais le problème des violences intra-familiales et de voisinage prédominent. "J’ai vérifié par mon travail que, très souvent, les jeunes délinquants sont privés de leurs pères. Ils peuvent être physiquement présents mais n’apporter aucun soutien à leurs enfants. Il y a donc une absence de repère stable masculin et l’affirmation passe alors par le mode transgressif".
Lorsqu’une victime n’a pas un repère de résilience, une aide pour l’aider à dépasser sa souffrance, il peut rentrer dans un processus de "survictimation", en lien avec une histoire collective douloureuse, celle de l’esclavage (et les témoignages lors du forum l’ont confirmé). Un repère identitaire, tel que la Maison des civilisations le propose, permettrait alors de dépasser cette "victimation collective et ancienne", de ne pas s’enfermer dans une vision fataliste, sous-tendu par le déni de l’Histoire, mais au contraire de s’approprier son identité pour en faire une force. Même si les Réunionnais apprennent à se libérer, à témoigner, et les radios libres en témoignent, il faut cesser, lorsque le problème de la reconnaissance de l’histoire esclavagiste réunionnaise est montré du doigt, de regarder le doigt au détriment du problème.


Estéfany



Le soutien des autorités est primordial

"L’objectif de ce premier forum était triple", souligne Jean-Loup Roche, psychologue et vice-président de l’ARIV. D’une part, que les victimes s’expriment, car leur témoignage est le fondement de l’action associative et la preuve positive que le travail de résilience est possible. D’autre part, que les associations puissent se rencontrer et faire connaître leurs actions. Enfin, que les regards se tournent vers la zone océan Indien et plus largement vers l’Hémisphère Sud, pour créer des liens et favoriser la coopération Sud-Sud.
Bien que ce forum ne se veuille pas un congrès scientifique mais se tourne vers le grand public, les autorités réunionnaises y étaient absentes. Associations d’aide aux victimes, associations culturelles, travailleurs sociaux et média favorisent l’expression de problématiques liées à la victimologie. Mais le soutien des autorités est indispensable pour bousculer les mentalités et faire progresser le travail de réparation et de résilience. "L’implication des travailleurs sociaux devrait alerter les politiques", estime le vice-président de l’ARIV. Sans un travail cohérent et concerté du gouvernement, de la justice et des autorités locales, la prévention et les volontés associatives ne progresseront que trop lentement, et les victimes resteront toujours les proies fragiles des sectes et autres groupements charlatans, vendeurs de guérison.


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