Vive les Vacances

7 août 2006

’On regardait les autres gens
Comme ils dépensaient leur argent.
Nous il fallait faire attention
Quand on avait payé
Le prix d’une location
Il ne nous restait pas grand-chose.
Alors on regardait les bateaux
On suçait des glaces à l’eau
Les palaces, les restaurants
On n’faisait que passer d’vant’

Nostalgiques paroles de Michel Jonasz qui nous ramènent à des années-lumière de ces plages de rêves qui, à quelques kilomètres de chez soi, à une heure de bouchon pour certains, s’étirent au soleil de notre hiver austral si clément.
Pour clore cette série maritime où l’on a vu comment quelques privilégiés et autres marchands avides et sans respect du bien commun confisquaient la mer et ses accès à la grande majorité des citoyens, où l’on a vu comment une municipalité laissait tout un pan de notre littoral aux mains de promoteurs, de gargotiers et particuliers friqués pour qu’ils le bétonnent faisant fi du respect de l’environnement et des lois s’y attachant, tournons-nous vers les vacances des Réunionnais, eux qui ont la chance d’un coup de voiture, de car jaune ou qui sait, bientôt de "Tram-Train" de profiter des joies de la mer ou de la montagne, eux qui vont descendre en rappel des sites de rêves que tout le monde nous envie. Mai qui "eux" ? Tout le monde profite-t-il de ces sites qui sont à notre portée ?

C’est bien connu, l’exotisme, c’est toujours ailleurs !

Difficile à croire, mais la majorité des Réunionnais ne connaît pas la mer en tant que loisir ou si peu, la majorité des habitants des quartiers populaires dans notre île ne partira pas en vacances et pourtant à 10 mille kilomètres d’ici, sur des téléviseurs, défilent des images en couleurs vantant les paradis que sont nos régions d’Outre-mer et les marmailles des banlieues soupirent en chuchotant : "Quelle chance ils ont !". C’est bien connu l’exotisme c’est toujours ailleurs, pourtant il suffit de si peu pour que d’un coup, d’un seul, des visages s’illuminent, que le changement d’air devienne réalité et que les enfants de nos villes, enfin, connaissent la joie des vacances.

Camping sauvage "arête ek sa".

Sur notre territoire, les microclimats sont légion, il suffit de passer le Cap La Houssaye, en venant du Nord, pour que tout de suite, le soleil se fasse plus ardent et les alizés moins piquants. Les possibilités de pouvoir passer des vacances sont nombreuses et les caractéristiques de notre département permettent de pouvoir se dépenser et se ressourcer avec une multitude de sites qui se prêtent aussi bien au farniente qu’au sport. Alors les Réunionnais, tout comme nous le rappelle la chanson de Michel Jonasz, "les palaces et les restaurants", ils ne font que passer devant, et pourtant ce n’est pas faute d’avoir envie de s’y arrêter.

Les campeurs de chez nous

Dans cette crise touristique qui touche notre département à cause d’un moustique, j’ai pensé que si les avions arrivés à Gillot ne déversaient plus autant de touristes venus de l’extérieur, il restait tout de même les touristes de l’intérieur. Même si les grandes vacances de notre hémisphère austral ne sont pas aussi longues que celles de la métropole, notre climat peut permettre aux habitants de notre île de venir au bord de la mer avec "leurs pères, leurs mères leurs soeurs et leurs frères", histoire de changer d’air. Figurez-vous que tout comme la privatisation rampante du littoral, la chose n’est pas si simple. On a vu dernièrement que la commune de Saint Paul avait décidé d’appliquer dans sa plus grande rigueur l’arrêté interdisant le camping sauvage sur l’ensemble de sa commune. Comme chaque année, bon nombre de familles viennent planter leurs tentes pour quelques jours sous les filaos. Là, les ennuis commencent, car voyez-vous, ce littoral que nous envient autant de personnes, on le réserve à un tourisme haut de gamme, un tourisme qui descend dans les hôtels, qui certes, favorise l’emploi et fait vivre bon nombre de Réunionnais, mais qui à cause de crise due à l’épidémie de chikungunya, est moribond.

Camping sauvage ou camping du pauvre

Ce papier n’a pas pour vocation de dénoncer l’industrie du tourisme qui est de première importance dans notre région sinistrée par le chômage, non, il dit juste que si d’un côté il y a des structures de luxe pour personne privilégiées, rien n’est fait pour un tourisme populaire qui pourtant peut apporter un regain d’activités à nos stations balnéaires qui en ont cruellement besoin. Mais la municipalité de la plus grande commune de l’Ouest, elle, n’en n’a que faire de toute cette populace, elle préfère le touriste au portefeuille bien garni. Alors on expulse à tout va ces squatters qui le temps de quelques jours de vacances, donnent à leurs marmailles l’illusion que eux aussi, quelque part, ils sont propriétaires de cette île paradisiaque. Ce que je n’aime pas dans "Camping Sauvage" c’est le terme sauvage, il dénote un certain ostracisme envers les plus démunis qui ne peuvent faire autrement, s’ils veulent profiter un tant soit peu de leurs maigres congés payés mérités, que de pratiquer le camping pour changer d’air. Le camping est "sauvage" ici dans notre département parce que les campeurs ne peuvent exercer ce loisir autrement, puisque l’ensemble de nos maires (sauf un) ne jugent pas bon d’équiper leurs communes de camping municipaux comme il en existe partout sur l’ensemble du territoire métropolitain. Hé oui ! Même dans la capitale de la France, Paris, cela existe ! Alors je pose la question, des campings municipaux sur notre "Riviera" est-ce impossible ? Ou bien a-t-on peur que cela fasse fuir la clientèle extérieure. À moins que le camping, cela fasse tâche ! Qu’importe la réponse, de toutes les façons, s’il en existe une, elle sera toujours justifiée de manière fallacieuse. Il n’en demeure pas moins que le tourisme populaire est de nature à faire vivre l’économie et si vous allez vous promener sur le littoral Ouest, vous verrez que si les réunionnais ne vont pas dans des établissements de luxe, ils font vivre la boutique du coin, le boulanger, le camion bar etc...

La famille Réunion en vacances

Mon périple sur le littoral réunionnais m’a conduit jusqu’à l’Etang-salé, et en évitant la déviation, je me suis engagé dans la petite station balnéaire. Deux jeunes, tenue vestimentaire style décontracté de circonstance, bermuda, torse nu et cheveux ébouriffés sortaient d’une boutique, je les ai interpellés : "Il est ouvert le camping de l’Étang-Salé ?" "Bien sûr monsieur, il est là-bas, un peu plus loin sur la droite, du reste nous, on y passe nos vacances."
À peine garé, je me suis dirigé vers le bureau du responsable pour lui poser deux trois questions sur cette exception de notre département. "Alors comme cela le camping est ouvert ?" "Bien entendu, toute l’année et il est plein." "Ha bon ! Pas de problème avec le chick ?" "Non sauf qu’il n’y a pas de touristes extérieurs mais de toute façon comme chaque année on refuse du monde et c’est complet jusqu’à fin janvier !"

Le tourisme populaire existe !

Diantre ! la crise n’est elle pas passée par l’Étang-Salé ? D’où viennent tous ces campeurs ? "En général ils viennent plutôt des Plaines ou de l’Est, on en a pas mal du Tampon aussi." Comme quoi le tourisme populaire fonctionne bien, l’irréductible commune qui a été la seule à conserver son camping municipal en est la preuve. Je m’enfonce dans les allées pour y découvrir un camping de grande qualité, avec des sanitaires propres, des allées bien tracées, une infrastructure à la fois conviviale et fonctionnelle. Mais on ne change pas la mentalité des Réunionnais comme cela, et pourquoi le ferait-on puisqu’elle est bonne ? Je m’invite sous une bâche qui relie plusieurs tentes entre elles. Chassez le naturel, il revient au galop, on est comme cela chez nous, on ne part pas en vacances sans que l’ensemble de la famille nous suive et, bien entendu, les marmites sont du voyage. C’est le campement de la famille Gonthier, Fontaine, Hannis, et Attama, cela fait trois ans qu’ils viennent ensemble passer une dizaine de jours de vacances et ne leur demandez pas de changer, à voir leurs mines réjouies, ils ont certainement réservé pour la saison prochaine. Si l’on pose la question à l’un d’entre eux pour savoir ce qu’il pense du camping sauvage, la réponse est directe, "nous on n’aime pas et puis il faut respecter la nature", mais lorsque l’on pousse un peu plus loin en parlant des expulsions sur la commune de Saint-Paul, là c’est avec les gestes que l’on répond : "Nous autres les créoles, vous savez, on fait tout pour nous éloigner un peu de Saint Gilles... Mais on ne veut pas polémiquer et puis des campings comme à l’Étang-Salé, il en faudrait partout même dans les hauts !" En attendant, c’est presque envieux que je quitte cette famille et leurs vacances, en me disant que oui le bonheur, c’est simple comme un terrain de camping.

Philippe Tesseron


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