« À La Réunion, un goût d’amertume »

7 septembre 2011

Après deux décennies d’un développement soutenu, l’île de La Réunion est à bout de souffle. Plus de la moitié de sa jeunesse ne trouve pas d’emploi et le coût de la vie ne cesse d’augmenter. De l’envoyé spécial de la revue “Messages du Secours catholique”. Voici le texte tel quel, avec ses inexactitudes.

« La Réunion n’est pas communautariste. Races et confessions se sont confondues et vivent en harmonie ». Le Père jésuite Stéphane Nicaise connaît bien l’histoire de l’ancienne île Bourbon et de son développement. Installé à Saint-Denis depuis une trentaine d’années, il entend les hommes politiques prôner le développement d’une économie locale, mais sans rien proposer pour la mettre en œuvre. « La Réunion est en décroissance. Certaines familles connaissent le chômage depuis trois ou quatre générations. Quel modèle les parents donnent-ils à leurs enfants ? ».

Près de la plage, à Saint-Pierre, au Sud de l’île, Éric Jardinot retrouve deux jeunes adultes pour parler orientation. L’ancien délégué du Secours catholique voudrait aider Guillaume et Damien, ces deux jeunes hommes sympathiques, respectivement âgés de 31 et 27 ans, à exploiter leurs diplômes pour trouver du travail. Ils sont tous deux diplômés en gestion économique et sociale et survivent en faisant de petits boulots. « Nous vivons encore chez nos parents, précise Guillaume, avec tous nos frères et sœurs ». « Comme d’autres, on pourrait partir au Québec ou en Australie, observe Damien, mais personnellement, je n’ai pas envie de quitter La Réunion ». Ils savent qu’en Métropole, ils ont peu de chances de trouver un emploi. Ils aimeraient devenir fonctionnaires, si ce n’était la contrainte de partir en Métropole. « On ne reviendrait pas ici avant de longues années. On devrait vivre loin. Si j’étais sûr de ne rester qu’un an ou deux en Métropole, je partirais, mais ce n’est pas comme ça que ça se passe ». « Le jeune Réunionnais, blanc, métis ou noir, souffre d’un complexe d’infériorité, explique Éric Jardinot. La société ne lui fait pas de place et il n’ose pas s’imposer. Alors il échappe à la réalité en faisant du sport, parfois à un haut niveau, en s’impliquant dans des activités associatives, comme Damien, qui est président de la JOC locale. D’autres, hélas nombreux, sombrent dans l’alcool et les drogues ».

Jules, Stéphane et son demi-frère Yohan passent leurs journées dans les rues de La Rivière des Galets, l’une des 24 communes de l’île, à l’Ouest de Saint-Denis. Une casquette vissée sur la tête, de lourds bijoux argentés au cou, aux poignets et aux doigts, ils font partie des 55% de jeunes Réunionnais au chômage. Jules, 21 ans, raconte que dans la rue « les bandes s’affrontent et se bagarrent pour du “zamal”, une marijuana locale, ou des drogues de synthèse fabriquées à Madagascar ou arrivées de l’île Maurice, plaque tournante du trafic dans l’océan Indien ».

Violence

Stéphane, 27 ans, trouve qu’aujourd’hui les jeunes de 15 ans sont beaucoup plus violents qu’eux-mêmes ne l’étaient à leur âge, et cela l’effraie. Tous trois avouent à Yannick Bègue, le travailleur social qui les suit, que depuis qu’ils sont pères, ils se sont assagis, même s’ils ne vivent pas avec la mère de leurs enfants. À La Réunion, les pères ne font souvent que passer. Ils disent qu’ils n’ont pas beaucoup de place au sein des foyers. Du coup, les femmes portent seules les difficultés. Il y aurait 24,2% de familles réunionnaises monoparentales, moitié plus qu’en Métropole. Les violences conjugales sont à multiplier par deux dans l’île, pour des raisons que certains attribuent à la promiscuité. Viols et incestes sont eux aussi en nombre très élevé. Beaucoup désespèrent de travailler un jour et s’isolent. C’est sur eux que se concentrent les actions de la délégation réunionnaise du Secours catholique.

À Saint-Benoît, sur la côte Est, l’accueil de l’association situé à côté de l’église ne désemplit pas. Ce matin de juillet, beaucoup de mères seules comptent sur une écoute et une aide matérielle. Comme Gladys, 30 ans, mère de quatre enfants dont deux souffrent de mucoviscidose ; le père qui en a la garde l’empêche de les voir. Laurent fait un peu figure d’exception. À 34 ans, il a quatre enfants à charge. La famille survit grâce aux 20 heures hebdomadaires qu’il effectue dans un établissement de restauration rapide à Sainte-Marie, à 30 kilomètres de chez lui. Il n’a pas de véhicule et les horaires de bus ne coïncident pas avec son emploi du temps.

Les minima sociaux constituent l’essentiel des ressources de très nombreux foyers. Pour les réconforter dans ces situations difficiles, les équipes du Secours catholique montent des spectacles, organisent des pique-nique en bord de mer, des vacances à la montagne, des activités manuelles, des sorties pédagogiques ou des journées de cueillette de goyaviers.
Le sort de certains éleveurs, pourtant propriétaires de leur lopin de terre, n’est pas plus enviable. Jacqueline Lauret, agricultrice de 40 ans, mère de quatre enfants, a pris la présidence de l’association d’éleveurs spoliés. Elle se bat contre la coopérative qui détient le monopole de l’importation des animaux d’élevage dans l’île. « Il y a bientôt dix ans, explique-t-elle, un maquignon véreux a importé des vaches et des cabris malades. Et à l’arrivée, il n’y a pas eu de quarantaine ». De nombreux petits éleveurs ont été ruinés.
« Beaucoup de foyers ont éclaté, des gens se sont suicidés. Avec mon mari, nous avons dû hypothéquer nos terres. Aujourd’hui, je cultive des légumes pour nous, j’élève des poulets. Quand j’ai un surplus, je le vends ». Les situations d’injustice de ce type ne sont pas rares à La Réunion, dont la version paradisiaque ne concerne le plus souvent que les touristes et les plus nantis.

 Jacques Duffaut 


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