Ateliers-réflexion “Créole et Médias”

Comment traduiriez-vous le mot “disparité” en créole ?

17 mars 2007

Le créole réunionnais entre, aux côtés du français, dans nos médias. Partant de ce constat, l’Office de la Langue Créole de La Réunion, présidée par Axel Gauvin, a souhaité engager une réflexion, sur son utilisation dans les journaux, à la radio, à la télévision. Mercredi 21 mars, à partir de 18 heures, se tiendra à l’Université le troisième et dernier ateliers-réflexion, occasion rare de partager tous les questionnements auxquels nous sommes confrontés dans l’usage régulier du créole.

A la radio, à la télévision, plus rarement dans les journaux, la langue créole trouve une place. Une introduction positive pour la population et La Réunion à condition qu’elle soit aussi bien réussie que possible. En plus de la commande d’un sondage à IPSOS sur le créole et les médias, de la planification d’un colloque sur ce même thème probablement en fin 2007 avec des intervenants de La Réunion et de l’extérieur, l’Office de la Langue Créole de La Réunion propose à tous les acteurs de l’introduction du créole dans les médias des ateliers-réflexion, en partenariat avec l’Université et plus précisément l’ILA.

Observer, respecter, partager : vers un compromis

De Saint-André à Saint-Joseph en passant par le littoral de Saint-Paul et les Hauts de Mafate, on ne parle pas le même créole. Il s’agit toujours du créole réunionnais bien sur, mais il existe des codes, des mots, des expressions, des nuances dans la prononciation de certains sons qui varient selon que l’on se trouve dans l’Est ou le Nord, dans les Hauts ou les Bas de l’île.
La Réunion est donc riche de différents “parlers créoles” ce qui n’empêche pas aux Réunionnais de se comprendre. Ces variantes se retrouvent d’ailleurs dans chaque pays sans empêcher Picards et Nicois de se comprendre aussi. Mais à la différence du français, le créole réunionnais n’est pas standardisé, normé (1). Il n’a pas de norme arbitraire de référence. Pour fixer l’italien, c’est l’écrivain Dante qui a servit de référence. En France, c’est le roi puis les académiciens qui ont défini ce que devait être la bonne orthographe, le bon parler avec l’objectif de différencier les gens de lettres, des gens simples. L’enjeu est autre pour le créole réunionnais. Pour que tout le monde puisse écrire et se comprendre dans l’écrit, la langue a besoin de règles, d’une norme. Mais quoi accepter ? Quoi refuser ? Doit-on dire « moin nana » ou « mi nana » ? Le « moin » perçu aujourd’hui comme signe de ringardise pour la jeune génération doit-il laisser sa place au « mi » ? Ce « mi » est-il acceptable ou considéré comme une faute ? Y a-t-il alors un « bon » et un « mauvais » créole ?
En créole, il y a des zones d’hésitations de la règle. Alors face à l’incertitude, quoi enseigner ? Loin de vouloir imposer une norme, l’Office de la Langue Créole s’inscrit dans une démarche d’observation, de respect des différentes variations de la langue. Elle n’est pas dans une démarche prescriptive qui va dire ce qu’est le « bon créole ». Elle veut partager toutes ces questions, être à l’écoute des observations de chacun, pour qu’ensemble, les Réunionnais puissent y apporter des solutions. La langue créole est un espace de liberté. L’objectif n’est pas de lui mettre un carcan mais de réfléchir ensemble aux moyens de parvenir à un compromis.

« 
Il faut faire des concessions pour s’entendre  »

Et puisque la langue créole prend sa place dans les médias, l’Office a tenu a convier les journalistes à cette réflexion. « Nous ne prétendons ni vous apprendre votre métier de journaliste, ni vous apprendre à parler créole, nous voulons simplement vous apporter des éléments, grâce à une réflexion en commun, vous permettant de mieux répondre aux besoins, soit de votre lectorat, soit de vos auditeurs », explique Axel Gauvin. Et lors du second ateliers-réflexion, les participants qui n’étaient pas restreints aux médias, on pu concrètement s’essayer à la traduction du français au créole à partir de dépêches AFP. Cette exercice pratique a suscité de nombreux échanges et questionnements concrets très intéressants. Chacun a pu prendre fait qu’une traduction mot à mot s’éloigne du créole compris par tous. Comment traduirait-on les mots disparité ou statut en créole ?
Certains ont préféré faire l’impasse, d’autres ont tenté une francisation, acceptable pour le mot statut (stati), d’autres ont cherché des équivalents (“diférans” peut coller pour disparités), etc... La question du néologisme est venue d’elle-même. Néologismes qui ont d’ailleurs beaucoup influencé la construction de la langue et la fabrication des mots. Mais faut-il néologiser quitte à ne pas être compris de tous ? Néologiser sans tenir compte des nuances de la langue, de son fonctionnement, des registres et niveaux de langue ? Quand on a désigné le poète par “fonnkézèr”, a-t-on tenu compte de la connotation péjorative du suffixe “-èr” (kaponèr, kaparèr, anprofitèr) ?

Alors oui, la langue change. Le parler des jeunes est empreint d’une forte créativité qu’il est intéressant d’étudier et leur argot ne s’oppose pas à la langue créole utilisée de façon courante. Mais il est des choses comme l’utilisation du passif, qui traduit clairement une francisation du créole, ou encore les fautes de créole, qui ne peuvent être acceptées, même si l’on reste ouvert au changement (2). Un changement qui ne doit pas être en outre trop rapide. « On ne peut pas retourner en arrière et empêcher l’évolution », concède Axel Gauvin. Néanmoins, « il faut faire des concessions pour s’entendre. »

Stéphanie Longeras

1) Pour citer un exemple : en français, il est établi que maison est du genre féminin donc on doit dire “une maison”, alors que dans le lexique créole, il n’y a pas de distribution genre féminin/genre masculin aussi claire. Certains disent « lo sab », d’autres « la sab » (pour le sable) ; « lo shèz lé zoli » ou « la shèz lé zoli » et même encore « shèz-là lé zoli ». Cette notion de genre est difficile en créole et pour certains, elles n’existent d’ailleurs pas.

(2) Là où l’Office, les linguistes et les créolophones s’accordent parfaitement c’est que le passif n’existe pas en créole. “La souris a été mangée par le chat” ne se traduira jamais mot à mot. On dira “Lo shat la manz la souri”. L’emploi de la tournure passive doit être absolument évité, sans quoi l’on est face à un calque du français. Autre point de convergence, quelle que soit la variation de langue, “mi apèl amoin Estéfani” restera toujours une faute de créole. On dit “mi apèl Estéfani.”


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