L’esprit de l’Ordonnance du 15 octobre 1960 a-t-il vraiment disparu des mentalités à La Réunion ?

5 octobre 2013

C’est à une soirée quelque part historique que l’on a pu assister mercredi 2 octobre sur l’écran de Réunion 1ère. Songez donc ! C’est dans la structure héritière de feu l’ORTF de triste mémoire, dont la fonction essentielle consistait à museler l’expression politique, sociale, culturelle des Réunionnais, au profit exclusif de la parole officielle du pouvoir parisien de l’époque, incarné par Michel Debré, et de ses serviles relais locaux, qu’a été diffusé le film dénonçant la scélérate ordonnance du 15 octobre 1960 ; les mânes de l’exécuteur des basses besognes de l’époque, Jean-Vincent Dolor, ont dû être tout retournés !

Lors du 50ème anniversaire de la promulgation de l’Ordonnance Debré, Roland Robert, victime de cette mesure scélérate, devant la reproduction de la photo prise à Gillot au moment du départ des exilés réunionnais.
(photo Toniox)

Sans doute certains trouveront des insuffisances au film ; pour ma part, je retiendrai la, peut-être, trop rapide évocation du contexte politique réunionnais. L’élection de deux députés communistes aux législatives en janvier 1956, Raymond Mondon et Paul Vergès, avait été effacée aux législatives de novembre 1958 par la déferlante gaulliste qui n’avait pas épargné La Réunion. Mais le gouvernement de Michel Debré, trop heureux de s’appuyer sur un préfet, Perreau-Pradier nommé en 1956 par un gouvernement dit de « Front républicain » présidé par le socialiste Guy Mollet, et maintenu en place grâce à ses éloquents états de service, par le nouveau régime gaulliste de la Ve République en mai 1959. La suite, on la connait. Il y eut bien sur, l’ordonnance Debré, mais aussi la fraude électorale et ses violences, l’étouffement de la libre expression des Réunionnais, la répression contre le maloya, les luttes des planteurs, etc.

Effet dissuasif

Toutefois, cette simple réserve ne doit certainement pas faire oublier l’essentiel, à savoir la parole donnée à celles et ceux, vivants encore aujourd’hui, qui subirent si douloureusement l’application de l’ordonnance. Ce n’est pas sans émotion que l’on a pu les entendre en personne ainsi que des membres de leurs familles rappeler des faits générateurs de tant de souffrance.

L’autre mérite de ce film et du débat qui a suivi la diffusion consiste dans la mise en évidence, dans un contrepoint terrifiant de cruauté pour eux, de l’ignominie des partisans de l’application de l’ordonnance. Que faut-il reconnaitre à Mr Marc Gérard ? Du courage ? Ou plutôt un indicible cynisme, celui de faire fi sans la moindre gêne des principes du régime républicain dont il se prétend le défenseur ? Ceux qui n’ont pas connu cette époque ont ainsi pu avoir, grandeur nature, une idée de ce que pouvaient être les conditions de la vie publique, à travers l’exemple de ce dinosaure des « années Debré » ! On pourrait ajouter qu’au-delà de son application effective, la fameuse ordonnance a eu un incontestable effet dissuasif quant aux velléités d’expression politique des fonctionnaires, hors de la sphère officielle bien pensante.

À la fin des années 60, ils étaient en effet peu nombreux à être engagés aux cotés des planteurs, des jeunes, des ouvriers agricoles et du bâtiment (dans les luttes sociales et leurs prolongements politiques), le statut de la fonction publique coloniale étendu à l’ensemble des fonctionnaires ayant fait le reste pour les couper des luttes populaires.

Quelle liberté pour les chômeurs ?

Pour autant, quarante ans après l’abolition de l’ordonnance Debré, pouvons-nous nous targuer d’être vraiment sortis de l’oppression ? La liberté d’expression est-elle effective pour tous ? Le service public de l’information — je ne parle pas des autres médias — joue-t-il vraiment et régulièrement son rôle dans l’animation d’un débat authentiquement démocratique ? De quelle liberté effective, réelle, peuvent user les chômeurs, les illettrés, les victimes de violence, les laissés pour compte de toutes sortes dans la société réunionnaise d’aujourd’hui ?

N’y a-t-il pas lieu, enfin, d’être légitimement inquiet en lisant certaines infographies apparaissant en surimpression sur le petit écran et exprimant les réactions de certains internautes (au fait, comment et sur quels critères sont-elles sélectionnées ?), visiblement, il est encore des personnes qui, si elles peuvent se prévaloir de savoir manipuler Internet, en sont dramatiquement restées au degré zéro de la réflexion politique démocratique, sinon de la pensée tout court !

 JP Ciret - Saint-André


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