SEMAINE DE LA PRESSE ET DES MÉDIAS

Le fait-divers analysé comme une fiction ordinaire

12 avril 2007

Le 30 mars dernier, Nadia Cochard a soutenu une thèse en Sciences de l’Information et de la Communication sous la Direction de Jacky Simonin. Son étude s’intitule “Fiction ordinaire. Le fait-divers à La Réunion. Le Journal de l’île (1967-2007)”. Elle a bénéficié, pour ce faire, d’une bourse régionale de 3 ans.

Pourriez-vous nous brosser rapidement une histoire du fait-divers raconté dans les quotidiens réunionnais après la Seconde Guerre Mondiale ?

- Le fait-divers tel que nous le connaissons aujourd’hui n’existe pas encore au sortir de la guerre. Il n’est pas identifié comme un genre rédactionnel défini, et la nomination même de “fait-divers” n’est pas employée.
Le journal publie alors deux formes que sont la brève (les accidents de la route, par exemple) et le procès d’assises. Mais ces deux types d’écrits ne sont pas considérés comme appartenant à une même famille. Ce n’est qu’au milieu des années 70 qu’ils vont être associés et que la rubrique puis la page “Fait-divers” vont être constituées.
A La Réunion, le fait-divers, en tant que genre rédactionnel, “naît” en même temps que les journaux décident d’opérer une structuration thématique et événementielle de leurs pages. Celle que nous connaissons aujourd’hui. Contrairement à la France métropolitaine où l’histoire du fait-divers s’inscrit plus spécifiquement dans la tradition orale dite du Canard, ce journal qui était lu sur la place publique par les colporteurs.

Pourriez-vous revenir sur les 3 temps du fait-divers ?

- Le fait-divers emprunte la forme du récit. Lorsqu’il connaît une médiatisation étendue, ce récit va se construire dans le temps. On peut ainsi identifier 3 volets. Le premier nous relate les faits et constitue le début de l’histoire. Le second concerne l’enquête. Et enfin, le troisième marque le dénouement avec le procès.
A chaque nouvelle médiatisation, le journal propose au lecteur un rappel afin qu’il puisse poursuivre sa lecture. Ces grands faits-divers fonctionnent en quelque sorte sur le mode du feuilleton, mais un feuilleton aux parutions irrégulières.

Le fait-divers veut décrire la réalité. Or, vous écrivez que, dans sa rédaction, le journaliste décrit de nombreux stéréotypes qui ne correspondent pas au réel qu’il prétend pourtant raconter. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette fiction ordinaire ?

- Le journaliste, comme l’écrivain, met en place un univers vraisemblable. Il faut garder à l’esprit que le lecteur n’adhère pas à une histoire parce qu’elle est vraie et que des éléments tangibles le lui prouvent. Mais plutôt parce que l’histoire lui semble appartenir au domaine du vraisemblable, du possible, et donc il y croit.
C’est un peu le problème que La Réunion a eu avec le chikungunya. Il y a toujours eu des moustiques à La Réunion. Donc, est-il vraisemblable que le mal vienne de là ? Certaines personnes n’y croient toujours pas.
Pour revenir au fait-divers, le journaliste doit donc “faire vrai”. Mais contrairement à l’écrivain, il dispose d’un nombre limité de signes. Il est donc parfois obligé de recourir à des raccourcis, à des stéréotypes. Des stéréotypes qu’on va surtout retrouver dans la constitution des personnages : la victime, l’agresseur, le gentil, le méchant, etc... Ces stéréotypes parlent au lecteur, et à l’usage, sont devenus constitutifs du genre “Fait-divers”.
Cet “univers vraisemblable” est un des éléments de la fiction ordinaire que je présente dans ma recherche. Il en existe d’autres. Ensemble, ces éléments vont instaurer une mise à distance symbolique au réel qui permet au lecteur de prendre connaissance des faits violents que lui relate le fait-divers sans que cette violence médiatisée nuise à son sentiment sécuritaire.
D’où le parallèle avec la fiction, la lecture du fait-divers, c’est un peu “jouer” à se faire peur.

Vous avez particulièrement étudié l’affaire Johnny Catherine. Que nous apprend le traitement, par le “JIR”, du meurtre de cet ancien champion de boxe ?

- L’affaire Johnny Catherine est singulière pour son caractère violent. Toutefois, elle ne marque pas une croissance inquiétante de la violence en général. Dans le corpus historique que j’ai étudié, on retrouve des affaires similaires relatant la révolte d’un quartier contre son “tyran” et qui décide ensemble de sa mise à mort. Les faits-divers répètent inlassablement les mêmes histoires humaines. C’est notre réception, notre appréhension de la violence qui est différente.
Dans l’affaire Johnny Catherine, ce rejet de la violence, qu’on pense nouvelle, se manifeste notamment à travers les courriers de lecteurs. Et progressivement, le portrait noir de Johnny Catherine que le journal avait construit en rappelant son passé de délinquant va s’estomper. De tyran dont la mort était écrite par ses actes, il est reconnu comme victime, puis, le journal, en relatant l’histoire de son fantôme, donne vie à la “légende du lion”.
Mais le récit continue à s’écrire, il trouvera sa conclusion lors de la médiatisation du procès.

Propos recueillis par Matthieu Damian


Témoignage

Christelle, élève en Info Com

« On ne peut pas nier l’identité réunionnaise »

Lors de la Colloque sur “Les journalismes dans l’Océan Indien” qui s’est tenu il y a une quinzaine de jours à l’Université, nous avons rencontré Christelle Séraphin, 35 ans, élève en Info Com. Elle nous offre sa vision du métier de journaliste.

Dans le cadre d’un article paru dans “Varangue”, le journal des élèves d’Info Com, vous avez été amenée à comparer la place du créole dans la presse écrite. Qu’avez-vous observé ?

- Dans le cadre de la Journée nationale de la langue maternelle, le 21 février, j’ai effectivement proposé ce thème de recherche. J’ai donc comparé la place du créole écrit dans les 3 quotidiens de l’île. J’ai été très choquée que les phrases en créole soient traduites entre parenthèses dans le “JIR”, voire retranscrites en français. Dans “Le Quotidien”, on retrouve un créole écrit approximatif, très proche du français, alors que dans “Témoignages”, tout ce qui est dit en créole reste en créole, avec une meilleure maîtrise de l’écriture. De plus, “Témoignages” est le seul journal à proposer des articles tout en créole.

Que retenez-vous de ces observations ?

- D’une part, je me suis rendue compte qu’on lit la presse de façon diagonale. Je pense personnellement qu’il faut laisser plus de place au créole écrit dans la presse. En tant que maman, je souhaiterais que mon enfant sache très tôt écrire en créole, comme en français, mais encore faut-il que nous soyons nous-mêmes confrontés à l’écriture. La presse est un bon outil de diffusion, et comme le dirait Lucien Biedinger (NRLD : ancien Rédacteur en chef de “Témoignages” interrogé par Christelle dans le cadre de son article) : « On ne peut pas nier l’identité réunionnaise » !

Plus généralement, vous qui aspirez à devenir journaliste, comment appréhendez-vous le métier ? Qu’est-ce que être journaliste ?

- Je pense que c’est un métier de passion, une passion que moi-même j’ai ressentie en m’investissant à fond dans mon article - comme du militantisme d’ailleurs qui fait qu’aujourd’hui, je signe mes papiers avec mon prénom écrit en créole. Même si c’est un métier qui me plait énormément, je ne prendrai pas cette voie car justement, je crains d’être trop impliquée. Car si c’est un métier de passion, la vivre et aller jusqu’au bout demande de ne pas s’arrêter à l’esthétique de l’écriture, à faire de belles phrases. Pour moi, un journaliste doit aller au bout d’un sujet, faire des recherches, analyser, comprendre pour, au-delà des faits, proposer une réflexion.

Propos recueillis par SL


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