Colloque sur le journalisme à l’Université

Les journaux, espace de débat

29 mars 2007

Deux journalistes étaient invités en début d’après-midi à partager leurs témoignages avec le public. Jean-Louis Rabou, ancien rédacteur en chef du “Quotidien de La Réunion”, et Adelson Razafy, journaliste et président du comité éditorial de “La Gazette de Madagascar”.

L’un a vu naître le troisième journal de La Réunion en 1970, “le Quotidien”, et l’a accompagné jusqu’en 2005 ; l’autre est journaliste depuis 1983 à Madagascar. Jean-Louis Rabou et Adelson Razafy ont chacun à leur manière évoqué la presse écrite, à travers leur vécu de journaliste, à La Réunion et à Madagascar.
Face à des étudiants qui se destinent à travailler dans les médias ou dans la communication, Jean-Louis Rabou a commencé son discours ainsi : « je tiens à démystifier notre métier. Le journaliste n’a pas, à La Réunion, le pouvoir accordé en France ou ailleurs ». Regard pessimiste ou justifié, pour celui qui a passé environ 30 ans dans un journal ? Jean-Louis Rabou avance des arguments. Pour lui, trois raisons expliquent cette vision de la presse. Il y a, premièrement, le poids de l’élu, « du maire, premier employeur qui entraîne le clientélisme », deuxièmement, le poids du religieux et du communautarisme, « mot que l’on considère comme impropre ou à réserver à Maurice », et troisièmement, « le poids de l’illettrisme, qui prive d’une lecture active, distanciée et critique ». Ces trois raisons limiteraient ainsi le rôle informatif de la presse. Jean-Louis Rabou a évoqué les protestations contre ses éditos, et l’épisode de la flaque d’eau miraculeuse à Saint-Leu, soutenu à l’époque par l’Église. Et quant à « l’illettrisme, c’est un scandale qui ne semble pas déranger grand monde et pourtant, c’est plus grave que la route en corniche », ajoute Jean-Louis Rabou.
Pourtant, dans le même temps, l’ancien rédacteur en chef souligne l’exagération des médias lors de l’épidémie de chikungunya, des médias qui ont « sciemment entretenu la confusion que le moustique a tué », ce qui a causé des dégâts. Preuve que la presse peut avoir de l’impact. Mais un impact provoqué par le sensationnel. C’est contre le marketing de l’information que Jean-Louis Rabou a également mis en garde. Car l’information ne doit pas être une marchandise comme une autre dans une démocratie, « un produit de consommation banalisé, un support économique », sous peine d’uniformité. Si « le journaliste n’a pas à La Réunion le pouvoir accordé en France », Jean-Louis Rabou reconnaît que l’histoire des médias dans l’île se caractérise par l’acquisition de la liberté d’expression. « Il y avait en 1979 un face à face manichéiste entre deux feuilles très archaïques, le “JIR” et “Témoignages” ». L’apparition d’un troisième journal a profité à tous. Mais aujourd’hui, c’est « la crise de confiance avec le lecteur » qui menace la presse écrite. « Autrefois, lire un journal, quitte à s’en servir ensuite pour emballer le pain, c’était un singe d’intelligence ». Parfum de nostalgie. Alors l’ancien rédacteur en chef a encouragé les étudiants à « lire le “Quotidien”, “Témoignages”, bref, le journal, et notamment le courrier des lecteurs, qui donne un peu d’épaisseur à la démocratie ». Mais, a-t-il ajouté, « vous devez aussi faire entrer dans les journaux ce qui ne s’y trouve pas assez. Les débats, comme la démographie de l’île, le statut des fonctionnaires, la place du Cafre dans la société, celle de nos voisins, etc. Bref, les journaux ont encore beaucoup à dire. Attention aux gratuits. »
Adelson Razafy est journaliste à Madagascar. En 1983, il commence à “Madagascar Matin”, écrit des faits remarquables de l’histoire de la Grande-île. Il est aussi professeur d’histoire-géographie. La censure directe, Adelson Razafy l’a subie. Il raconte : « à 17 heures, il fallait rendre nos papiers au ministère de l’Intérieur pour obtenir l’autorisation de publication. On tentait de faire passer quelques articles dans les rubriques non surveillées comme le sport, mais en faisant attention de ne pas être pris ». Finalement, explique Adelson Razafy, le journaliste finissait par s’autocensurer. La liberté existe-t-elle maintenant dans la presse malgache ? La censure directe n’existe plus, mais la censure n’a pas disparu. « Nous avons pris l’habitude de la liberté avec le retour des kiosques, alors qu’avant nous n’avions accès qu’à la presse russe ou de Corée du Nord. Puis il y a eu une école de journalisme. D’autres formes de censure sont apparues, comme la rétention d’informations par les services officiels, ou la convocation de journalistes au commissariat. Avec Marc Ravalomana nous avons cru à la liberté d’expression », mais des actes contre la presse perdurent (la fermeture de quatre radios, les menaces à la presse lors du coût d’état militaire, etc). Malgré ces conditions d’exercice du métier, Adelson Razafy continue à informer la population malgache. Il n’a pourtant jamais reçu de formation en journalisme.

Edith Poulbassia


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