Laurence Vergès raconte le combat de “Témoignages”

« Lorsque le journal commençait une campagne, elle ne s’arrêtait pas »

12 avril 2007

“Témoignages” va fêter cette année ses 64 ans d’existence. Un record de longévité pour un journal local, compagnon de l’évolution de la société réunionnaise depuis sa création en 1944 par le Docteur Raymond Vergès. Laurence Vergès, épouse de Paul Vergès, a longtemps participé à la vie de “Témoignages”, de l’écriture d’articles à la mise en page. Elle nous livre, à travers ses souvenirs, un bout de cette histoire de la presse. L’histoire d’un journal militant qui n’avait pas droit à la parole jusqu’aux années 1980 et qui, malgré son tirage limité et compromis, à su s’imposer comme le journal des sans voix, de la population réunionnaise.

Le rêve de Laurence Vergès, lorsqu’elle s’installe à La Réunion dans les années 1950, c’était d’avoir sa propre librairie. « J’ai toujours adoré lire et écrire depuis l’école », raconte l’épouse de Paul Vergès. Elle ouvre donc son magasin, mais elle est très vite obligée de mettre la clé sous la porte. Le livre n’est pas une marchandise que l’on s’arrache, il est difficile à importer. Début 1958, elle fait donc son entrée à “Témoignages” pour remplacer un employé administratif qui avait quitté son poste. Laurence Vergès découvre alors la fabrication du journal, de la réalisation de reportages à la mise sous presse. « J’ai appris comment se faisait un journal. A l’époque, nous avions une imprimerie située rue Maréchal Leclerc. C’était une grosse machine. A ses débuts, “Témoignages” n’était qu’une feuille recto verso, puis nous sommes passés à 4 feuilles, à 8 feuilles. Les militants vendaient “Témoignages” le samedi dans les villes. Nous avons bénéficié d’un plus grand hangar ensuite, à l’angle de la rue Roland Garros et Charles Gounod. “Témoignages” a beaucoup déménagé. On utilisait les caractères dans les casses pour imprimer, et j’ai appris à les manipuler avec les typographes », se souvient Laurence Vergès. La publication hebdomadaire de “Témoignages” relevait de l’exploit et sa diffusion reposait surtout sur « les liens très forts entre les Camarades dans les différentes villes ». On était bien loin du journal de 24 pages diffusé à plus de 7.000 exemplaires chaque jour dans les années 1980. Les articles étaient plutôt courts, réalisés à l’aide des informations qui parvenaient à la petite équipe du journal par le biais des correspondants de toute l’île.

Raconter la vie des gens, porter leurs revendications

Les titres de la presse écrite sont plus nombreux qu’aujourd’hui. A côté du journal de position “Témoignages”, le “JIR” est l’organe de presse de la droite, on trouve aussi d’autres journaux tels “Le Progrès”, “La Démocratie”. Mais “Témoignages” se positionne clairement comme le journal « des sans voix », il va à la rencontre de la population. « Les articles plus politiques étaient surtout écrits par Paul et Bruni Payet. Je me souviens par exemple de la première bataille des planteurs à l’usine de Quartier Français. Le journal soutenait la classe ouvrière et les petits planteurs, les communistes étaient les seuls à les défendre, ce qui a abouti à la création de la première Confédération générale des planteurs », raconte Laurence Vergès.
Dans les années 1950, Laurence Vergès s’occupe aussi une fois par semaine d’une page sur la condition féminine. « Nous allions dans toute l’île rencontrer des femmes pour parler du travail dans les champs de cannes, des enfants, de la contraception », se rappelle-t-elle. « Ce qui me plaisait vraiment, poursuit-elle, c’était de raconter la vie des gens. Je me souviens de cette rencontre à Sainte-Rose avec une petite femme qui élevait seule ses enfants et s’occupait de la canne à sucre. Elle s’exprimait simplement. Elle avait un courage extraordinaire. Nous l’avions photographiée au travail dans les champs de cannes ». Autre anecdote, révélatrice des conditions de vie des Réunionnais de l’époque, « les enfants qui couraient pieds nus prendre de l’eau à la fontaine, dans les bidonvilles du Butor. Un Camarade qui gardait “Témoignages” chez lui y vivait avec ses 12 enfants. Chaque jour, il fallait laver le peu de linge pour permettre à ses enfants d’aller à l’école ». “Témoignages” allait donc à la rencontre des plus démunis, parlait de leur vie et portait leurs revendications.

Lutter contre la censure

Pourtant, jusqu’en 1981, “Témoignages” a difficilement droit à la parole. De 1964 à 1967, raconte Laurence Vergès, « Paul est condamné pour avoir repris des articles du “Monde” sur la guerre d’Algérie, “Témoignages” est victime de 41 saisies ». Cette censure va de pair avec les fraudes électorales, que le journal dénonce également. « En fait, lorsque “Témoignages” commençait une campagne, elle ne s’arrêtait pas, ce qui pouvait irriter quelques personnes ». Ainsi, “Témoignages” a suivi l’affaire des contraceptions imposées aux femmes à la clinique de Saint-Benoît, « la pilule de trois mois », les affiches représentant des enfants dans une boîte de conserve pour montrer du doigt la fécondité des femmes réunionnaises. Il y a eu bien d’autres campagnes, comme celles pour l’égalité sociale, le droit à la parole du PCR dans les médias, etc... Jusqu’en 1981, le journal “Témoignages” mène un combat au quotidien pour exprimer ses idées. L’année de l’élection de François Mitterrand marque un tournant : “Témoignages” gagne en liberté d’expression. L’équipe de la Rédaction s’enrichit de jeunes journalistes (Laurent Vergès, Pascal David, etc...), ce qui donne, selon Laurence Vergès, « un autre caractère » au journal. L’épouse de Paul Vergès écrira encore dans les colonnes de “Témoignages”, de façon irrégulière, jusqu’à la fin des années 1990.

Edith Poulbassia

Raymond VergèsLaurent Vergès

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