Plate illustration d’une (micro) société en perte de repères...

21 mai 2007

Il est rare qu’un reportage dans une classe de lycée fasse toucher le fond de l’acculturation et du décervelage : c’est pourtant ce qu’a “réussi” RFO samedi soir, dans un reportage qui mérite de rester dans les Annales des Nullités de la station du Barachois. Pas tant à cause de ce qu’il rapporte que par son manque de recul critique.

Ce reportage montrait, sans aucune distance décelable, une supposée “fronde enseignante” contre la proposition du président Sarkozy de faire lire aux élèves, en début d’année scolaire, la dernière lettre du jeune Guy Môquet, militant communiste et Résistant fusillé le 22 octobre 1941 à l’âge de 17 ans, parmi les 27 otages du camp de Châteaubriant, dont il était le plus jeune détenu. Avec les 18 emprisonnés de Nantes et les 5 Nantais de Paris, cinquante otages furent fusillés sur l’ordre de Pucheu, ministre de l’Intérieur de Vichy, en représailles de l’exécution de Karl Hotz, Commandant des troupes d’occupation de Loire inférieure, par trois militants communistes. On a donné leur nom, après la guerre, à l’une des principales artères de la ville de Nantes : le Cours des 50 otages.
Des pages glorieuses et sombres comme celle-ci éclairent tragiquement l’histoire de la Résistance française pendant l’occupation nazie. La dernière lettre de Guy Môquet à sa famille dit ceci :
« [...] Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi.
Certes, j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. [...]
17 ans 1/2, ma vie a été courte, je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin (
Jean-Pierre Timbaud - Ndlr), Michels (Charles Michels ; deux dirigeants du PCF - Ndlr). Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine.[...]
Dernières pensées : Vous tous qui restez, soyez dignes de nous, les 27 qui allons mourir ! »
L’indignité des lycéens montrés par RFO n’est que le fruit pourri de l’ignorance, de l’acculturation consommatrice et bêtifiante et d’un individualisme forcené, donné pour horizon indépassable. Triste spectacle.

L’optimisme nous dicte que les enseignants sont là pour éclairer le présent par l’histoire, pour donner un sens aux événements que les enfants d’aujourd’hui ne peuvent pas connaître. De quoi parle cette lettre ? De quoi parle, à travers les décennies qui nous séparent de la Seconde Guerre mondiale, l’engagement des milliers d’hommes et de femmes qui ont donné leur vie pour vivre dans un pays libre ?
Ils nous parlent de l’identité d’un peuple, de construction d’un pays au travers de valeurs transcendant les petits égoïsmes personnels d’individus sans épaisseur, sans qualité et sans perspective.
Le comble de l’abêtissement a été atteint par un pauvre garçon récitant son credo d’individualiste : « Le don de soi peut conduire à de graves dérives » a-t-il dit en substance - et sans rire (c’était plutôt à pleurer...) - « Il peut mettre en avant la défense de la société et de l’intérêt général, au détriment de la famille et de l’individu ».

Cet affligeant intermède révèle à la fois beaucoup d’ignorance, une suffisance de nantis bornés à l’infiniment médiocre et une dramatique absence d’imagination dans la lecture des symboles : autant de choses que l’école de la République a pour fonction d’écarter, de dégrossir, afin de faire émerger chez chacun de nos jeunes le sens d’une appartenance à une communauté, à un peuple ; et la faculté de situer ce qui définit nos valeurs communes au-dessus de l’ego de chacun, dans la construction d’un humanisme commun.
Cette lecture - qui peut être complétée par d’autres du même genre : qu’on relise aussi la dernière lettre de Jacques Decour à ses parents... - réintroduit des valeurs civiques dans une société en pertes de repères, comme le reportage en a donné une plate illustration.
Il y a pourtant eu des Résistants à La Réunion, à Madagascar : ils ont participé à un grand moment de l’Histoire de France et de l’Europe, inscrivant leur île dans un courant mondial. En quoi le fait d’honorer leur mémoire pourrait-il perturber les jeunes d’aujourd’hui ?
Et il y a eu d’autres actes de résistance, dans l’histoire réunionnaise, qui permettent de faire le lien avec d’autres moments de la construction de notre peuple ; et qui posent aussi des problématiques intéressantes par rapport à la construction identitaire : nationale, régionale, planétaire...

On attendrait d’une classe de lycée qu’elle élève le niveau de la réflexion collective, au lieu de la fourvoyer. Qu’est-ce que des jeunes pétris d’égoïsme étriqué et privés d’échelle de valeurs, vont-ils bien pouvoir donner à leur pays plus tard ?

P. David


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