Cache-misère

Quand les médias réunionnais reprochent à la radio nationale de parler des problèmes qu’ils esquivent…

14 juin 2011, par Geoffroy Géraud-Legros

Un grand nombre d’auditeurs a suivi l’émission ’décentralisée’ réalisée dans notre île par l’équipe de ’France-Inter’ le 8 juin dernier. À lire la presse, on perçoit que les choix éditoriaux du service public ont, pour utiliser un mot à la mode, passablement « indigné » plusieurs journalistes réunionnais. Mais ce n’est pas d’avoir entendu le président de la Région qualifier l’identité réunionnaise de « combat d’arrière-garde », brocarder l’enseignement du créole à l’école et traiter sans ménagement Jean-François Sam-Long que vient la mauvaise humeur des confrères.

Ce qui est reproché à nos visiteurs, et plus particulièrement à Mme Pascale Clarck et au chroniqueur qui l’a précédée, c’est d’avoir osé évoquer la misère et la précarité omniprésentes dans notre pays, et d’avoir axé reportages et débats sur ces sujets. Honte, s’écrie-t-on du haut en bas, et en passant par le milieu, de notre échelle médiatique. "France-Inter", nous explique l’un des plus connus de nos chroniqueurs, par ailleurs rédac’chef adjoint du premier quotidien local, aurait dû évoquer La Réunion qui arrive à l’heure, et, nous dit-il, « se lève tôt ». Diable ! Notre éditorialiste entendrait-il par là que ceux qui vivent des minima sociaux, le tiers de chômeurs, la moitié des jeunes sans emploi, sont des paresseux traînassant au lit ? Ou, suggère-t-il que la pauvreté, qui frappe plus de 50% de la population, c’est-à-dire tout de même le plus grand nombre, doit rester un sujet accessoire ?

Où est le cliché ?

À en croire la protestation de nos médias, parler de la jeunesse « sou piéd’ mang », de celle qui pointe au Pôle emploi et accumule les petits contrats serait donner dans le « cliché ». Sans doute, peut-on discuter tel ou tel aspect des reportages qui ont été soumis aux auditeurs de France et de La Réunion, lors de cette journée pas comme les autres sur le plan radiophonique. Certains pourront penser que le choix de prononcer le mot « zamal » et de donner à voir le désœuvrement d’une jeunesse sans emploi n’était pas de bon ton. Mais le cliché eut véritablement consisté à ne montrer que les cache-misère que, depuis le temps des colonies, la bonne société de chez nous excelle à montrer aux gens de passage. Autrefois, c’était la gentillesse et la politesse de ces Créoles-du-terroir-encore-plus-Français-qu’en-France-mon-bon-monsieur. Aujourd’hui, c’est le prétendu multiculturalisme : un concept d’importation qui ne retranscrit en rien la manière dont les Réunionnais ont construit leur société. Sans compter les images d’Épinal qui n’ont presque pas varié avec le temps dont celle, tarte à la crème des tartes à la crème, de l’"île vanille". Alors, peut-être effectivement aurait-il fallu parler un peu plus de « La Réunion qui marche », qui existe bel et bien. C’est d’ailleurs ce que l’on aurait pu attendre du président de la Région et de la députée présente sur le plateau de "France-Inter". Ceux-ci ayant usé de leur temps de parole pour taper sur la langue de leurs compatriotes, souffrons que nos visiteurs parlent, une fois n’est pas coutume, des pauvres.

Geffroy Géraud-Legros


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