Quand l’État s’entête à soutenir un projet qui s’oppose au principe de précaution

Carrière de Bois-Blanc : santé et environnement des Réunionnais sacrifiés

5 août 2017, par Manuel Marchal

En faisant du projet de la carrière de Bois-Blanc un PIG (projet d’intérêt général), le préfet fait un geste fort en faveur des promoteurs de la route en mer. Ce n’est pas la première fois que l’État prend parti pour ce chantier pharaonique. Cet entêtement poursuivi par deux gouvernements de tendances politiques différentes profite avant tout aux intérêts des multinationales basées en France qui ont raflé pour plus d’un milliard d’euros de marchés. Les conséquences sur la santé des Réunionnais et sur la biodiversité d’une île qui fait partie du Patrimoine mondial passent au second plan derrière les profits.

En janvier 2007, les négociations entre la Région Réunion et l’État au sujet du transfert des routes nationales aboutirent à la signature d’un partenariat pour le financement notamment de deux grands travaux : le tram-train de la Région et la nouvelle route du littoral de l’État. Cet accord devait régler définitivement le problème créé par la suppression du chemin de fer quelques décennies plus tôt : sécuriser la liaison entre Saint-Denis et La Possession.

Initialement, les travaux du tram-train devaient s’achever en 2012, et de la NRL en 2017. L’année 2017 se termine et tout le monde peut constater que cette liaison sécurisée n’existe toujours pas. Une des explications réside dans une succession de décisions de l’État.

Transfert des crédits du train

Une nouvelle majorité régionale sort des élections de 2010. Elle remet en cause l’accord signé trois ans plus tôt. Son projet est de basculer les crédits du train et de la NRL sur une route en mer à six voies. François Fillon était alors Premier ministre. Il a soutenu cette idée et a signé un protocole reportant de plusieurs années la réalisation de la liaison sécurisée entre Saint-Denis et La Possession.

La motivation de Paris était surtout financière. Initialement, l’État et la Région devaient contribuer ensemble à payer les dépassements de crédit de la NRL en fonction d’une clé de répartition. Comme cette route nationale relevait avant 2007 de la compétence de l’État, c’était donc à Paris de supporter l’effort financier le plus important. Le nouvel accord ne disait plus rien à ce sujet tout en confirmant la compétence de la Région sur le projet de route en mer. Autrement dit, l’État s’était désengagé de sa solidarité financière en cas de dépassement du coût prévu de la route en mer en échange d’une contribution financière qui restait la même qu’en 2007.

Dérogations à la protection de l’environnement

Le remplacement de deux chantiers par un seul n’a pas eu que des effets pécuniaires. Construire une route en mer, cela suppose d’évaluer les répercussions sur l’environnement dans un milieu fragile. Au niveau régional, ainsi qu’à Paris, les oppositions sont vite arrivées. Le Conseil national pour la protection de la Nature s’est ainsi prononcé contre la route en mer, sur la base d’atteintes à la biodiversité. Le chantier était donc condamné. En 2012, l’élection présidentielle et les législatives provoquent un changement de pouvoir en France. En campagne à La Réunion quelques semaines avant le scrutin, le candidat qui allait être élu président de la République, François Hollande, s’était engagé pour la construction du tram-train. Cela voulait donc dire un retour au protocole de financement initial pour la sécurisation de la liaison entre Saint-Denis et La Possession.

Mais il s’avéra qu’au contraire, le nouveau gouvernement a choisi de soutenir lui aussi la route en mer. Pour passer outre l’avis négatif du Conseil national pour la protection de la Nature, Paris donna alors des dérogations pour permettre le démarrage du chantier.

Ouverture de nouvelles carrières

Les promoteurs de la route en mer ont alors mis les bouchées doubles pour passer à la phase opérationnelle. Ils devaient pourtant faire face à une équation impossible à résoudre : choisir un prestataire capable de construire une route à six voies en pleine mer de 12 kilomètres pour un prix de 1,6 milliard d’euros. Le problème des matériaux était déjà posé. Un des concurrents proposait de faire venir les roches du Moyen-Orient, compte-tenu du manque de ressources dans ce domaine de La Réunion. Un autre se faisait fort de trouver tout sur place, ce qui automatiquement faisait baisser la facture. Et ce fut ce dernier qui obtint les principaux marchés des digues et du viaduc.

Le chantier a donc démarré sans que la garantie d’approvisionnement en matériaux soit assurée. La réalité n’a pas tardé à s’imposer : même en transformant les champs de canne en mine de galets, il manquait les roches nécessaires à la réalisation du chantier. Les promoteurs de la route en mer soutenus par la Région ont donc mis la pression sur l’État pour qu’il prenne des décisions peu orthodoxes.

Ce fut d’abord l’autorisation donnée à l’importation de roches de Madagascar. Devant les craintes d’introduction d’espèces invasives, un protocole sanitaire fut mis en place avec l’assentiment de l’État. Il s’agissait uniquement de laver les roches à l’eau de mer. Souhaitons que la faune et la flore de notre île ne paient pas lourdement une telle légèreté.

Mais cela ne suffisait pas pour poursuivre le chantier. Alors l’État est de nouveau intervenu pour autoriser l’ouverture de nouvelles carrières.

Opposition de 260 médecins

Dans le cas de celle de Bois-Blanc sur le territoire de la commune de Saint-Leu, les répercussions sanitaires sont énormes. En octobre 2016, 260 médecins ont signé une lettre au préfet [1] qui disait notamment ceci :

« Nous, médecins du secteur public et du secteur libéral exerçant à La Réunion, souhaitons vous alerter sur les risques sanitaires liés à l’exploitation de la carrière de Bois Blanc. Ces risques, qui pèseront sur les 55 000 habitants des communes de Saint-Leu, Les Avirons et L’Etang-Salé nous semblent clairement sous-estimés par les études d’impact liées à ce projet et rendues publiques à ce jour.

Ces risques sanitaires nous semblent particulièrement importants dans les domaines suivants : inhalation de poussières minérales ; conséquences sonores des tirs de mine ; majoration de la pollution atmosphérique directement liée à l’augmentation du trafic routier inhérent à l’exploitation ; écotoxicité ; risque explosif (…) »

Toujours en octobre 2016, une manifestation regroupant plusieurs milliers de personnes [2] avait fait part de son opposition au projet. C’était la plus grande mobilisation jamais organisée pour la protection de l’environnement.

Passage en force

L’autorisation de l’ouverture de cette nouvelle carrière était conditionnée à enquête publique. La procédure a débouché sur un avis défavorable. Tout aurait dû alors s’arrêter là. Mais l’État a donc décidé d’organiser une deuxième enquête publique avec cette fois un avis favorable alors que le projet n’a pourtant pas fondamentalement changé.

Pour passer outre l’opposition de la population et de ses élus, le représentant de l’État a choisi de classer la carrière de Bois-Blanc comme un projet d’intérêt général (PIG). Cette mesure équivaut à une déclaration d’utilité publique, elle s’impose donc à la commune de Saint-Leu où un référendum local avait montré que plus de 80 % des votants étaient contre la carrière de Bois-Blanc.

Par une succession de décisions, l’État a permis le lancement puis donné les dérogations nécessaires à la poursuite du chantier de la route en mer. Chaque décision fait supporter un coût toujours plus important à la population. Le réseau routier réunionnais subit actuellement les conséquences du passage continuel d’une noria de camions pour alimenter en galets le chantier de la route en mer. Avec la mise en service de la carrière de Bois-Blanc, ce sera encore pire. Cet entêtement poursuivi par deux gouvernements de tendances politiques différentes profite avant tout aux intérêts des multinationales basées en France qui ont raflé pour plus d’un milliard d’euros de marchés. Les conséquences sur la santé des Réunionnais et sur la biodiversité d’une île qui fait partie du Patrimoine mondial passent au second plan derrière les profits.

M.M.

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