Circulation paralysée pendant des heures à Saint-Denis à cause d’un simple accident : quand une sardine bloque le port de Marseille...

Embouteillage monstre à Saint-Denis : l’urgence de reconstruire le chemin de fer de La Réunion

29 janvier 2022, par Manuel Marchal

Encore une fois, un simple accident à l’entrée de la route du littoral a entraîné la paralysie de la circulation à Saint-Denis et des retards considérables pour les usagers traversant la capitale pour se rendre dans l’Ouest. C’est la conséquence de l’absence à La Réunion d’une alternative au tout-automobile. Dans une île montagneuse de seulement 2500 kilomètres carrés où la plupart des villes sont sur une étroite frange littorale, ce sont plus de 20.000 véhicules neufs qui sont importés chaque année. Comment expliquer qu’un tel sous-développement dans les transports soit possible dans une île rattachée à l’Union européenne et ayant un PIB par habitant sans équivalent à des milliers de kilomètres à la ronde ?

Le train a été reconstruit à Maurice. A La Réunion, les bénéficiaires du tout-automobile ont réussi à maintenir La Réunion dans le sous-développement en matière de transports.

Hier vers 13 heures à l’entrée de Saint-Denis sur la fin de la route du littoral devant la caserne Lambert, une camionnette venant de l’Ouest a fait une embardée avant de se retrouver sur le toit sur la voie d’en face. Fort heureusement, seulement des dégâts matériels sont à déplorer. Il a fallu environ de trois heures pour évacuer le véhicule et rétablir la circulation dans le sens Saint-Denis La Possession.
En conséquence, le seul moyen pour aller vers l’Ouest était d’emprunter le boulevard Sud. Pendant ce temps, d’importants bouchons se sont formés : jusqu’à 11 kilomètres d’embouteillages depuis la sortie de Saint-Denis par le pont Vinh-San en allant vers l’Est. Cela signifie que la circulation dans Saint-Denis a été très sérieusement perturbée pendant des heures, par le simple accident d’une camionnette à l’entrée de la ville.

Raisons de la suppression du train

Cette situation est la conséquence d’une politique : favoriser le tout-automobile. Cette politique date du moment où la France avait besoin de resserrer son emprise sur La Réunion au moment de la décolonisation. Pour cela, Paris créa de toutes pièces une classe sociale aux revenus déconnectés de la situation économique de La Réunion et capable de consommer des produits importés d’Europe. Le gouvernement décida habilement d’étendre le supplément colonial versé à une centaine de hauts fonctionnaires à tous les agents titulaires au moment où la décolonisation imposait l’embauche de dizaines de milliers de fonctionnaires pour répondre aux besoins de services publics. Ce sursalaire a permis aux membres de cette classe sociale d’être le fer de lance de l’importation à La Réunion de la société de consommation dont un des symboles est l’automobile.
Le moment décisif fut justement la décision de détruire le chemin de fer et de construire la route du littoral à la fin des années 1950. Paris faisait ainsi d’une pierre deux coups.

1. Combattre la CGT et le Parti communiste

Tout d’abord, la fin du chemin de fer signifiait la suppression d’un des plus gros employeurs de La Réunion, qui était le bastion de la CGT et du Parti communiste. Au cours des décennies précédentes, les cheminots avaient été des acteurs essentiels des conquêtes arrachées par les Réunionnais face au pouvoir parisien et ses alliés à La Réunion. Les cheminots assuraient notamment le lien entre les dockers et les travailleurs des usines sucrières dans la transmission des idées révolutionnaires : Sécurité sociale, impôt sur le revenu, éducation gratuite pour tous, respect du suffrage universel, égalité des salaires entre fonctionnaires de La Réunion et de France notamment. Et quand en octobre 1945, les Réunionnais choisirent leurs députés dans les premières élections législatives sous le régime du suffrage universel, ceux de la circonscription sous le vent élirent Léon de Lépervanche, un cheminot membre du Comité républicain d’action démocratique et sociale (CRADS).

2. Renforcer la dépendance de La Réunion à la France

Ensuite, l’importation à La Réunion du tout-automobile renforçait la dépendance de notre île à l’extérieur, notamment la France. En effet, tout ce système ne fonctionne que grâce à des importations, car les Réunionnais ne construisent pas d’automobile, et aucun puits de pétrole n’est exploité à La Réunion. Ce système permet à l’industrie automobile française d’être la principale bénéficiaire des plus de 20.000 véhicules importés par an, mais il fait de La Réunion un pays sous-développé sur le plan des transports.

L’opposition au retour du train

Les initiatives pour sortir La Réunion de ce sous-développement rencontrent une opposition de la part des bénéficiaires du tout-automobile. C’est ce rappelle la campagne des élections régionales de 2010, moment décisif sur ce plan. La majorité régionale était l’Alliance dont faisait partie le PCR, avec à sa tête Paul Vergès. En janvier 2007, Paul Vergès avait obtenu du gouvernement les crédits pour reconstruire le train à La Réunion avec une mise en service prévue en 2012. Des recours avait obligé à retarder les travaux pour la traversée du massif de la Montagne, mais les emprises du tram-train étaient déjà construites sur plusieurs kilomètres : pont du Boulevard Sud sur la rivière des Pluies à Saint-Denis, pont aval sur la rivière des Galets et l’axe mixte reliant ce pont à l’entrée Est de Saint-Paul. Aussi, 2014 était un horizon raisonnable pour la mise en service des plus de 40 kilomètres de réseau ferroviaire reliant Sainte-Marie à Saint-Paul en passant par Saint-Denis.

Il n’en fallait pas plus pour provoquer le blocus de la Région Réunion par des opposants politiques qualifiés de transporteurs en novembre 2008, puis en juillet 2009 à l’occasion de la venue d’un Premier ministre venu inaugurer la Route des Tamarins. Seule la menace de Paul Vergès d’annuler l’inauguration de la Route des Tamarins obligea l’État à agir pour lever le blocus, mais sans qu’aucune sanction ne soit prise à l’encontre de ceux qui avaient pratiqué un coup de force contre une institution élue de la République.

Cette stratégie avait pour but de combattre un pouvoir politique qui allait libérer les Réunionnais du tout-automobile grâce à une alternative écologique et pas chère pour les usagers. Elle aboutit à l’installation de Didier Robert à la présidence de la Région en mars 2010. Une de ses premières décisions fut de stopper le chantier du tram-train, et d’obtenir de Paris le transfert de l’argent prévu pour le train sur une hypothétique route en mer dite NRL : les compagnies pétrolières, les importateurs de voitures et camions et ceux qui gravitent autour de ce lobby avaient atteint leur objectif.

Le syndrome de la sardine qui bloque le port de Marseille

11 ans après, les Réunionnais continuent d’en payer les conséquences. Le moindre incident sur une route à fort trafic a aussitôt d’importantes répercussions. Une camionnette accidentée peut ainsi paralyser pendant des heures la circulation dans la capitale, une ville de près de 150.000 habitants. C’est le syndrome de la sardine qui bloque le port de Marseille.

11 ans de présidence de Didier Robert à la Région ont laissé 1,2 milliard d’euros de dettes, et une route en mer à moitié réalisée alors que l’enveloppe initiale prévue, 1,6 milliard d’euros, est déjà engloutie dans les roches jetées dans l’océan et dans un viaduc de plusieurs kilomètres qui ne mène actuellement à nulle part. Les marges de manœuvre sont donc réduites. Ceci complique la mobilisation d’investissements publics pour reconstruire le train à La Réunion.

Il est pourtant évident que dans une île où la majorité de 850.000 personnes se concentrent sur à peine le quart de 2500 kilomètres carrés, un réseau ferroviaire est le mode de déplacement le plus adapté. C’est ce que montre le retour du train à Maurice, grâce à un partenariat entre l’île sœur et l’Inde.

M.M.

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Messages

  • A l heure du combat pour plus de revenus en France vous êtes encore à combattre ou réfléchir sur les salaires des fonctionnaires à la Réunion et la plupart sont des reunionnais. Combattez maintenant à relever les bas salaires au lieu de déblatérer sur les fonctionnaires à la Réunion qui ont passé la plupart un concours et sont partis bosser en métropole.Et c,est pas le chemin de fer qui va régler le problème de la circulation. Voir la circulation en Inde et ailleurs.

  • Cher Sin, il n’est pas question de "déblatérer" mais de rappeler des faits historiques qui expliquent la situation actuelle. Concernant le train, pensez-vous que si en Ile de France il n’y avait pas de train, de metro, la situation serait équivalente à aujourd’hui ? Comment expliquez-vous que les zones densément peuplées dans les pays développés et émergents sont desservis par un chemin de fer ? Et quelle serait la situation en Inde sans train ?