Gérard Éthève, président du directoire d’Air Austral

’Fier pour La Réunion’

25 mai 2005

Gérard Éthève est un président heureux, l’acquisition d’un 3ème B 777-20 ER ’positionne fortement Air Austral à l’international’ et maintenant ’chez Boeing, tout le monde sait où se trouve La Réunion’. ’J’en suis fier pour notre île’. Interview.

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Le tout nouveau B 777 de votre compagnie vient de décoller de Seattle. Il va voler sans escale jusqu’à La Réunion. Une grande première. Quel est votre sentiment ?

- Une grande fierté. Nous sommes en train de démontrer que La Réunion a une compagnie aérienne capable de sortir un avion neuf de l’usine Boeing et de l’acheminer sans escale jusqu’à La Réunion. Il s’agit d’un événement aéronautique considérable, positionnant Air Austral sur le plan international de manière forte. Tout le monde chez Boeing sait désormais où se trouve La Réunion et qui est Air Austral. C’est une grande fierté pour la compagnie, pour son personnel et pour La Réunion.

Pour La Réunion ?

- Oui, pour La Réunion, car Air Austral est une compagnie délibérément réunionnaise. À ce jour, elle compte 535 employés. Du fait de l’arrivée du nouveau 777, nous serons plus de 625 dans moins de 6 mois. Nous sommes en effet en cours de recrutement de 18 pilotes et 72 PNC (personnel navigant commercial - hôtesses et stewards-NDLR). Toutes ces personnes sont basées à La Réunion, tous les salaires sont versés à La Réunion avec tout ce que cela induit sur le plan de l’économie locale.

Une réussite sur le plan social.

- Et sur le plan économique. La compagnie réalise un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros soit une fois et demie celui de la production sucrière. Air Austral va bien. D’ailleurs si tel n’avait pas été le cas, elle n’aurait pas attiré les convoitises (allusion à la tentative de rachat par des sociétés de Jacques de Châteauvieux des 33% de parts que possèdent Air France dans la compagnie régionale. La SEMATRA a voté contre ce rachat et a donné sa préférence au Crédit agricole-NDLR).

En 1977 votre compagnie qui s’appelait alors Réunion Air Service volait sur un avion à hélices de 32 places et desservait uniquement Mayotte. À l’époque vous pensiez déjà au long-courrier ?

- Je n’y pensais pas, j’en rêvais, mais ce n’était qu’un rêve, tout le monde peut rêver. Non, je ne pensais pas que la compagnie irait à Paris. Je me disais que cette desserte relevait du domaine réservé des compagnies majors (Air France etc - NDLR), qu’il n’était pas question d’entrer en conflit avec elle.

Qu’est-ce qui vous a finalement fait changer d’avis ?

- La demande des politiques. Cela avait déjà était le cas à la fin des années 80 lorsque ces mêmes pouvoirs politiques, dont Pierre Lagourgue alors président du Conseil régional, m’ont demandé d’ouvrir la compagnie sur le plan régional. Ils me fixent 3 critères : désenclaver La Réunion sur le plan régional, créer des emplois et ne pas perdre d’argent. Des actionnaires privés, les collectivités locales (Conseil régional et Conseil général - NDLR) et Air France créent une société d’économie mixte, la SEMATRA, qui donne naissance à Air Austral en décembre 1990. En janvier 1991, nous commençons nos vols commerciaux sur la région. Nous les avons ensuite développés en allant partout dans la zone, en gardant toujours pour ligne de conduite les 3 critères du départ.

Et concernant le long-courrier ?

- Ce sont encore une fois les politiques qui ont demandé à Air Austral de se positionner sur ce créneau. Souvenez-vous, ces 15 dernières années, un nombre important de compagnies long-courrier ont desservi La Réunion, il y a eu Minerve, Air Outremer, AOM, Air Liberté, Air Lib, Air Bourbon... Ces compagnies ont disparu une à une. Ce qui avait pour effet de déstabiliser considérablement la rotation. Les politiques, Paul Vergès président du Conseil régional notamment, en ont eu assez, de ces perturbations, de l’opacité entretenue autour du coût réel et du prix des billets, assez également des compagnies peu fiables dont le siège et les actionnaires sont basés à Paris. Ils m’ont donc demandé “d’y aller” toujours dans le respect des 3 critères du départ : désenclaver La Réunion, créer des emplois et ne pas perdre d’argent. J’ai relevé le défi. Le 28 juin 2003, le premier vol long-courrier d’Air Austral décollait de La Réunion en direction de Paris. Nous possédons actuellement 21% des parts de marché sur la rotation vers la Métropole et nous visons à atteindre les 28%.

D’où le lancement le 14 juin de la rotation sur Marseille ?

- Absolument, cette nouvelle destination, à laquelle il faut ajouter Moroni (capitale des Comores - NDLR) servira à développer la compagnie et à la renforcer.

Pour l’avenir, vous envisagez de desservir d’autres villes dans le monde ?

- Nous n’irons jamais à Londres ou à New-YorK, car il s’agirait d’une attaque frontale contre les “majors” (les compagnies les plus importantes - NDLR) et ce serait de la folie. C’est dans les marchés de niches, Mayotte, les destinations régionales et même la Métropole, que nous avons notre place.

À propos de la présence des collectivités locales dans le capital d’Air Austral, certains de vos concurrents vous reprochent d’être une compagnie subventionnée par des fonds publics.

- Air Austral n’a jamais sollicité et n’a jamais obtenu un centime de subvention. Les collectivités locales sont présentes à 47% dans la SEMATRA. C’est grâce au soutien de Pierre Lagourgue puis de Paul Vergès que la compagnie a pu se développer. Je n’imagine pas qu’elle puisse se passer de ce soutien politique, mais il s’agit d’une entreprise privée dirigée par des privés.

Vos détracteurs vous reprochent aussi de vous aligner sur les prix de billets vendus par Air France.

- Nous ne nous alignons pas. Du fait de la présence des collectivités locales dans le capital, nous avons une obligation de transparence totale. Lorsque je dis aux actionnaires, le billet coûte 560 euros, je suis en mesure de justifier ce montant jusqu’au dernier centime. Toutes les compagnies qui ont cassé les prix sur la rotation Réunion-Métropole ont fini par se casser la figure. Il est aussi établi que pratiquer un tarif unique n’est économiquement pas viable. Et pour cause, lorsque les autres compagnies sont au tarif le plus haut, les billets à prix unique se vendent bien, par contre lorsque les concurrents baissent leur prix et vont en dessous des billets à tarifs uniques, ces derniers ne sont plus achetés car ils sont alors plus chers. Je suis le premier à réprouver que sur un même avion, il y ait des billets à 600 euros et d’autres à 800 ou plus (plus le billet est acheté à proximité de la date de départ et plus il est cher - NDLR), mais je ne peux rien y faire. Il existe un système mondial de prix et nous sommes condamnés à entrer dedans si nous voulons équilibrer la rotation.

Vous regrettez le départ d’Air France du capital d’Air Austral ?

- Air France - qui est une grande compagnie dynamique, compétente et sérieuse, il faut le souligner -, quitte une compagnie qui marche bien, car elle estime que nous sommes désormais concurrents. Je n’aurais pas eu le même raisonnement. Air France possédant 45% des parts de marché sur la rotation et Air Austral, 21%, je n’aurais pas dit que nous sommes concurrents mais plutôt : "Air France et sa filiale totalisent 66% des parts de marché".

On parle d’un projet de desserte de la Chine.

- Bien aidées par l’État français il y a 25 ans, des compagnies de la zone, Air Mauritius notamment, assurent une très bonne desserte de l’Asie. Elle a sa clientèle, dont font partie les Réunionnais. Dès lors se pose pour nous un réel problème de rentabilité. Nous n’allons pas faire voler des avions avec 10 personnes à bord. Nous sommes donc en train de travailler sur un rapprochement avec Air Madagascar. Son vol vers Bangkok passerait par La Réunion et nous achèterions des places. La finalité ne serait pas la Thaïlande, nous passerions ensuite des accords avec les compagnies se trouvant sur place pour ouvrir des dessertes vers d’autres pays d’Asie.

Propos recueillis par Imaz Press Réunion


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